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PETE DEXTER |
Cotton PointAux éditions POINTSVisitez leur site |
3823Lectures depuisLe jeudi 28 Juillet 2011
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Une lecture de |
Dans la ville de Cotton Point, en Géorgie, on recense six mille citoyens en cette année 1954. On y compte des quartiers de notables comme Sleepy Heights ou Draft Street, et des coins nettement plus miséreux tels Damp Bottoms ou Indian Heights. À Cotton Point, le seul qui prête de l’argent aux Noirs est Paris Trout, un Blanc âgé de cinquante-neuf ans. Cet usurier fait office de banquier dans son arrière-magasin de la rue principale de Cotton Point. Il s’agit souvent de petites sommes, parfois de crédits plus conséquents. Traitant des affaires selon ses propres règles, Paris Trout est impitoyable. Sa froideur le fait craindre d’une large partie de la population. Il n’est pas plus conciliant avec sa femme Hanna. Femme encore séduisante, cette ex-enseignante s’est mariée sur le tard, pour de mauvaises raisons. Si son mari la traite plus que mal, elle n’ose se rebeller. Paris Trout ne lui a jamais rendu la forte somme qu’elle lui avait prêtée. Pour récupérer une créance, Paris Trout et l’ancien flic Buster Devonne se sont rendus dans la famille de Mary McNutt, des Noirs d’Indian Heights. Énervement et confusion ont entraîné la mort de la jeune Rosie Sayers, 14 ans, qui habitait là. Mary McNutt est gravement blessée, mais s’en remettra. Paris Trout est assez surpris qu’on veuille lui faire un procès pour si peu, alors qu’il s’estime toujours dans son bon droit. Son avocat Harry Seagraves est conscient que l’état d’esprit de ce client particulier va sérieusement compliquer les choses : “Sûrement, Paris Trout refuserait d’admettre que c’était mal d’avoir tiré sur une femme et une enfant. Il y avait longtemps, il avait passé un contrat avec lui-même qui ignorait la loi, et étant la seule partie intéressée, il s’y tenait. Il avait des principes, littéralement. Sa notion du bien et du mal était absolument personnelle.” Face au procureur, Paris Trout confirme qu’il n’a fait qu’appliquer ses règles. S’il estime que son statut local plaide pour lui, dans ces circonstances fâcheuses, Paris Trout aurait bien besoin du soutien de son épouse. Violentée sexuellement, forcée d’avaler de la nourriture avariée, et blessée par des tessons de vaisselle, Hanna ne supporte plus son mari. Elle tente d’alerter le médecin qui la soigne des délires de Paris Trout. Il a même transformé sa propre chambre en camp fortifié. Hanna finit par exiger qu’il quitte la maison. À l’hôtel où il s’installe, on a peur de lui, d’autant qu’on le sait armé. Pour préserver les apparences, l’avocat essaie de raisonner Hanna. “Mon mari est une aberration. Quelque effort qu’on fasse pour lui donner une apparence, on ne change pas la perversion elle-même, on nous demande seulement de la partager. Je me refuse d’être partie prenante dans le meurtre d’une enfant.” Pour elle, le risque de récidive est bien réel. Au procès de Paris Trout, les questions tendancieuses de l’avocat Seagraves ont moins de poids que les témoignages clairs et sincères de Mary McNutt et de sa famille. Payé par l’accusé, Buster Devonne n’est guère convaincant devant la Cour, ses propos étant ouvertement mensongers. Même s’il doit être condamné à une peine légère, Paris Trout fera appel. Par ailleurs, il risque des ennuis avec le Fisc, n’ayant jamais acquitté le moindre impôt. De son côté, Hanna contacte Carl Bonner, afin qu’il s’occupe de son divorce. Un cas excitant pour ce jeune avocat, qui a toujours mené une vie exemplaire. Malgré tout ce qui l’assaille, au nom de ses rigoureux principes, Paris Trout reste combatif… Si ce survol de l’intrigue fourmille de détails, il est loin de résumer l’ensemble de cette histoire. Car ce qui rend ce roman fascinant, c’est la précision avec laquelle l’auteur restitue l’ambiance autour de cette sombre affaire. On est immergé dans cette Amérique des années 1950, avec ses codes moraux et sociaux, dans une petite ville où ces faits criminels ne serait qu’un incident. Certes, il faut y voir une part de ségrégation raciale. Mais le cynisme odieux du détestable Paris Trout va nettement plus loin dans l’abjection. Les règles qu’il observe, à son avantage exclusif, lui apparaissent naturelles, dictées par un Dieu bien arrangeant. Sa conception de la vie se limite à tout traiter comme ses affaires financières, sans exprimer le moindre sentiment. Il est armé en permanence, dans sa sphère privée, ou face à la police et à la justice. Il en a le droit, selon sa vision du monde. Il se croit bon citoyen et affirme ne causer de tort à personne, ce qui est loin d’être vrai. Au-delà de l’égocentrisme, c’est un véritable monstre cultivant une dangereuse paranoïa. “Il a prouvé jusqu’où il était capable d’aller. Les gens ordinaires peuvent envisager ces choses-là dans l’abstrait, mais il ne faut pas confondre les mauvaises intentions et l’état de folie. Nous roulons tous sur la même route, mais Paris Trout n’a pas de freins” admet tardivement son avocat. Ce qui est effrayant, c’est la manière respectueuse dont chacun continue à le considérer: notable controversé, mais si peu inquiété. À vrai dire, il s’agit là d’un personnage intemporel, des gens tels que Paris Trout existent sûrement encore dans notre monde hyper-individualiste. Ce roman noir frisant la perfection a été récompensé par le National Book Award, et adapté au cinéma en 1991 (“Rage” avec Dennis Hopper, Barbara Hershey, Ed Harris, Ray McKinnon). |