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ANNE-CELINE DARTEVEL |
Pop FictionAux éditions IN8Visitez leur site |
945Lectures depuisLe mercredi 28 Avril 2016
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Une lecture de |
Célibataire d'une cinquantaine d'années, Jean-Claude Antonave habite dans un immeuble avec sa mère, qui se déplace en fauteuil roulant. La vieille dame est directive, l'ambiance plutôt étouffante, mais il s'en accommode. Jean-Claude est employé à la comptabilité des établissements Frangrin, grosse usine de nourriture pour chiens. Trente ans qu'il manie les chiffres, exemple même du salarié modèle et ponctuel. Pas très grand pour un homme, il est souvent charrié par ses collègues. Ce qui ne dérange guère Jean-Claude, car ça fait partie des rituels d'une telle entreprise. Encore que le climat professionnel ait évolué ces trois dernières années, depuis que Frangrin a été racheté par un groupe industriel texan. Les méthodes des Américains sont plus agressives. Dans un premier temps, Jean-Claude s'est “dit que c'était une chance, que ça allait secouer ses habitudes.” Pas d'inquiétude à avoir, même si les commandes s'essoufflent quelque peu et si le chiffre d'affaire reste en deçà des objectifs de l'investisseur. Toutefois, au sein du personnel de chez Frangrin, on entend de plus en plus souvent parler de Punto Niesto. Cette petite ville de Slovaquie, dans la région de Bratislava, le groupe américain vient d'y installer un site de production tout nouveau. Dans cette contrée aux hivers rigoureux, les employés coûtent moins cher qu'ici, nul n'est dupe. En faisant le dos rond, on peut espérer échapper aux licenciements. D'abord, c'est juste une chaîne de production que les dirigeants délocalisent vers Punto Niesto. À travers les mails internes à l'entreprise, on constate que beaucoup de gens sont successivement embauchés là-bas, chez les Slovaques. Puis arrive le moment redouté où il faut former en France certains cadres de Punto Niesto. La responsable comptabilité du site slovaque se nomme Ilanka Pop. “Âgée de vingt-deux ans, Ilanka est titulaire d'un double master en commerce international et droit des affaires. Elle parle couramment le français, l'anglais, le russe...” Cette jolie blonde c'est Jean-Claude qui est chargé de sa formation. Elle est plus grande que lui, d'une bonne tête, et fait forte impression. Tandis que ses collègues ne se privent pas de faire des commentaires égrillards, vulgaires, au sujet de la nouvelle venue, Jean-Claude affiche son professionnalisme hérité de trente ans dans l'entreprise. Néanmoins, il a ressenti immédiatement un coup de foudre pour cette ravissante jeune femme. Après toute une vie marquée par la frustration sexuelle, les fantasmes du quinquagénaire Jean-Claude se réveillent brutalement. Ilanka n'encourage pas les approches de leurs collègues français. Elle accepte poliment de dîner un soir chez Jean-Claude et sa mère. Elle participe sans sourciller à la traditionnelle fête de Noël de la société. Elle va retourner dans son pays. Ça va bientôt changer, chez Frangrin… C'est une drôle d'histoire d'amour que nous raconte Anne-Céline Dartevel dans ce court roman, ou novella. Il n'y a évidemment pas d'âge limite pour le romantisme, et même un personnage d'allure insignifiante tel que celui-ci a bien le droit de tomber amoureux. On se doute bien qu'une idylle réelle s'avère plus qu'improbable. Outre la maladresse de ce Jean-Claude, le contexte ne se prête pas du tout à l'intimité. Ce sont les conditions dans lesquelles se déroule le récit, qui lui offrent un grand intérêt. L'auteure décrit avec une parfaite crédibilité la réalité sociale d'une entreprise rachetée par des financiers sans scrupule vis-à-vis du personnel. Visant uniquement le profit maximum, ils n'investissent nullement pour améliorer la situation d'une entreprise solide. Il s'agit d'exploiter sa bonne image, sa structure fiable, son potentiel commercial, avant de couler la société d'origine. Ensuite, les marques se vendent toujours, désormais de qualité plus médiocre, produites à moindre coût dans d'autres pays. Quant aux bénéfices engraissant les actionnaires, la rumeur prétend qu'existeraient des paradis fiscaux. Au-delà de la première partie de “Pop Fiction” où le sourire reste de mise, non sans ironie, c'est dans la suite de cette aventure qu'Anne-Céline Dartevel "met le turbo". Auteure de plusieurs nouvelles publiées et primées, elle nous entraîne vers un final très original. Une histoire vraiment séduisante. |