Nous dormirons tous une fois dans la chambre numéro 10 J’ai avec pour la Suède une attirance particulière. Je l’ai découverte par les livres du grand Mankell. Dans Le Guerrier solitaire, Kurt Wallander poursuit un assassin qui scalpe ses victimes et, au cours de l’enquête, alors qu’il interroge un témoin en lui racontant les meurtres, il entend cette réponse : le meurtrier ne peut pas être Suédois. Net, précis, tranchant et révélateur d’une totale incompréhension du monde tel qu’il est devenu. Dans un de ses derniers ouvrages, Avant le gel, où Kurt laisse la place à sa fille Linda Wallander que l’on a rencontrée dans les livres précédents, tentée par le théâtre et qui finit par devenir flic, celle-ci a cette pensée : Ce qu’elle avait entendu était si effrayant qu’elle ne parvenait pas réellement à l’assimiler. Ces choses-là n’existent pas en Suède (…). J’ai eu la chance de faire un séjour (voyage scolaire) en Suède, à Göteborg, patrie du héros d’Edwardson, Érik Winter, et de l’auteur aussi. J’y ai rencontré des gens formidables mais les Suédois ne sont pas des gens comme nous : ils se déchaussent avant de rentrer chez quelqu’un, ils ne boivent pas s’ils doivent conduire (le taux autorisé d’alcoolémie là-bas est plus proche de zéro que le plus glacial froid sibérien), ils vous offrent un gleugue (la phonétique plus forte que la linguistique), sorte de vin chaud, dans le couloir, dès fois que vous régurgitiez la chose pour des raisons de différentiel de civilisation et la nuit tombe à 15h30 !Bienvenue en Suède !J’ai depuis avec une constance aussi rigoureuse qu’un calviniste rigoriste lu tout ce que je pouvais en matière de littérature suédoise (voire nordique) et j’ai rencontré Edwardson (bon, c’est vrai, c’était seulement un échange de mail sous couvert d’une traduction aléatoire). Attention, ne le comparez pas à Mankell, sinon : Qu’est-ce que c’est que ça, un « second Mankell ». Pour être franc, je suis fatigué d’être comparé à H M. Je peux le comprendre, mais si vous lisez mes romans et ceux de M. et les comparez, vous verrez qu’ils on peu en commun, dès lors qu’on parle du langage, de la psychologie, des personnages,...etc. Ce que nous avons en commun est le sérieux. Nous écrivons tous deux des romans noirs sérieux, ce qui signifie que ce n’est pas quelque chose qu’un dentiste ou un professeur ferait pour s’amuser en quelques semaines de vacances. C’est de la littérature sous forme de romans criminels, et ça doit être vu comme de la littérature. Dieu sait qu’il y a des milliers de mauvais romans criminels ici, mais les miens – et ceux de HM – n’en font pas partie.Son héros est Érik Winter. Il vit à Göteborg. Il y a quelque chose de pourri au royaume de Suède depuis qu’un premier ministre s’est fait flinguer en sortant d’un cinéma (mais quel film allait-il voir, hein ?). L’histoire n’a sans doute pas retenu la toile qu’il s’était faite et la police suédoise la leçon. Winter le sait bien : « Il vit son profil se refléter dans la vitrine où la direction exposait des casques et casquettes de police du monde entier, probablement à titre de preuve de la mondialisation policière, ainsi que quelques matraques destinées à la graver dans les cervelles. » Mais il sait bien aussi faire son boulot.Chambre numéro 10 confronte Winter à son passé : un meurtre commis dans un hôtel miteux le renvoie à un autre (sa première affaire, non résolue) commis dans la même chambre. Hasard ? Winter doute. Nous aussi. Et nous le suivons, cavalièrement, allègrement, vers ce futur dont aucun de nous ne veut : la mondialisation de la misère. Qui frappe la France les Etats-Unis d’Amérique, la Suède, partout où l’on soit, partout où l’on vit, partout où l’on est, partout où l’on croit être en sécurité. Dans notre monde.Nous avons tous notre chambre numéro 10. Puisse-t-elle être vide de tout, de tout ce qui fait que nous sommes, désespérément humains… François Braud, Mes dix polars de l’année 2007, tome 5
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