true confessions de John gregory DUNNE


True Confessions DUNNE419

JOHN GREGORY DUNNE

True Confessions


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Le vendredi 27 Novembre 2015

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John gregory DUNNE




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

En Californie, les deux frères Spellacy étaient natifs du quartier de Boyle Heights, peuplé de prolos d'origine irlandaise. En ces premières décennies du 20e siècle, avec tous ces catholiques fervents de leur entourage, devenir religieux ou policier constituaient les meilleures voies pour progresser. Desmond Spellacy choisit la prêtrise. Durant la guerre, il fut aumônier-parachutiste. Ce qui lui octroya des médailles et de solides relations. Il entra tôt dans la hiérarchie épiscopale. En 1947, âgé de trente-huit ans, fréquentant les milieux huppés, Desmond est chancelier auprès du cardinal Hugh Danaher. Ce dernier s'affiche exigeant sur le financement des projets de l’Église. Il peut faire confiance à Desmond pour trouver les solutions, quitte à frayer avec des mafieux de la construction.

Il est l'ami de gens troubles tels que Jack Amsterdam, Mexicain par sa mère, Juif par son père, homme d'affaire dont l'entreprise de bâtiment masque des activités illégales. Son passé de proxénète, on ne doit plus s'en souvenir. Desmond Spellacy couvre aussi les écarts des dignitaires catholiques. À ce rythme, vu son efficacité, on le nommera Évêque auxiliaire avant ses quarante ans. Ce qui signifie pour lui être “enterré vivant”, car son équilibre dépend de sa vie publique, golf et soirées mondaines. Même si des morts suspectes se produisent, ce sont des incidents que Desmond ne craint pas de surmonter, en bon combinard. On peut déjà dire que, vingt-huit ans plus tard, au milieu des années 1970, on le retrouvera dans une paroisse oubliée de tous au milieu du désert.

Son frère Tom Stellacy est devenu policier. Il a fondé une famille, mais son épouse a été internée à Camarillo pour raisons psychiatriques. Sa fille est devenue nonne, son fils a une entreprise vendant des objets religieux. Toujours l'influence catholique. Tom fit partie de la brigade des mœurs de Wilshire. À cause d'embrouilles avec la prostituée Brenda (au service de Jack Amsterdam), il fut muté grâce à des appuis à la Brigade criminelle de Los Angeles, où il se trouve en 1947. Il a alors une quarantaine d'années. Son supérieur Fred Fuqua applique des méthodes "modernes", espérant devenir préfet de police. Tom a pour partenaire Frank Crotty, flic plus ancien que lui. Avec son langage "direct" et son manque de conscience professionnelle que Tom tolère volontiers. Frank a investi ses bakchichs dans une affaire commerciale avec des asiatiques.

Ce sont les patrouilleurs Bingo (pas très futé) et Lorenzo (un Noir consciencieux, promis à de hautes fonctions bien plus tard) qui sont les premiers à trouver un cadavre de femme découpé en deux, à l'angle de la 39e Rue et de Norton. L'inconnue a un cierge planté dans le vagin et un rose tatouée près du pubis. Les indices autour sont brouillés. Cette belle jeune femme sera difficile à identifier. Frank Crotty estime logiquement que leur enquête est vouée à l'échec. Leur chef Fuqua crée une "brigade des crimes graves" à cette occasion, ce qui n'a guère de sens. Les dénonciations et autres témoignages farfelus ne vont pas les aider. Savoir, grâce au légiste asiatique, qu'elle mangea peu avant sa mort des pâtés impériaux, non plus. Le journaliste Howard Terkel attend, lui, des révélations croustillantes sur cette affaire criminelle. L'affaire de "la Vierge impure" est lancée.

Tom trouve un peu de répit auprès de son amante, Corinne Morris, qu'il sauva naguère lors d'une prise d'otage foireuse. Quand Mgr Gagnon est victime d'un infarctus alors qu'il se trouvait avec une pute, Tom et Frank avec Bingo et Lorenzo s'arrangent pour exfiltrer le cadavre. Desmond et le cardinal imagineront une explication du décès digne du prélat défunt. Les frères Spellacy se revoient pour un déjeuner, même s'ils restaient en contact. Les vacheries fraternelles fusent entre eux. Si l'épouse de Tom devait sortir de psychiatrie, ce qu'annonce Desmond, ça risquerait de bientôt compliquer la vie privée du policier et de Corinne.

On ne peut se contenter de vagues suspects, dans le genre du pervers Rafferty. Par son ex-colocataire Gloria, la victime est finalement identifiée : Lois Fazenda. Le CV de cette jeune femme de vingt-deux ans, originaire de Medford dans le Massachusetts, vivant en Californie depuis trois ans, montre son instabilité. Ses proches actuels et ses amants de passage disposent d'alibis. Serait-ce dans le milieu ecclésiastique, avec ses prolongements financiers, que Tom Spellacy devrait enquêter ? Ce dossier, officiellement résolu par Frank Crotty, ne sera pas sans impact sur son frère Desmond et lui…

Le meurtre jamais élucidé après-guerre d’Elisabeth Short à Los Angeles, voilà une histoire qui nous rappelle quelque chose ? Une dizaine d'années après le présent roman, James Ellroy écrira “Le dahlia noir” s'inspirant du même sujet. D'une façon plus factuelle et dure, avec une narration moins enjouée et moins souple que dans ce “True confessions”. Les deux titres ont chacun leurs mérites, mais l'ambition n'est pas identique.

John Gregory Dunne pointe du doigt l'hypocrisie générale régnant en Californie après la guerre. En plein essor, cet État se veut dynamique, s'autorisant jusqu'à des malversations financières qui ne semblent inquiéter personne. Corruption et faux-semblants à tous les niveaux : au sein de l’Église catholique (tels ces civils décorés d'Ordres religieux, ce Monseigneur recevant de luxueux cadeaux à chaque anniversaire, sans parler des contrats d'urbanisme dévolus aux amis), dans la police (entre lucratifs pots-de-vins aux inspecteurs et honneurs pour les chefs), tandis que la presse en tire profit également.

Le récit est ponctué de sourires, en témoigne ce passage. Desmond évoque un futur pèlerinage de groupe en Europe, quinze étapes en quatorze jours : “On saute Paris pour gagner directement Lourdes, avec un peu de chance on y entendra parler un sourd-muet, ou un aveugle recouvrira la vue en notre présence. Un voyage pareil, ça doit être marqué par des temps forts. Puis une nuit à Fatima. Apparemment, on fera halte à tous les endroits où la Sainte Vierge a atterri. Puis une audience générale du pape à Rome, pour les élèves du Saint-Rosaire et quinze mille de leurs amies les plus proches. Je servirai de chaperon, c'est tout. „Ÿ De peur qu'elles se fassent niquer par les macaronis ? „Ÿ C'est curieux, Tommy, j'avais l'intuition que tu ferais une remarque dans ce style.” D'autres scènes et dialogues sont d'un humour encore plus grinçant.

Initialement paru en français sous le titre “Sanglantes confidences”, ce roman bénéficie d'une nouvelle traduction. Si des écrivains confirmés comme George Pelecanos (qui signe la préface de cette édition) et Thomas H.Cook considèrent que c'est un roman majeur, on ne pourra pas les contredire. D'abord, soulignons une belle galerie de personnages, où chacun est présenté avec autant de franchise que de subtilité. On visualise aisément le mafieux entrepreneur Jack Alexander, l'arriviste chef de la police Fuqua, le cardinal qui s'affiche intransigeant, les flics de base Bingo et Lorenzo, la décomplexée Corinne, ainsi que tous les autres. Avec, au centre, les frères Spellacy. Tous deux intelligents, ils portent un regard divergeant sur ce qui les entoure, et sur leur propre vie. Bien que sa foi soit très relative, Desmond pense grimper encore dans l'échelle sociale. Tandis que Tom apparaît d'un cynisme blasé, pas dupe de la médiocrité ambiante, fut-ce chez les catholiques.

Latinos, Noirs, Asiatiques, Irlandais, et bien d'autres communautés ethniques, cohabitent dans l'agglomération de Los Angeles en 1947. John Gregory Dunne s'applique à nous faire partager le climat de l'époque, dans une brillante reconstitution. Sans porter de jugement, il esquisse les réalités. Son “écriture” s'avère splendide, non seulement fluide mais avec le ton juste, dans les dialogues autant que dans la structure scénaristique. Par exemple, il insère en finesse le passé militaire de Desmond, pour nous faire comprendre que le "plan de carrière" du prêtre débute là. Pas si anecdotique non plus, le cas des pompes funèbres de Sonny McDonough, dont un ou deux paragraphes expliquent son arrangement avec l'épiscopat pour les obsèques de paroissiens pauvres. Habiles retours sur l'origine des frères, ou sur la folie de l'épouse de Tom, aussi. Ce sont tous ces détails qui offrent du caractère, de l'humanité, de l'authenticité à l'histoire.

L'enquête sur le meurtre de "la Vierge impure", Lois Fazenda ? Elle progresse, bien sûr. On connaîtra le nom du présumé assassin. Ce dont, ainsi que le dit George Pelecanos, on se contrefiche. Ce n'est pas un roman d'énigme. Il s'agit d'un portrait soigné de la Californie d'alors, d'un puzzle parfaitement cohérent. Y compris dans sa conclusion, vingt-huit ans après les faits criminels. “True confessions” de John Gregory Dunne est un roman noir d'une qualité exceptionnelle, ça ne fait aucun doute.

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