|
|
CAROLINE DE MULDER |
CalcaireAux éditions ACTES NOIRSVisitez leur site |
303Lectures depuisLe mercredi 2 Fevrier 2017
|
Une lecture de |
Nous sommes là en Belgique, du côté Riemst et Bilzen, secteur néerlandophone du pays dans la province du Limbourg, en direction de Maastricht, en région flamande. Natif d’ici, le luitenant Frank Doornen est âgé de trente-quatre ans. Suite à un AVC, il est en congé maladie depuis dix-huit mois. Il s’est installé dans la fermette de ses parents, récupérant peu à peu ses forces. Doornen peut s’avérer impulsif, agressif, peut-être à cause de ses problèmes de santé. Il était tombé amoureux de la fragile Lies Vandervelde. Il n’ignorait pas qu’elle avait été employée au club Kiss, comme prostituée. Il paraît qu’elle s’y faisait appeler Mona. Mais depuis quelques temps, elle était devenue la maîtresse d’Orlandini, qui la logeait dans son ancienne maison, la Villa des Roses. Doornen espérait l’en extirper. Francis Orlandini est un puissant chef d’entreprise de la région. Son activé, le traitement des déchets et leur éventuel recyclage, c’est très porteur. Et ça permet des magouilles qui sont profitables à bien des gens. Même à Tchip, un ferrailleur local. Orlandini est marié à Louise. Cette femme vit en recluse, probablement par choix. Certains la trouvent folle, ou au moins pas très équilibrée. Ne s’est-elle pas entichée d’un nommé Manke, un drôle de jeune asocial âgé de quinze ou seize ans ? Celui-là, il rôde dans les environs, va se cacher dans les souterrains, nombreux par ici. Drogué ? On ne sait pas trop. Orlandini a un fils d’une vingtaine d’années, Helder. Son tempérament d’artiste l’a conduit à fréquenter Tchip, mais aussi des marginaux, de supposés écolos, squattant dans le coin. Outre son bric-à-brac de ferrailleur traditionnel, Tchip fait dans la récupération et la réparation de matériel informatique. C’est même un expert en disques durs d’ordinateurs. La mémoire vive de ces appareils, il sait l’exploiter. Par exemple, pour fouiller dans les secrets de Louise Orlandini, jusqu’à établir un contact avec elle. Doornen pourra compter sur Tchip quand il aura besoin de renseignements. Lorsque la Villa des Roses s’écroule sur elle-même, Doornen voudrait être sûr que son amante Lies est morte sous les gravats. Pas vraiment de traces d’elle, pourtant, après le passage des ouvriers d’Orlandini. Juste un curieux symbole dessiné sur un mur, et plus tard, sur celui d’un pâté de maisons qui s’est également effondré : un wolfsangel. Plus qu’un symbole, un emblème ! Stinj Staelens est à la tête d’un mouvement radical flamand. Pour lui et ses troupes, les partis extrémistes populistes ne sont que des serviteurs du "politiquement correct". Le slogan des prétendus écologistes manifestant leur hostilité à l’entreprise d’Orlandini est plus explicite qu’il semble : "Flandre nette", ça ne concerne pas que les déchets toxiques traités par ladite société. Doornens s’autorise une visite à leur QG, De Beest, non sans une bagarre inévitable. Là où il peut trouver des réponses, c’est dans les galeries souterraines calcaires : un trou à rats puant, un tombeau inondé, un enfer dont il n’est pas certain de sortir indemne. Pendant ce temps, la mort plane sur cette région de Belgique… (Extrait) “Et donc, les affaires de cet Orlandini ? "Bah, tout le monde connaît bien ses petits arrangements, suffit de deux clics pour avoir le détail, les journaux en ont parlé. Des procédures d’appel d’offres douteuses. Orlandini qui, pour remporter le contrat, «fluidifie» ses relations avec certains acteurs locaux. Et donc, comptabilité truquée destinée à décaisser des espèces toujours utiles. Offres de couverture, à savoir dossiers bidons et concurrence faussée. Des arrangements pas nets avec des magistrats, des élus, des entrepreneurs, avec en arrière-plan les francs-macs, toujours de la partie. C’est tout un petit jardin qu’il arrose, Orlandini […] Notez, je dis ça et je dis rien, je blâme pas, la débrouillardise, je suis pas contre. Mais après, se donner des airs, faire l’écocitoyen en peau de lapin, se pavaner quand les officiels déroulent le tapis vert, c’est quand même gonflé…"” On aime les polars et romans noirs s’inscrivant dans la tradition, balisés selon les codes et les critères du genre, pour autant non dénués d’originalité. On apprécie aussi les romans adoptant une forme plus littéraire, où l’intrigue va de pair avec une écriture stylée, une structure peaufinée. C’est le cas de “Calcaire”, où Caroline de Mulder ajoute "la manière" à une intrigue déjà fort bien pensée. Au départ, avouons-le, cela peut légèrement dérouter. Néanmoins, on adhère rapidement à l’ambiance narrative, aux séquences "syncopées" du récit. Car l’auteure maîtrise astucieusement son histoire. Par exemple, le pugilat à l’issue de l’intrusion du héros au QG des fachos, ça nous est raconté a posteriori, à travers les conséquences de cette initiative. Il en va ainsi de plusieurs autres scènes fortes. Aspects criminels, bien sûr, mais on retient tout autant les sujets sociétaux abordés. En premier lieu, ce que l’on pourrait appeler "l’industrie écologique". Nos pays européens se veulent exemplaires dans leurs efforts afin de réduire les nuisances polluantes. On espère que le traitement des déchets, parfois plus dangereux qu’on le croit, est mieux contrôlé qu’on le voit dans ce cas. Par ailleurs, l’impact des ultra-nationalistes flamands n’est-il pas sous-estimé en Belgique ? Certes, il s’agit de groupuscules identitaires d’excités, mais ne répandent-ils pas un virus inquiétant ? Le Lion de Flandres et le wolfsangel alémanique ne deviennent-ils pas des symboles guerriers ? Pas de bon scénario sans des personnages bien décrits : sous ce climat pluvieux et fangeux, on va croiser des protagonistes dont l’équilibre mental n’est guère assuré. À coup sûr, un roman différent, d’une vraie noirceur. |