Originaire de Bordeaux, Francis Darnet est un oisif de quarante-cinq ans vivant à Paris. Ce passionné de polars aime à découvrir des auteurs dont il n'a pas encore exploré l’œuvre. Y compris parmi les romanciers plus anciens, tel Chester Himes. À peine sait-il que ce grand écrivain noir américain séjourna quelques semaines à Andernos, sur le Bassin d'Arcachon. C'était au printemps 1953. Âgé de quarante-quatre ans, Chester Himes était accompagné de Willa Thompson, sa compagne du moment. Ils logeaient dans la villa de son traducteur et ami Yves Malartic. Il n'écrivait pas encore d'histoires policières, se consacrant à des romans politiques et sociaux s'inspirant de sa propre vie. Himes devait terminer “The third generation”, avec un dénouement plus percutant, à la demande de son éditeur. Même s'il ne parlait pas un mot de français, son séjour à Andernos fut très agréable. Au temps où ils étaient étudiants, Francis Darnet fit partie d'un petit groupe de copains qui étaient comparés aux mousquetaires de Dumas. Il ne les a plus revus depuis l'époque. Il y avait Piter, Robert, lui et Béa, jolie fille dont les trois garçons étaient amoureux. Ils se sont installés autour du Bassin d'Arcachon, sauf Francis parti à Paris. Robert Sollers, dit Soso, est devenu bouquiniste. Il vit avec Béa, tandis que Piter est resté l'ami du couple. Voilà quelques années, Soso a eu besoin d'une cure de désintoxication en Dordogne. Il semble que Béa et lui se soient éloignés ces derniers temps. Soso a une maîtresse, Hélène, artiste peintre ressemblant à Venexiana Stevenson, la tueuse éprise de Corto Maltese, ou à la chanteuse Barbara. Béa n'est pas forcément fidèle, non plus. S'il retrouvait des pages inédites de Chester Himes comme il l'espère, Soso réussirait un beau coup financier. En juin 2015, Francis apprend la mort suspecte du bouquiniste. Il rejoint ses amis Piter et Béa entre Arcachon, Andernos et le Cap Ferret. Soso serait tombé de son balcon alors qu'il assistait à un incident : il y avait une rixe entre deux jeunes sur la plage, un vagabond ayant volé l'Iphone d'un étudiant Noir ivre. Les gendarmes locaux surveillaient pourtant le jeune marginal et sa petite amie, Caroline, mais ça se termina par un grave coup de couteau. Béa pense que la mort de Soso peut être liée à ses recherches d'inédits de Chester Himes. L'enquête de gendarmerie fut incomplète, c'est exact. Fouinant de son côté, Francis est agressé par un simplet nommé Blofish dans le dépôt où le bouquiniste stockait ses livres. Il fait le détour par la villa Madiana, où séjournèrent Chester et Willa. Ses investigations en dilettante lui permettront-elles de comprendre la mort de Soso ?… À l'évidence, le décor du Bassin d'Arcachon a ici une certaine importance. Néanmoins, il serait erroné de penser qu'il s'agit d'un roman à caractère régional. En réalité, outre son intrigue criminelle bien présente, c'est d'ethnologie du noir polar dont il est question. Car le véritable héros est l'immense Chester Himes. C'est lui que nous suivons avec plaisir en ce printemps 1953, et quelques temps plus tard, avec sa compagne. Ses premiers livres ont connu un petit succès d'estime, mais il n'a pas encore rencontré le patron de la Série Noire, Marcel Duhamel. Ce n'est que plus tard qu'il va créer Ed Johnson, dit Cercueil, et Jones, dit Fossoyeur, inspecteurs noirs de Harlem qui connaîtront des aventures débridées. Himes est alors proche de la dèche, concluant avec peine son roman en cours, tandis que son amante Willa essaie d'écrire une histoire inspirée de sa vie à elle. Voici ce qu'en dit Jean-Bernard Pouy dans la préface : “Je ne suis pas chercheur, mais j'ai la conviction que tous les éléments biographiques et historiographiques concernant l'écrivain américain sont exacts, habilement mélangés à ceux de la fiction imaginée par Darnaudet. Et même s'ils étaient de pure invention, qu'importe, puisqu'ils semblent vrais.” En effet, grâce à la construction du scénario, l'enquête de Francis, le retour sur la nuit de la mort du bouquiniste, et la reconstitution des scènes avec Chester Himes, se côtoient en harmonie. Les amateurs de polars, de SF et de BD, noteront quelques titres de référence chers à l'auteur. C'est un authentique suspense que nous propose François Darnaudet, autour de cette figure essentielle de la littérature noire que fut Chester Himes. Un écrivain dont il faut relire les cinq premiers titres, romans sociopolitiques, cités dans ce livre.
Une autre lecture duAutopsie D'un Bouquinistede PAUL MAUGENDRE |
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Collection Zones noires. Parution 4 mai 2015. 168 pages. 10,90€. Un bouquiniste meurt, un bouquin jamais... Ayant donné sa démission à l'Inéducation Nationale, Francis Darnet se retrouve à la tête d'un petit pécule qu'il dépense en achetant des livres d'occasion, des romans populaires principalement. Il baguenaude, il flâne sur les quais , conversant avec les bouquinistes installés sur les quais de la Seine, ou dans les déballages comme à Oberkampf. Il découvre des ouvrages anciens dont il se régale à la lecture. Francis Darnet n'est pas un sectaire et tout ce qui touche à la littérature populaire l'intéresse et le captive. Alors qu'il est plongé à la terrasse d'un café dans Couché dans le pain de Chester Himes il reçoit un appel téléphonique de Béa. Béa, toute sa jeunesse. Elle était le d'Artagnan des Trois Mousquetaires, les trois amis, Piter, Sollers dit Soso et lui. Béa avait choisi pour faire sa vie Soso, et depuis ils s'étaient quelque peu perdus de vue. Mais Soso vient de décéder. Tombé de la terrasse de leur appartement à Andernos alors qu'elle était ailleurs pour convenances personnelles. Même si le couple ne s'entendait plus guère, Soso buvait et découchait probablement, Béa est persuadée qu'il ne s'agit pas d'un suicide. Alors direction Arcachon, retrouver Béa, assister aux obsèques et se replonger dans l'atmosphère d'antan. Francis passe d'abord voir Piter afin de tâter le terrain, puis Béa qui affirme que la mort de Soso serait dû à un ouvrage : Regrets sans repentir de Chester Himes, dans lequel l'auteur américain raconte notamment son séjour sur le bassin d'Arcachon en 1953 et la réécriture de l'épilogue, la première version ne convenant pas, de La Troisième génération. Chester Himes est en compagnie de Willa, laquelle s'attèle également à un ouvrage. Il en réécrit certains passages, le met en forme, lui donne bonne façon. Ils vivent dans la villa que leur a obligeamment prêtée Yves Malartic, le traducteur de quelques-uns de ses propres romans. Serait-ce cette première version qui aurait provoqué la mort de Soso. Francis Darnet le pense et il enquête dans le milieu des bouquinistes, milieu que connaissait bien Soso pour avoir été lui-même bouquiniste. Un tapuscrit qui pourrait valoir une fortune auprès de certains collectionneurs peu soucieux d'en savoir la provenance. Bien entendu le lecteur ne peut se contenter de cette simple évocation de Chester Himes et de la recherche d'un manuscrit ayant provoqué la mort d'un bouquiniste. François Darnaudet sait qu'il faut toujours ajouter du piment dans une intrigue. Et le déclencheur est peut-être un nommé Eric Dufau, lieutenant de gendarmerie, qui dégustant un énorme plateau de fruits de mer à la terrasse d'un restaurant en compagnie de son amie Martine, lorgne vers un couple de jeunes campeurs en vadrouille sur la plage. Et comme il n'est pas de service, il demande à son adjoint de les intercepter et de leur faire la morale. Ils n'ont pas le droit, primo de fumer de l'herbe, il les a vu avec un pétard coincé entre les lèvres de la jeune fille, ensuite, ils ne doivent pas s'installer sur la plage pour la nuit, le sac à dos porté le jeune homme supposant que c'est leur intention. Mais quelques heures plus tard, la nuit tombée, alors que Dufau et Martine ont fait l'amour sur la plage (c'est pas interdit ?) des gyrophares se profilent à l'horizon. Le jeune homme aperçu dans l'après-midi et un autre individu sont couchés sur le sable, non point pour rééditer les exercices physiques dont Dufau et sa compagne sont adeptes, mais parce qu'ils sont sérieusement blessés. L'un ayant attaqué l'autre pour un vol de portable. Incontestablement, Francis Darnet, le personnage principal de cette histoire, est une copie, une réplique presque parfaite de l'auteur. Mais le héros intrinsèque par procuration de cette histoire, c'est Chester Himes évoluant dans le Bassin d'Arcachon entre juin et juillet 1953. François Darnaudet mêle personnages réels et fictifs en proposant une œuvre qui oscille entre véracité et imaginaire. Un jeu de miroir en forme de clin d'œil et une idée originale pour concilier hommage et plaisir. Il ne faut pas croire que si l'histoire se tient en grande partie sur le Bassin d'Arcachon, entre Cap-Ferret, Andernos et autres lieux, qu'il faut cataloguer ce roman comme régionaliste, terme souvent réducteur. Tout Polar est forcément régionaliste lorsqu'il est concentré sur une région, même à Paris, puisque l'Ile-de-France est elle-même une région. Non, ce roman, qui pourrait posséder une entrée fantastique dans les premières pages relatant le passage par la fenêtre de Soso, est bien le respect affiché et revendiqué à un auteur, Chester Himes, à travers son œuvre, et à la littérature populaire dans son ensemble, sans distinction et sans ghettoïsation. Chester Himes a réellement habité quelques semaines dans le bassin d'Arcachon dans la maison prêtée par Yves Malartic qui a traduit notamment La Croisade de Lee Gordon, La Troisième génération ou encore La fin d'un primitif. Mais si François Darnaudet jette un petit projecteur sur le fait qu'il y a eu plusieurs versions de la fin de La Troisième Génération, c'est la rampe entière qu'il allume afin de mettre en avant le travail accompli dans la rédaction de Garden Without Flowers de Willa Thompson Trierweiler (eh oui !), roman inédit en France. Parmi les nombreux personnages fictifs évoluant dans ce roman, saluons la présence d'Eric Dufau, le gendarme, qui n'est autre dans la vie réelle qu'Elric Dufau, le dessinateur d'Harpignies, la bande dessinée dont le scénario est dû à François Darnaudet.
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