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SERGUEI DOUNOVETZ |
Tue-chienAux éditions ALTERBOOKS |
3880Lectures depuisLe lundi 29 Juillet 2013
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Une lecture de |
Préface de Jean-Bernanrd Pouy.
Une randonnée ferroviaire qui déraille… Elle devant et lui derrière, à grimper les pentes pyrénéennes ou à les redescendre en évitant de se casser la figure. Elle c’est Roxane, et il ne risque pas de la perdre de vue avec ses cheveux rouges qui se balancent tel un fanal. Lui, c’est Raoul, du moins c’est ce qu’il lui dit. Et s’ils se promènent dans la montagne, ce n’est pas pour une randonnée de plaisir. Ils fuient la maréchaussée. Roxane suinte la colère par tous les pores de sa peau, ses yeux sont deux silex, elle arbore un masque revêche, mais lorsqu’elle parle du train jaune, celui qu’ils vont prendre Raoul et elle, alors se transforme. La grincheuse, la colérique devient comme une luciole qui irradie dans la nuit, et ses anneaux plantés un peu partout dans les oreilles, le nez, le nombril et j’en passe sûrement, sont à l’unisson. L’idée de Roxane pour échapper à la maréchaussée est d’emprunter, sans payer, ce fameux train jaune, appelé ainsi à cause de sa couleur, mais surnommé Tue chien pour des raisons qui méritent explications. La voie ferrée comporte trois rails, les deux habituels, plus un au milieu qui sert de conducteur électrique. Or de nombreux chiens se sont faits électrocuter en vagabondant sur le ballast. Raoul manque l’apprendre à ses dépends mais heureusement Roxane veille au grain. Le train jaune qui part de Villefranche de Conflent attaque la montagne jusqu’à Latour de Carol près de la frontière espagnole va bientôt passer. Roxane suivie de Raoul monte à bord, un exercice d’acrobate à l’égal des brûleurs de durs chers à Léo Malet et aux auteurs américains de la première moitié du XXe siècle. Ils s’installent dans un compartiment quasiment vide mais aperçoivent un véhicule de la maréchaussée qui file sur la route contiguë à la voie ferrée. Les gendarmes sont à la poursuite de Raoul qui a effectué un braquage dans un café, empochant la recette du jour, cinquante euros, peut-être le début de la fortune, mais ce n’est pas forcément pour ce vol minable qu’ils montrent les dents. Quant à Roxane elle aussi possède son secret, et se montre vindicative à l’égard des gendarmes. Drôle d’équipe que forment le capitaine Rospovitch et le gendarme petit Maurice. Ils sont comme chien et chat, parlent par sous-entendus, comme ceux qui font croire qu’ils savent mais ne connaissent pas. Et l’otage, car pour eux il n’y a aucun doute que Roxane a été prise en otage, que l’otage donc est bien mal partie. La vertu de Roxane est un sujet de conversation permanent tandis qu’ils se lancent sur les trousses des fuyards. Ils ne sont pas seuls à traquer Raoul et Roxane, les grands moyens sont employés. Et les hélicoptères, coléoptères pas collés à terre, vibrionnent dans les cieux, surveillant les déplacements du couple. Serguei Dounovetz manifeste à l’encontre de ses personnages une tendresse bourrue qu’il nous communique et nous vibrons à l’unisson, espérant que ces deux personnages vont pouvoir fausser compagnie à leurs poursuivants. Sous l’humour noir se dessine une triste réalité. Celle de la mémoire des hommes. L’Histoire de France et du monde ne prend que quelques pages dans les manuels scolaires, mais celles qui ont été vécues par d’humbles personnes sont souvent effacées et perdurent parfois des années, des décennies, même si les actions n’ont été perpétrés qu’en quelques jours, qu’en quelques heures, voire quelques minutes. En réalité plusieurs histoires se catapultent dans ce roman, les histoires intimistes des protagonistes, des histoires isolées qui se relient peu à peu et cheminent sur les rails de l’incertitude. Si Jean-Bernard Pouy a signé la préface, ce n’est pas pour rien car il professe à l’égard des trains une véritable passion. Or Le Train jaune, ou Canari, est une histoire en elle-même que Serguei Dounovetz évoque rapidement juste pour planter un décor utile et vivant. Et l’action de ce roman est à inscrire plus dans un trajet effectué par un TGV que par un tortillard.
Villefranche-de-Conflent, village médiéval des Pyrénées-Orientales aux maisons en marbre rose, cerné d'une enceinte fortifié. À une cinquante de kilomètres de Perpignan, on est en pays catalan, en Cerdagne. Dans un restaurant local, un braquage pour cinquante Euros a causé la mort de trois personnes, des hommes plutôt âgés. Le coupable a pris en otage la serveuse, Roxane. Elle est native des environs, cette fille aux cheveux rouges aux airs de punkette, ou de sauvageonne. Ils ont rejoint la 4L de la serveuse, avant de disparaître. Un large dispositif de gendarmerie s'est mis en place. On peut imaginer que le fuyard tentera de franchir la frontière espagnole. Le capitaine Rospovitch et le gendarme petit Maurice, un as du volant, se sont lancés aux trousses du voleur et de l'otage. Ils ont des raisons de penser que Roxane est davantage complice que victime. Pour Rospovitch, il semble que ce soit plus une affaire personnelle qu'une mission officielle. Le Train Jaune, aux couleurs catalanes sang et or, est un symbole de la région depuis près de cent ans. De Villefranche-de-Conflent à Latour-de-Carol, sur 62.5 kilomètres, c'est un train électrique sur voie métrique, un troisième rail assurant l'alimentation en 850 volts. Il s'agit de la ligne ferroviaire la plus haute de France, la gare de Bolquère-Eyne culminant à 1592 mètres d'altitude. Tracé sinueux entre montagne et vallées au pied des massifs du Canigou, du Cambre d'Aze, du Carlit et du Puigmal, pentes atteignant 6%, ouvrages d'art (ponts) sur le parcours, le trajet s'effectue obligatoirement à vitesse lente. On passe par Font-Romeu, aujourd'hui site d'entraînement pour sportifs, qui connut son pic de notoriété au temps glorieux du Grand Hôtel. Aussi appelé Canari, le Train Jaune est un tortillard qui attire l'œil et les vacanciers. Pour Roxane, c'est probablement son unique amour, sa vie étant physiquement liée à ce train. Pour le braqueur, c'est le meilleur moyen de fuir. La maréchaussée a vite compris que le couple allait emprunter le Train Jaune. Une cible bien visible pour les hélicos. Il sera facile au capitaine Rospovitch et au gendarme petit Maurice de rattraper le lent convoi. En tant que guide d'occasion, Roxanne connaît tous les aspects du voyage vers l'Espagne. Elle surnomme son “kidnappeur” Tue-Chien. Tel est le nom que les anciens donnaient à ce train de cirque, Mata-Gossos en catalan. Elle possède ses propres raisons de l'aider. Tue-Chien avait aussi les siennes quand il commit ce triple meurtre à Villefranche-de-Conflent. En face, ce n'est pas seulement la jalousie qui anime Rospovitch. Quant à petit Maurice, ses fantasmes sur Roxane sont une bonne raison de la poursuivre. Après une nuit de répit à Font-Romeu, où le couple devient intime, il leur faut essayer de rejoindre Latour-de-Carol. Mais ce serait oublier que le Train Jaune fait l'aller-retour vers la vallée de la Têt et Villefranche... Le polar et le train sont intimement mêlés, depuis toujours. Pas seulement parce que c'est dans les gares que furent diffusés les romans populaires. Surtout, un train est un endroit clos en mouvement. Si les évènements se produisent donc à l'intérieur, la vie ne s'arrête jamais à l'extérieur. Le train avance, progressant comme l'intrigue à suspense, jusqu'à ce dénouement qu'en terme ferroviaire on nomme terminus. Pas la peine de théoriser sur la question, d'autant moins s'agissant d'un auteur tel que Serguei Dounovetz. Il connaît son sujet. Enfant du rock et de la marginalité, il sait que beauté et noirceur se confondent, que la réussite est plus rare que l'échec. Et qu'il est utopique de croire en un harmonieux équilibre dans la réalité. Par exemple, il nous présente ici un type sorti de nulle part et une jeune femme fière de son identité locale. Ces deux-là ne peuvent former un couple, leurs destins sont trop éloignés. Au hasard d'un aiguillage, les rails de leurs vies peuvent se croiser, oui. Rencontre fatalement intense, puisqu'on les pourchasse. L'être humain est parvenu à créer une ligne de chemin de fer, qui fait toujours partie du réseau français, dans ce décor entre vallées et montagnes. Résistant à la normalisation, on y a maintenu un atypique train aux couleurs de la Cerdagne. À une époque où les passagers des TGV ne regardent plus les paysages, voilà une initiative qui ne pouvait que séduire l'auteur et son préfacier, Jean-Bernard Pouy. Authenticité d'un train et de son environnement, qui offre également de la crédibilité à ce noir récit. Voilà la preuve qu'on trouve encore des trains et des polars moins formatés.
Tue-chien : le troisième rail de la ligne du train jaune, le rail porteur de l’électricité. Les uns poursuivent les autres sur cette route de la retirada, ce sentier de l’amour que balise la haine. Et le filet d’espoir qui guide la fuite de ce couple de hasard aux couleurs libertaires se tarit sous les coups de l’implacable réalité |
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