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DANIEL CARIO |
La Légende Du PilhaouerAux éditions PRESSES DE LA CITEVisitez leur site |
753Lectures depuisLe mercredi 25 Avril 2018
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Une lecture de |
Collection Terres de France. Parution le 15 mars 2018. 448 pages. 20,00€. Un roman cousu main… Le pilhaouer, en Bretagne, c’est l’équivalent du chiffonnier mais qui fait office également de temps à autre de colporteur. Zacharie Le Kamm est membre de cette profession particulière qui demande beaucoup d’abnégation, pérégrinant du matin au soir par les villages et hameaux de la région de Loqueffret dans les monts d’Arrée. Car des pilhaouers, il en existe beaucoup, et chacun possède son domaine de prospection. Les chiffons sont ensuite recyclés, et les plus beaux, ceux de meilleures qualités, seront envoyés dans des papeteries. Zacharie s’est marié jeune avec Clémence, mais ils n’ont pu avoir d’avoir d’enfant, aussi ils ont adopté Violaine à l’âge de cinq ans, la fille d’une voisine qui a connu bien des malheurs avant de sombrer dans la déchéance. Violaine est une enfant renfermée, et à l’école, elle n’ose pas donner les bonnes réponses. La maîtresse d’école l’encourage, et elle aurait pu devenir institutrice ou infirmière, si une des élèves, qui elle possède ses parents, comme il arrive souvent lui fait découvrir son statut d’orpheline et d’enfant adoptée. Le ciel tombe sur la tête de Violaine et elle décide de quitter l’école primaire et ne pas aller plus loin dans ses études. Elle a seize ans (Je croyais qu’à cette époque, l’école était obligatoire jusqu’à treize ans sauf si le certificat d’études primaires avait été obtenu avant !). Quoi qu’il en soit, Violaine se trouve placée auprès d’une vieille dame qui n’a jamais été mariée afin de lui tenir compagnie. Violaine va devoir repousser les avances d’un des frères mariés vivant auprès de la vieille dame, la famille possédant une réputation de profiteurs, d’amasser leur fortune sur le dos des petits fermiers et artisans de la région en rachetant à vil prix leurs maigres fermes et maisons, endettés qu’ils sont à cause des agissements de ces financiers véreux. Et à vingt et un ans, elle va se marier avec le fils d’un notable fortuné de la région. Charles-Damien est un Don Juan de campagne, accumulant les conquêtes, mais Violaine s’est toujours refusée à lui. Pas avant le mariage, c’est un principe. Elle sait trop combien sa mère a été engrossée lors d’une soirée, amourachée d’un inconnu qui n’avait pas laissé son adresse. En 1900 les filles mères étaient rejetées, et malheur à celles qui avaient fauté et n’avaient plus de prétendants. Mais Violaine n’est pas de cette trempe-là et le mariage se profile avec un beau parti, même si des deux côté l’on rechigne. Les parents de Charles-Damien d’un côté, et ceux de Violaine de l’autre. Des parents adoptifs, certes, mais parents quand même. Et pour célébrer l’union, Violaine portera en guise de vêtements de mariée un magnifique gilet et un manchoù, tous deux confectionnés par l’arrière-grand-père de Zacharie, un tailleur-brodeur de Pont-l’Abbé dans le milieu des années 1850. Or cette parure bigouden, qui ne sied guère aux habitants des Monts d’Arrée, surtout les personnages riches et influents se piquant d’être des évolués et ne pas s’attarder à des fadaises bretonnes, cette parure s’est avérée maléfique par le passé. Et Clémence a peur, connaissant l’origine de ces deux pièces de vêtements. Mais Zacharie l’encourage, afin de respecter les traditions bretonnes, quant à Violaine, elle possède un caractère trempé, et n’a cure des réflexions et avis qui pourraient être émis par des personnes qui l’indiffèrent. Lazarre Kerrec était un tailleur-brodeur installé à Pont-l’Abbé dans le pays bigouden, et il était renommé pour l’excellence de son travail. Mais lorsqu’il avait un petit moment à lui, surtout de nuit, il se mit en tête de broder un gilet et un manchoù (corsage) de toute beauté, cachant le fruit de son labeur à sa femme et ses enfants. Or sa femme, quelque peu curieuse, avait déniché les vêtements, mais n’en avait pas informé son mari, par crainte. Or, lorsque sa petite-fille se marie, Marie-Josèphe, la femme du petit tailleur, n’a d’autre idée folle que de lui proposer d’enfiler l’ouvrage de son grand-père. Lazare est atterré lorsqu’il voit sa petite-fille ainsi attifée, mais il est trop tard. Le mal est fait, les malheurs commencent à s’accumuler sur cette famille comme les nuages porteurs d’orages. Lazare est obligé d’avouer à sa femme qu’il a passé un pacte avec le diable pour une si belle réalisation.
Si le corps du récit est quasiment consacré à Violaine, à ses malheurs, à ses pérégrinations, à ses espérances, ses désillusions, puis à son mariage, avorté, la genèse est bien cette parure destinée à personne, comme le chef d’œuvre des maîtres artisans dans le temps, un objet qui n’était qu’une réalisation pour prouver leur compétence, leur savoir-faire, un objet unique. L’orgueil de Lazare Kerrec l’a poussé à broder un vêtement unique, qui ne devait pas être porté, peut-être même pas vu de ses concitoyens, de sa famille. Le pacte avec le diable, légende ou réalité, comme souvent dans ce cas, lorsque quelque chose est trop beau pour avoir été réalisé sans aide extérieure et démoniaque, est un thème qui revient souvent dans les romans de terroir. Daniel Carrio remonte le temps, nous présentant d’abord Zacharie Le Kamm, âgé de quatre-vingt-dix ans, offrant cette parure au musée départemental breton, en cet hiver 1950. Puis, il nous décrit les différents personnages qui vont évoluer dans cette intrigue, s’attachant sur celui de Violaine, mais également sur les familles plus ou moins en vue, leurs antécédents familiaux, leurs comportements, leur moralité douteuse, des ramifications dans l’histoire, afin de mieux les cerner. Si l’épilogue est prévisible, quoi que, c’est le regard des ruraux qui importe, tout au long du récit. Le statut actuellement de fille-mère n’est plus un objet d’opprobre, pourtant dans certains coins reculés de la ruralité, cela reste un tabou. Et comme le chantait Georges Brassens, les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux… Mais qui sont ces braves gens, et n’ont-ils rien à se reprocher eux-mêmes ? C’est le roman de la tolérance, des petites gens, de la misère et de ceux qui savaient se contenter de ce qu’ils possédaient sans vouloir regarder dans le jardin des autres pour savoir si les légumes y sont plus beaux. C’est le roman également de la pugnacité lorsque Lazare se met en quête dans un contexte difficile.
La beauté est une notion très subjective, vous savez. Une femme n’est belle que pour l’homme qui sait la regarder.
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