Il arrive un moment dans notre existence ou il est indispensable de se retourner et de regarder en arrière notre parcours professionnel et familial. Et il suffit d’un déclic, d’un détail, d’une trouvaille pour que ce qui n’était qu’une envie à l’origine trouve son chemin, sa raison d’être. Un titre d’ouvrage qui trottine dans la tête depuis des années (alors que l’auteur déclare une fois le livre terminé, je me suis bien souvent trouvé à devoir chercher laborieusement le titre qui me manquait) et qui est une réminiscence des mésaventures que son père racontait mais que ses enfants n’écoutaient pas, ou si peu. La drôle de guerre devenait guerre à part entière, au moment de l’arrestation du maréchal des logis Paul Demouzon le 28 mai 1940 et le départ en captivité pour l’Allemagne puis l’Autriche. Il laissait à Lagny sur Marne sa fiancée qui avait dix neuf ans. Il en avait vingt sept. Ils se connaissaient depuis des années et le mariage était proche. Il n’a plus qu’à se faire rembourser les billets du voyage de noce projeté à Venise. La découverte d’un petit carnet publicitaire bleu sur lequel son père, chargé du ravitaillement, avait noté ses déplacements dans la région picarde, puis nordiste depuis le début de son enrôlement mi octobre 1939 et pendant ses années de captivité éveille la curiosité d’Alain Demouzon. Un carnet retrouvé dans un carton dissimulé sous de vieilles photos qu’il décrypte avec minutie. Heureusement son père, en homme méthodique, avait consigné au dos des clichés les lieux, les dates et le nom de ses compagnons, les incorporés du 71ème RATTT, régiment d’artillerie tracté tout terrain. Tandis que sur le carnet figurent les déplacements de son régiment. Des copains, ceux qui restent, auxquels il rendra visite après guerre lors de déplacements en compagnie de ses enfants. Ainsi l’arrivée chez Titard, mon Titard comme il se plaisait à dire, le pâtissier qui proposa aux gamins de se servir en pâtisseries, offrande rapidement jugulée par le père : « pas plus de deux par personne », une restriction de plus. Ce petit carnet et les photos n’étaient que des étapes et afin de mieux comprendre ce périple Alain Demouzon s’est plongé dans les archives de guerre entreposées au Château de Vincennes. Cette plongée dans les années de guerre et d’après guerre ne sont qu’une étape dans ce récit et Suzanne, la mère prend aussi une place importante : en juillet 1936, à seize ans, elle obtient un brevet de capacité pour l’enseignement primaire. Elle apprendra à lire et à écrire aux tout petits. En juin 1940 c’est la débâcle et la transhumance vers Bordeaux. De retour à Paris, elle va travailler dans une compagnie d’assurances. Mais elle n’a plus de nouvelles de sa meilleure amie de l’époque, Lilly, une Juive qui ne pensait qu’à s’amuser afin d’effacer les horreurs. Des dizaines d’années plus tard, Alain Demouzon, enfilant l’imper de ses détectives de romans, retrouvera les traces de celle-ci dans des circonstances qu’il narre avec sobriété. Mais l’auteur ne peut écrire cette saga familiale sans évoquer ses grands-parents maternels et paternels, d’origine rurale et du département de la Meuse, et avaient gardé de bonnes relations avec les Allemands chez lesquels ils avaient été placés en captivité durant la Grande Guerre. Il remonte même à celle de 70, celle qui vit le déplacement des frontières pour l’Alsace et la Lorraine. Des moments de tendresse narrés avec lucidité, et pour gommer ou pour étayer ces souvenirs d’enfance et de pré-naissance, il fait recours à des documents, issus des archives déjà citées, à de courts extraits de livres, des citations empruntes à Marc Bloch, à Sartre, à Saint-Exupéry, à Roger Ikor, dont il connut les fils, et quelques autres, plus des acteurs de l’époque qui font de la figuration intelligente malgré leur notoriété comme Jean-Louis Barrault. Un livre souvenir qui fait du bien, qui permet à l’auteur de renouer avec un passé qu’il n’a pas vécu mais dont il a entendu les péripéties maintes fois narrées, mais écoutées d’une oreille distraite. Le besoin de retrouver des racines et de comprendre, d’analyser de petits faits, de reconstruire sans déformer les anecdotes.
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