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JEAN-MARC DEMETZ |
Le Doigt Du SangAux éditions KRAKOENVisitez leur site |
2347Lectures depuisLe samedi 11 Mai 2013
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Une lecture de |
Éric Lallot, cinquante-et-un ans, cent-quinze kilos, est le patron du restaurant Le Gusto au cœur du Vieux-Lille. Ce cuisinier s'est beaucoup investi pour figurer parmi les meilleurs. Assisté d'Olivier, ex-légionnaire et as des fourneaux, Éric sert une clientèle de gourmets aisés. Sans doute s'est-il montré trop ambitieux et optimiste à outrance. Aujourd'hui, il est lourdement endetté. Par ailleurs, ayant perdu au jeu, il doit aussi une belle somme à son ami Bob. On lui envoie une paire de brutes afin de lui rappeler qu'il doit payer d'urgence. Ceux-ci lui tranche un bout de doigt, pour qu'il mesure la menace. Mais il n'y a pas que des soucis dans la vie d'Éric. Sa compagne Sandrine, trente-cinq ans, vient d'accoucher de leur bébé, Lucas. À part une légère particularité du nouveau-né, Éric devrait savourer le plaisir d'être père. Son enfance n'ayant pas été si rose, il hésite pourtant à assumer un rôle paternel qu'il n'a pas exactement choisi. Le notaire Wobart vient opportunément proposer un contrat mirifique à Éric. Son client est un homme fortuné revenu en France après avoir fait fortune aux États-Unis. Il l'engagerait pour dix jours, dans son château. En contrepartie, il paierait toutes les dettes d'Éric, avec même un joli bonus. Voilà une offre que le cuisinier ne peut refuser. On le conduit bientôt chez son riche client. Éric s'aperçoit que le château est celui du village de son enfance, qui appartenait alors à la dominante famille Glorieux. Industriels paternalistes employant des milliers d'ouvriers, ils s'enrichirent grâce à la toile de jute. Plusieurs décennies plus tôt, leur empire s'écroula, en grande partie à cause des nouvelles matières textiles. La grand-mère d'Éric tenait un bistrot dans le village. Sa mère, il en garde un souvenir mitigé, car elle le culpabilisa longtemps. Sylvaine, employée au château, est de la même génération qu'Éric. Le retour d'Éric par ici semble un peu la contrarier. Le château est resté à l'abandon pendant une vingtaine d'années. C'est Antoine Glorieux, ultime descendant de la lignée, qui l'a fait récemment rénover. D'ailleurs, la cuisine est toute neuve, le nec plus ultra. Désormais septuagénaire, Antoine Glorieux largua un jour sa famille new-yorkaise, avant de devenir un artiste-peintre très coté. Ses œuvres lui ont permis d'amasser une belle fortune. Il vit maintenant avec la séduisante Jennifer, qui ne fait pas ses quarante-quatre ans. Éric concocte ses meilleurs plats, dont Glorieux peint le résultat chaque jour. Mais le cuisinier sent une vive hostilité de la part d'Adrien, le mari de Sylvaine, un rustre ne s'exprimant qu'en patois. Éric doit sans doute lui imputer les deux incidents dont il est victime. Il n'est pas convaincu que Jennifer soit une alliée, non plus. Restant sur ses gardes, Éric s'interroge sur le généreux contrat de Glorieux. Probablement a-t-il raison de craindre la suite des événements... Les bons polars, aux intrigues bien pensées et construits avec soin, sont nombreux. Si la narration est fluide, ces romans sont généralement très plaisants. Certains auteurs vont plus loin. Une véritable tonalité se distingue dans leurs suspenses. Jamais aucune lourdeur n'apparaît dans le récit, aussi dense soit-il. Cette ambiance qu'on nous décrit, elle sonne juste. Ces personnages, parfois étonnants, on leur a apporté une grande crédibilité. Les cogitations des protagonistes ou leurs souvenirs, tout ça est légitime. L'auteur a su trouver le meilleur tempo pour nous raconter les faits, peaufinant les situations afin qu'elles ne soient jamais artificielles. Jean-Marc Demetz fait partie de ces romanciers réussissant, grâce à leur ton personnel, à nous entraîner dans de passionnantes histoires. Énigmatique, ce polar l'est logiquement. On y trouve bien d'autre chose. La comparaison artistique entre cuisine et peinture, par exemple. L'introspection inévitable, avec une mélancolie envahissante, lorsque quiconque revient en pèlerinage sur les lieux de son passé, également. Sans négliger un aspect social, quand on nous rappelle le poids qu'eurent ces industriels du nord de la France. Et le paysage de ces cités ouvrières peu propices à la révolte : “Glorieux tenait ses employés dans ces maisons, comme Dieu tient les hommes dans sa main.” Un système ayant de bons côtés, mais qui n'enrichissait que les nantis. Autant qu'une belle intrigue, c'est ce climat-là qui séduit dans un tel suspense. Voilà un roman du meilleur niveau, méritant d'être découvert par un large lectorat. |
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