L'atelier d'Alexandre Kovacs était situé dans un immeuble du 13e arrondissement de Paris dédié aux artistes, quartier de Tolbiac. C'est là que ce sculpteur a été assassiné, piqué à la strychnine. Le tueur a répandu des toiles de ce créateur partout sur son corps, dans une énigmatique mise en scène. Étonnant pour ceux qui connaissaient Kovacs, et qui savaient que l'artiste avait renoncé à la peinture. Chargés de l'enquête, le commissaire Joubert et son adjoint Lucas n'ont pas de mal à retracer la carrière de la victime. Kovacs débuta grâce à des commandes publiques, produisant des sculptures monumentales pour des collectivités locales. Puis il eut un passage à vide durant quelques années, s'adonnant à l'alcool et aux drogues. Sous la houlette du galeriste Lassus, qui misa financièrement sur lui, Kovacs se mit à créer des "installations" minimalistes d'art contemporain. Il redevint assez connu. Originaire de Suisse, la blonde et maigre quadragénaire Johanna Bernard fut pendant une décennie l'épouse d'Axel, psychiatre réputé et médiatisé. Quand elle rencontra Kovacs, ce fut la passion absolue. Elle s'installa bientôt avec l'artiste, dépensant beaucoup d'argent pour lui. Ce qui explique les années improductives du sculpteur. Puis il se concentra sur ces "installations", qui devinrent rentables. Bien qu'étant divorcée d'Axel, Johanna est restée en bon termes avec son ex-mari. Par contre, sa relation s'avérait plus tourmentée avec Kovacs. Si le couple habitait rue Froidevaux, face au cimetière de Montparnasse, le fait qu'il ait un atelier ailleurs, à Tolbiac, engendra probablement un déséquilibre. Pour les policiers Joubert et Lucas, Johanna et le galeriste Lassus figurent en tête des suspects. Un meurtre causé par une rivalité artistique ou une soirée de beuverie, c'est moins crédible. Malgré une visite clandestine à son atelier, Johanna n'a pas découvert où son compagnon rangeait ses dernières œuvres. Pour Lassus, la situation devient critique car il ne possède que trois "installations", et ses créanciers se montrent menaçants. Aux policiers, il déclare ne pas croire que des spéculateurs véreux aient pu faire supprimer Kovacs. Pour son propre témoignage, Johanna n'a rien dissimulé de sa relation particulière avec le défunt. Le commissaire Joubert n'exclut quand même pas l'hypothèse d'une fiesta fatidique, bien que Lucas en doute. En consultant les relevés de comptes bancaires de Kovacs, Johanna trouve une piste à explorer. Ces deux dernières années, l'artiste retournait souvent à Pontault-Combault, où il érigea jadis une statue monumentale. Elle déniche l'adresse de Marie-Paule Delacour, une blonde masseuse-kiné qui fut proche de Kovacs… Comme son nom l'indique, la collection ArtNoir est consacrée à des romans ayant pour contexte l'univers artistique. C'est autour de l'Art contemporain que tourne l'intrigue de ce suspense de Michel Dresch. Beaucoup d'efforts ont été consentis par les pouvoirs publics pour mettre en valeur les œuvres actuelles, depuis quelques dizaines d'années. Souvent, elles ornent les parcs, les ronds-points, et divers espaces où la population peut admirer le résultat. Des créations très symboliques, voire franchement hermétiques, peuvent parfois laisser perplexes. Néanmoins, l'esthétique de nombreuses œuvres de type "land art" est séduisante, ajoutant de la grâce au décors urbains. Quant aux "installations", on a le droit d'être moins convaincus par leur côté artificiel ou minimaliste, mais il n'est pas interdit de les apprécier également. L'essentiel n'est-il pas la présence de l'Art dans le quotidien ? Dans ce “milieu, il y a des escrocs, des petits malins, des spéculateurs” mais le galeriste Lassus n'y voit pas de meurtriers. “Toutefois, [il] se rendait compte qu'il s'était sans doute légèrement avancé en disant qu'en Amérique, où la moindre croûte se vendait dix millions de dollars, il n'y avait jamais eu d'assassinat découlant de la spéculation sur les œuvres. Il n'en était, en fait, pas totalement sûr.” Enjeux financiers, vengeance, crime d'intérêt ou passionnel ? L'auteur ne se contente pas d'une enquête policière balisée. C'est plutôt la compagne du défunt qui cherche la vérité… et les ultimes travaux de la victime. Ce qui offre au récit une tonalité vivante, et cultive un très sympathique suspense. Voilà un polar thématique de fort bon niveau.
Une autre lecture duLe Plasticiende PAUL MAUGENDRE |
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Collection ArtNoir. Parution le 24 mars 2016. 222 pages. 20,00€. La peinture à l'hawaïle C'est bien diffic'hawaïle Mais c'est bien plus beau Dalida la di a dadi Que la peinture à l'eau Pour un beau tableau, c'est un beau tableau. Et le concierge qui découvre cette scène haute en couleurs pourrait penser à une nouvelle composition de Kovacs, le peintre plasticien qui vit dans l'appartement-atelier de la rue Neuve-Tolbiac. Mais il s'agit bien de Kovacs couché sur le dos, les mains jointes sur la poitrine, les yeux fermés. Comme un gisant qui serait endormi. Sauf que l'ultime œuvre de Kovacs, c'est lui-même, mort. Plus incongrus, les multiples dessins qui ont été enfournés dans son pantalon. Et dans la bouche un morceau de chiffon imprégné de peinture fraîche. Le pipelet prévient immédiatement Johanna, la compagne du plasticien et dont ses relations avec Kovacs étaient plutôt élastiques. Il la trompait ouvertement, elle essayait de lui remonter le moral lorsqu'il était en crise. Toutefois elle est étonnée qu'il se soit remis à peindre, car Kovacs avait abandonné l'aspect pictural pour se consacrer d'abord à des œuvres modernes commandées notamment par des municipalités nouvelles, puis depuis quelques années à des Installations, des structures répétitives qui connaissaient un réel succès. Ce meurtre serait-il l'œuvre (!) d'un confrère jaloux, de Johanna trop souvent blessée moralement et quelque peu jalouse, d'un larron extérieur à la pratique des arts plastiques ? Pour le commissaire Joubert, qui débarque dans le domaine artistique, lui qui est plus habitué aux tripatouillages politiques, et son adjoint Lucas, c'est la bouteille à l'encre. Il lui faut démêler les liens complexes qui unissaient Kovacs à des personnages aussi différents que Johanna la maîtresse, Axel l'ex-mari, Marie-Paule la nouvelle maîtresse, Lassus le galeriste, les autres peintres qui se réunissent dans d'anciens entrepôts de Bercy. En réalité peu de monde, car tout tourne autour des quatre premiers nommés et de leurs relations bizarroïdes, compliquées, et dont les obstacles ne manquent pas de surgir à tout moment. Dans une intrigue classique où évoluent peu de personnages, lesquels avaient tous une raison plus ou moins légitime pour supprimer le plasticien, lequel n'était pas un homme sans reproche, le propos de Michel Dresch est surtout de décrire le monde de l'art moderne sous ses différents aspects. La tension conceptrice, le besoin moral et financier de reconnaissance, les différents acteurs qui gravitent dans le domaine artistique du créateur rongé par les affres de l'innovation et du succès, au marchand d'œuvres d'art dont souvent il dépend, un microcosme dédié à l'art plastique et pictural, un monde en réduction qui se déploie sous les yeux du profane que je suis et a tout autant été conquis par cette description que par l'intrigue elle-même. Pour en savoir plus sur cette collection ArtNoir et ses ouvrages n'hésitez pas à visiter le catalogue :
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