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EDWIGE DANTICAT |
Haïti NoirAux éditions ASPHALTE ED. |
1953Lectures depuisLe lundi 6 Novembre 2012
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Une lecture de |
Il existe des lieux dont le nom, lorsqu’il est prononcé ou évoqué, extirpe de notre mémoire des impressions troubles nous ramenant insensiblement à une période juvénile de notre existence. Pourquoi le nom d’Haïti fait surgir dans mon esprit des réminiscences liées à des souvenirs concrets et littéraires, sans avoir jamais mis les pieds sur cette île, ou plutôt demi-île, puisque ce naevus de terre posé sur la mer des Antilles est scindé en deux pays : Haïti et Saint-Domingue, qui à l’origine ne faisait qu’un tout, Hispaniola, et qui alimentent toujours l’imaginaire ? Pour des raisons personnelles et familiales au départ, puis imaginaires alimentées par les lectures juvéniles. Les merveilleuses aventures des pirates, des boucaniers, des flibustiers dont le repaire était l’Ile de la Tortue, qui dépend d’Haïti. Lors de la période adolescente, ce fut aussi la révolte des esclaves, avec Toussaint-Louverture, mais un épisode trop vite noyé, les manuels scolaires préférant s’épandre plus largement sur Bonaparte puis Napoléon Premier, et ses victoires, reléguant en deux phrases le rétablissement de l’esclavage en annulant la loi sur l’abolition de l’esclavage qui avait été décrétée sous la Révolution. Puis d’autres images toujours attachées à Haïti mais qui étaient diffusées par les informations avec les remous politiques : Duvalier alias Papa Doc, et les trop célèbres escadrons de la mort incarnés par les Tontons Macoutes, puis le fils de Duvalier, Baby Doc, et les turbulences enregistrées avec les arrivées au pouvoir d’Aristide puis de René Préval. Les romanciers populaires se sont emparés avec avidité des fameux Tontons macoutes pour écrire bon nombre de romans d’aventures et d’espionnage, mais un autre élément sublimait le tout : le Vaudou. Le 12 janvier 2010, tous les yeux se sont tournés vers Haïti à cause du séisme à répétition qui a frappé l’ouest du pays et sa capitale Port-au-Prince, suivi le 20 janvier de la même année d’une réplique qui aggrave la situation. Ces manifestations sont récurrentes, mais ce fut la plus importante de son histoire. Un endroit paradisiaque dont la frontière avec l’enfer est poreuse, perméable. Tornades, tremblements de terre, éruptions volcaniques composent le lot répétitif des catastrophes qui bouleversent géographiquement et humainement cette partie du monde. Lorsqu’Edwige Danticat a commencé à travailler sur ce recueil, c’était un an avant cette catastrophe et bien évidemment quelques uns des auteurs sollicités ont écrit des nouvelles s’inspirant de séismes précédents. Odette de Patrick Sylvain, Le doigt de Gary Victor, Claire Lumière de la mer d’Edwidge Danticat, Le harem de Ibi Aanu Zoboi, par exemple traitent de ce sujet qui ponctue la vie quasi quotidienne des Haïtiens.
Mais le thème préféré, que l’on retrouve dans quasiment toutes ces nouvelles, c’est bien le Vaudou et les manifestations surnaturelles. Ces croyances sont amplifiées par la superstition ancrée dans l’esprit des populations locales qui en même temps sont profondément marquées par la religion et principalement les différentes confessions protestantes. Si le fantastique et le surnaturel ne sont jamais bien loin, ils sont traités parfois de façon insidieuse et éthérée, dans une ambiance dissimulée. Comme dans Odette de Patrick Sylvain qui cumule les deux thèmes majeurs (surnaturel et séisme) ou L’auberge du Paradis de Kettly Mars, pour ne citer que les deux premières. Mais le surnaturel est également un moyen de pression utilisé par des bonimenteurs face à la crédulité, comme dans Carrefours dangereux de Louis-Philippe Dalembert, nouvelle dans laquelle un personnage essaie de persuader que les victimes de crimes en série sont des humains changés en bœufs. Quand vous voyez ce type de manifestation, des êtres humains qui se changent en animaux, ne diriez-vous pas que le Royaume du Christ est proche ? Ce qui nous ramène à cette collusion ou amalgame Vaudou religion. Les forces de l’ordre sont représentées par des policiers avides, attirés par l’argent, surtout la hiérarchie, mais c’est le lot commun des pays qui subissent la misère et la pauvreté. Troisième thème récurrent qui engendre peut-être le surnaturel. Les profiteurs ne sont pas loin et les enlèvements deviennent un sport susceptible de se faire un peu d’argent, comme dans Rosanna de Robert-Joseph Large. Pourtant certains savent reconnaître les bienfaits, Qui est cet homme ? de Yanick Lahens. Je n’aurai garde d’oublier Laquelle des deux ? d’Evelyne Trouillot qui nous renvoie à un jugement à la Salomon. Bien loin du côté paradisiaque de la carte postale et d’un exotisme de façade, les auteurs nous délivrent leur vision sans fard d’un pays qui est la proie des éléments climatiques, de fausses ONG, des prévarications, de la superstition, de la pauvreté, de la misère mais qui survit grâce à la foi en l’avenir. Ils sont filozof (mot créole qui veut aussi dire savant). Un recueil scindé en trois parties intitulées Magie Noire, Eaux troubles et Noir sur blanc. Avec la participation de Kettly Mars, Gary Victor, Evelyne Trouillot, Madison Smartt Bell, Edwidge Danticat, Louis-Philippe Dalembert, Yanick Lahens, Rodney Saint-Eloi, Marvin Victor, Marie Lily Cerat, M.J. Fievre, Mark Kurlansky, Josaphat-Robert Large, Nadine Pinede, Patrick Sylvain, Marie Ketsia Theodore-Pharel, Katia D. Ulysse, Ibi Aanu Zoboi et de Patricia Barbe-Girault pour la traduction des textes écrits en anglais. |