la tête de l’anglaise de Pierre D’OVIDIO


La Tête De L’anglaise D’OVIDIO467

PIERRE D’OVIDIO

La Tête De L’anglaise


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Le mercredi 13 Octobre 2016

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Pierre D’OVIDIO




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Joël et sa famille ont toujours vécu dans ce coin de campagne, entre deux villages. Né au début des années 1950, âgé d’une grosse cinquantaine d’années, il s’occupe de la ferme parentale après avoir été un temps ouvrier d’usine. Outre sa sœur aînée Francine, Joël a eu autrefois un jumeau, Marc. Ils n’ont pas été élevés dans les meilleures conditions, sans doute. Josy, la mère, était trop passive, soumise à l’autorité de son mari Alphonse. Un vrai tyran pour ses proches, qui faisait en sorte que personne ne le contrarie, qui n’acceptait que sa vision personnelle des choses.

Alphonse, on l’appelait le Criant, ça indiquait sa seule manière de s’exprimer. Ancien de la Résistance, il avait été rappelé comme sous-officier dès le début de la Guerre d’Algérie. Ce qui ne pouvait améliorer son comportement, cette agressivité le rendant monstrueux. Au décès de Marc, il trouva le moyen de faire culpabiliser Joël, garçon déjà taciturne, craintif, introverti. Durant toute son enfance et son adolescence, ce père d’une injuste sévérité dictatoriale fut comme une menace permanente pesant sur Joël. Malgré tout, Joël épousa Liliane et ils eurent un fils.

Personne ne prétendrait que Joël n’ait pas eu de "vie sociale". On le connaissait bien dans les environs. Mais étant le fils du "sergent-chef" Alphonse, guère apprécié même chez les Anciens Combattants, on gardait une certaine distance envers Joël. Ce qui lui convenait sûrement, lui qui était taiseux de nature. L’accident de voiture qui causa la mort de son neveu marqua une étape de sa vie. Le départ de Liliane et de leur fils, ce fut encore un épisode important. On ne peut pas dire qu’à chaque fois, Joël afficha de l’émotion, ou ses sentiments profonds. Max reste désormais son dernier "confident".

L’affaire de l’Anglaise ? Bien sûr qu’il avait rencontré Jennifer et Brian, couple de retraités sexagénaires britanniques, tous deux ex-universitaires dans la région de Manchester. Ils avaient décidé de s’installer par ici, de retaper un vieux bâtiment. Aux yeux de Joël, elle était diablement séduisante, l’avenante Jennifer. Aguicheuse, cette passionnée de marche à pied, parlant très bien le français ? Probablement une impression déformée par le regard du solitaire bedonnant Joël. Elle disparut un jour où elle rejoignait à pied le village, son mari Brian l’attendant à l’auberge locale. La gendarmerie fut vite alertée.

On ne peut pas dire que les explications données par le suspect Joël aient été claires. Même pour l’amical gendarme Nicolas, auquel il confia plusieurs versions. Et puis, la kiné qui venait soigner à domicile la mère de Joël témoigna avoir entendu des cris. Elle n’a jamais caché son antipathie envers le bizarre fils de sa patiente. Tandis qu’approche son procès, et qu’il ressasse le scénario de ce crime, Joël espère que "sa juge" va l’écouter, le comprendre. Obsessionnelles, des "voix intérieures" le perturbent toujours davantage, embrouillant la sordide réalité du meurtre de l’Anglaise et de ses suites…

(Extrait) “Joël a stationné sa 4L un peu plus loin que le débouché du chemin avec la route. Une grosse cinquantaine de mètres, qu’elle puisse le reconnaître et se rassurer. Tiens, le voisin Joël s’est arrêté. Pour uriner probablement. Ce qu’il fait en s’avançant vers le champ de tournesols qui borde la route.

Il dira : "Alors ce thé, il est prêt ?" Juste histoire de plaisanter. De jouer, oh ! pas les intimes, mais la personne de connaissance, de bon voisinage. Ça devrait lui plaire, cette connivence avec un cul-terreux. Un paysan toujours sur son tracteur, pas causant : tout d’un produit régional. Un fromage puant ou une terrine bien grasse qui parlerait. La rencontre devrait l’amuser…”

Il faudrait être très naïf pour croire que le contexte d’un homicide, aussi basique que soit souvent ce crime, se résume au simple "passage à l'acte". Le coupable n’est pas devenu un assassin du jour au lendemain. Dans sa vie, se sont produits des moments-clés, voire de modestes faits quotidiens qui ont influé sur lui. Dans l’ambiance familiale d’il y a un demi-siècle, si le père régnait en maître, étaient observées des règles absolues et toute idée "moderne" était bannie. Donner des ordres, incriminer les enfants pour la moindre faute, ça entraîne des humiliations. Elles subsistent dans la mémoire à l’âge adulte. Les frustrations se développent, pour peu que l’on garde tout cela en soi.

C’est donc un puzzle que nous propose l’auteur, à travers de courts chapitres. Avec des images du passé accolées à celles du présent. Un portrait, oui. Celui d’un monstre, peut-être. Mais il est construit autour du "déni". Joël ne peut pas simplement passer aux aveux, puisqu’il ne porte pas la responsabilité de l’affaire. A-t-il tué ou martyrisé la victime ? Ça devient secondaire dans son esprit. Tant de versions sont possibles. Du moins, il a pu le faire. La victime sexagénaire était très désirable, après tout. Toutefois, répétons-le, Joël est moins dans la justification que dans le déni. Une exploration subtile de l’âme humaine, parfois pleine de méandres, c’est ce que nous offre Pierre d’Ovidio dans ce roman très convaincant.

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