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GERARD DELTEIL |
Les Années Rouge Et NoirAux éditions SEUILVisitez leur site |
1726Lectures depuisLe mercredi 12 Mars 2014
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Une lecture de |
Dans les arcanes du pouvoir. De 1942 à 1978, les gouvernements ont maintes fois changé, en hommes et en couleurs politiques, mais les méthodes de l'ombre, souvent controversées, n'ont jamais cessé d'exister, sous une forme ou une autre. Les technologies s'améliorent, et les résultats s'affinent. En mai 1942, le Maréchal Pétain accompagné de quelques conseillers dont René Bousquet, secrétaire général de la police, et Jean Dides (voir photo), commissaire aux Renseignements généraux, visite le centre de la Compagnie des machines Bull. Un nouveau modèle de trieuse de cartes perforées vient d'être mis au point, permettant d'affiner grâce aux perforations les recherches concernant des individus grâce à leur appartenance professionnelles, religieuses, raciales ou politiques. Trois personnages, dont le parcours politique et professionnel va les amener à se croiser à intervalles irréguliers, synthétisent ce qui composait ce que l'on peut appeler la divergence française en matière d'opinions et ses ambigüités. Anne Laborde est malgré son jeune âge membre du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'action) à Londres sous les ordres du Colonel Passy et elle est amenée à effectuer des missions en France, notamment à Paris. Fille d'une riche famille de parfumeurs installés à Grâce, elle a milité un certain temps à Action Française mais s'en est vite détournée s'engageant dans la Résistance. Lors d'une mission à Paris, elle est invitée, alors qu'elle pensait être suivie, à rencontrer Aimé Bacchelli. Bacchelli est un proche conseiller de Marcel Déat (voir photo), et est considéré comme la tête pensante et le numéro 2 du Rassemblement national populaire. Comme beaucoup d'autres il a viré sa cuti, ayant été un intellectuel de gauche avant-guerre pour ensuite servir Vichy. Il est informé que le frère d'Anne a des convictions tout à fait différentes des siennes, qu'il s'est engagé aux côtés des Allemands et que son unité est actuellement près de Minsk. Mais ce qui préoccupe Bacchelli, c'est de lutter contre les communistes, or il sait que le Général n'apprécie pas vraiment ces alliés de la Résistance. Quelques mois plus tard, elle participe à une mission avec Jean Véron, membre d'un réseau communiste. Le jeune homme sera assassiné quelques semaines plus tard par des individus qui pourraient appartenir à la milice alors qu'il participait à l'enlèvement dans la Préfecture à des cartons contenant des fiches. Ce meurtre réveille quelque peu la conscience de son jeune frère Alain qui fréquente les Zazous et traine dans des boites de nuit en compagnie de collabos. En novembre 1944, Alain assiste à la pose d'une plaque en mémoire de son frère et des trois autres FFI-FTPF abattus, et il aperçoit Anne venue elle aussi rendre un hommage. Il saura par la suite qu'il s'agit d'Anne Laborde car dans les affaires appartenant à son frère qui lui ont été remises, figurait une fiche à son nom. Muni d'un CAP d'ajusteur, il décide de travailler afin de faire bouillir la marmite familiale qui ne sert plus qu'à sa mère et à lui-même. Un ami surnommé Petit-Louis lui propose de lui faciliter son embauche aux usines Renault. Petit-Louis émarge au parti communiste mais Alain a le temps de s'engager en politique. La seule contrainte est de professer les idées du syndicat, c'est-à-dire la CGT, la puissante confédération qui fait la pluie et le beau temps pour les embauches. Au début Alain est suspecté d'avoir été un privilégié mais il démontre ses compétences et est accepté par ses collègues. Toutefois il rechigne à prendre une carte au PCF. Les années passent. De Gaulle est au pouvoir et les communistes, appelés aussi Moscoutaires ou Bolchéviques ne bénéficient pas d'une aura politique à cause de leurs accointances avec Moscou. Anne travaille dans un service chargé de vérifier les dossiers des personnes ayant collaboré avec l'ennemi mais elle ne possède qu'un avis consultatif, la décision judiciaire ne dépendant pas d'elle. De toutes façons bon nombre de policiers et de magistrats ayant collaboré sous le régime vichyste ou nazi sont encore en place. L'épuration fait de nombreuses victimes mais beaucoup passent à travers les mailles du filet. Elle sera mutée ensuite à Matignon, pour d'autres tâches, mais sa rigueur, sa pugnacité, son engagement seront toujours reconnus à leur juste valeur. Toutefois elle possède une épine dans le pied, son frère qui est emprisonné dans un goulag en Russie. Il sera libéré mais si en apparence il reprend une vie normale auprès de ses parents parfumeurs, il magouille ici et là avec d'anciennes connaissances dont Francis Bout de l'An. Ainsi Bacchelli est sur la sellette comme ayant été numéro deux du RNP mais bénéficie néanmoins d'une clémence relative. Il est emprisonné à Fresnes durant deux mois mais arguant avoir servi la Résistance en fournissant des informations puisées auprès des Nazis, il est libéré. Il délaisse la politique, en apparence, et monte un cabinet d'études géopolitiques, qui deviendra une référence indispensable auprès des nombreux gouvernements qui s'échelonnent au cours de la quatrième république. Alain Véron, s'il prend part, en dilettante, à la grève qui secoue les ateliers Renault à la fin des années 40, grève fomentée sans l'accord de la CGT qui ensuite la récupérera, Alain n'adhère toujours pas au PCF malgré les nombreuses sollicitations. Il préfère sortir en fin de semaine, fréquentant les clubs de jazz à la mode, se montrant fin danseur. Il ressent vers les hommes une certaine attirance mais ne pousse pas les avantages dont il pourrait bénéficier. Les homosexuels sont encore dans le collimateur d'une grande partie de la population, principalement auprès des ouvriers et des communistes. Les fins de semaine sont chargées mais il gère son emploi du temps. Il fréquente Luter, Sidney Bechet et autres musiciens de renom au Lorientais ou au Tabou. Il a aussi des copains arabes, quoique ceux-ci soient mal vu d'autant que la guerre d'Algérie se profile. Déjà on leur reproche de travailler à la place des Français. Il décide alors de quitter Renault et de posséder son propre garage. Pourtant il a aussi une autre envie qui le tenaille de temps à autre, surtout lorsqu'il lui arrive de rencontrer Anne Laborde. Celle de connaître les noms de ceux qui ont tué son frère. Plus de trente ans de la vie politique et sociale sont ainsi explorées par Gérard Delteil qui signe là son livre, un document fiction, le plus ambitieux et le plus abouti. Il porte un regard sans complaisance sur trois décennies, en historien honnête, ne favorisant aucune des forces politiques ou syndicales en présence. Le lecteur qui n'a pas connu cette époque, ou l'a survolée comme on peut s'attendre d'un gamin (moi-même) qui se souvient vaguement de quelques épisodes qui se sont déroulés lors de sa jeunesse, sera édifié. Les tractations, les reconversions, les emplois dévolus à d'anciens collaborateurs absous à cause ou grâce à leurs connaissances et leur entregent, les différents conflits qui ont émaillé les gouvernements successifs, l'antagonisme entre gauche et droite, entre communistes et trotskistes, vrais fausses alliances, le retour au pouvoir du Général De Gaulle, avec là encore des retours en grâce incompris aujourd'hui, des responsables de la police notamment, la création du Service d'Action Civique avec Pasqua et Debizet, la création des syndicats ouvriers liés au patronat, la grève de 1961 chez Simca compromettant la sortie de la Simca 1000 et les magouilles patronales, et bien d'autres affaires véreuses, sont narrées, expliquées, démontrées, disséquées. Le coin du tapis sous lequel la poussière nauséabonde était balayée, est soulevé et on s'aperçoit que cette poussière est composée de gros moutons atteints de maladie et qui ont proliféré étant tenus bien au chaud, et qui encore aujourd'hui n'a pas fini de nous procurer des allergies. Malversations, connivence et magouilles, telle était le lot de la politique d'alors, telle est la politique encore aujourd'hui. Entre les pages, le lecteur pourra croiser des hommes de plume qui ont pour nom Aragon ou Sartre, mais aussi des politiques, le collabo Francis Bout de l'An condamné à mort par contumace, Dewavrin alias le Colonel Passy, Albin Chalandon, Debizet ou encore Pasqua ou des syndicalistes et des patrons d'usines dont les intérêts convergent ou divergent selon les situations. Le genre d'ouvrage mi-fiction, mi-réalité qui ne plaira pas à tout le monde, mais il y en a toujours qui préfèrent ignorer la réalité, occulter la vérité derrière des œillères obligeamment fournies, et surtout faire preuve de mauvaise foi. Au fait, les fameuses fiches perforées qui réapparaissent au cours de ce roman, c'est du domaine du passé. Aujourd'hui, avec les ordinateurs de plus en plus performants, tout le monde peut être fiché sans le savoir et l'Etat par le truchement de la police se servir des renseignements à des fins pas toujours avouables. |
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