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DIDIER DAENINCKX |
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1735Lectures depuisLe lundi 14 Mai 2018
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Une lecture de |
Erik Ketezer s’est installé comme vétérinaire en Normandie, sur les bords de Seine, depuis quelques années. En partie, ce fut une manière de tourner la page après les épreuves de santé de sa compagne, Sylvia. La famille de celle-ci se manifeste lorsque le jeune frère, Rayan, est tué en Thaïlande où il s’était installé. Passionné de plongée sous-marine, le jeune homme en avait fait là-bas une activité à part entière. Il s’agit de rapatrier le corps en France, ce dont peut se charger Erik. Celui-ci se rend sur place, à Ko Phi Phi, dans la région de Phuket naguère frappée par un terrible tsunami. Il s’aperçoit que beaucoup de Français fréquentent ces lieux, même des élus d’Île-de-France. La police locale tient deux suspects, dont la culpabilité est fort improbable. En la matière, bien des choses s’avérant approximatives dans ce pays, aucune enquête sérieuse n’est à espérer. C’est à Courvilliers, dont Erik est originaire comme Sylvia, Ryan et leur famille, que vont se dérouler les obsèques du jeune homme. À cette occasion, le prêche d’un imam apparaît plus que tendancieux, d’autant que Rayan n’était guère pratiquant. Ayant quitté la ville de longue date, Erik constate que l’ambiance a énormément changé à Courvilliers. Dans les rues, on ne trouve plus cette convivialité qu’il a connue. Outre les trafics qui se cachent à peine, la mécanique sauvage en pleine rue, la ville ne semble plus entretenue. Au point de se poser des questions sur la salubrité, vu la profusion de rats. Quant aux équipements, il ne fait pas bon être handicapé à Courvilliers. L’ancien maire, surnommé Le Commandeur, a récemment laissé la place à son gendre, mais il continue à tirer les ficelles d’un système bien rôdé. Qui profitera des investissements pour les Jeux Olympiques à venir. L’arme qui a tué Rayan en Thaïlande a également servi lors d’un règlement de comptes à Courvillliers. Erik se penche sur les faits divers ayant émaillé la vie locale ces derniers temps, des actes violents parfois mal explicables. Parmi ses anciens amis, il retrouve Omar Belaïd, qui a été témoin de l’évolution déclinante de la ville. Évidemment, le népotisme municipal est en cause, jusqu’à toucher tous les niveaux du fonctionnement de Courvilliers. Quant au fait divers impliquant l’arme ayant tué Rayan, il existe probablement un lien – moins indirect qu’il paraît – avec une responsable des services municipaux. Erik reste sur place, tentant de cerner la situation. Le cas d’un nommé Farid Sayane, repris de justice pourtant protégé par la mairie, laisse entrevoir certaines manipulations électorales. D’autres conseilleurs plus ou moins occultes organiseraient malversations et trafics… (Extrait) “— En clair, ils pensent que le règlement de comptes à Courvilliers et le meurtre à Ko Phi Phi sont liés, que l’auteur est le même, c’est bien ça ? — Non, pas obligatoirement… On peut avancer l’idée que la connexion est établie par l’utilisation d’une même arme pour les deux crimes, et bien qu’on ne puisse préjuger que c’est une seule personne qui a appuyé sur la détente en France et en Thaïlande, en droit c’est suffisant. D’après mon expérience, cela va activer les recherches ici, mais je doute que les enquêteurs français disposent des moyens nécessaires pour se déplacer à Ko Phi Phi. Je le presse de questions, mais le procureur refuse d’être plus précis et d’aller au-delà de ce qu’il vient de me livrer.” Depuis trente-cinq ans et plus, Didier Daeninckx montre d’indéniables qualités de conteur, utilisant tous les formats (nouvelles, bédé, etc.) pour décrire notre société. Pour qu’une critique sociale et politique fasse mouche, elle doit s’appuyer sur des intrigues solides, à caractère polar ou d’aventure. Ce qui est le cas dans son nouveau roman, avec un crime commis à l’autre bout du monde. Le type d’affaire où la justice française ne peut guère jouer un rôle efficace. C’est donc en observant, en échangeant, que notre héros mène une sorte d’enquête. Que la Thaïlande ne soit pas le pays le plus sécurisant du monde, c’est sûr. Néanmoins, il semble fréquenté par bon nombre de Français, et on peut se demander si c’est juste pour son attrait touristique. C’est dans le 93 que se trouvent les réponses. Lucide, Daeninckx souligne la dégradation de ces banlieues, matériellement autant que dans les esprits. Des zones de non-droit ? Cette formule lapidaire est loin de tout expliquer. Pendant des décennies, au nom d’une paix sociale bien relative, des municipalités ont masqué les réalités sociales. Le profit qu’ils en tiraient n’était pas forcément financier, mais ils gardaient le pouvoir dans leurs fiefs. La population n’avait qu’à s’adapter, où à s’éloigner. On doit s’interroger sur les priorités budgétaires, sur des projets où beaucoup d’argent a été dilapidé. L’exemple de la mécanique sauvage, où l’on répare tout véhicule en pleine rue, illustre le fait que chacun agit désormais à sa guise, avec une approbation étonnante des polices municipales. Tout s’est gangrené, il n’y a plus de règle, l’autorité est caduque. Loin de tout angélisme, mêlant harmonieusement sujet criminel et regard sur la société, toujours parfaitement documenté, Daeninckx utilise sa tonalité personnelle pour dresser un portrait de notre époque. Une belle réussite de plus à son actif. |
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