|
|
THOMAS H. COOK |
Danser Dans La PoussièreAux éditions SEUILVisitez leur site |
1181Lectures depuisLe mardi 19 Decembre 2017
|
Une lecture de |
Le Lubanda est un état de l’Afrique subsaharienne dont le destin a été chaotique depuis une vingtaine d’années. Pourtant, quand le président Dasaï fut élu démocratiquement, une période d’équilibre s’annonçait. Avec la bénédiction des Occidentaux, et leur soutien matériel. Mais le dictateur Mafumi prit le pouvoir, éliminant cruellement son prédécesseur, instaurant un régime basé sur la violence. Deux décennies dramatiques s’ensuivirent. De nos jours, un nouveau président règne à Rupala, la capitale, et sur un pays qui reste pauvre. Ce dernier peut espérer de nouveau l’aide internationale grâce à un organisme, le Mansfield Trust, dont le principal dirigeant actuel, Bill Hammond, connaît fort bien le Lubanda. Enseignant de formation littéraire, Ray Campbell s’engagea à l’époque du président Dasaï dans une ONG soutenant des projets dans ce pays. Il était animé d’un certain idéalisme, comme Bill Hammond qu’il rencontra alors, ce qui n’était pas absurde car le contexte s’y prêtait au Lubanda. Sur place, il fit la connaissance d’une femme blanche, Martine Aubert. D’origine Belge, elle était née ici et se sentait viscéralement attachée à cette terre. Elle y tenait une ferme traditionnelle, entretenant de bonnes relations avec la population noire. Le président d’alors ayant lancé le programme "Harmonie des Villages", Fareem — émissaire de l’administration Dasaï — veillait à ce que tout se passe bien. La stabilité ne dura pas au Lubanda. Quand les rebelles de Mafumi s’imposèrent, Martine fut sommée de restituer ses terres ou de partir. Elle se lança dans une lutte inégale contre le nouveau pouvoir, avant d’être sauvagement assassinée sur la route de Tumasi. Bien des questions resteraient en suspens pour Ray Campbell, qui retourna aux États-Unis. Voilà dix ans, il tenta un retour dans ce pays, mais n’eut pas la force d’aller jusqu’au lieu où la jeune femme fut tuée… Désormais installé à New York, Ray Campbell est le patron d’une société de conseil en investissements. L’évaluation des risques de placements financiers, ça rapporte gros et c’est un métier où le danger n’existe que pour la clientèle fortunée. Bill Hammond contacte Campbell quand Seso Alaya est retrouvé assassiné dans un hôtel minable de New York. Cet Africain fut autrefois l’assistant de Campbell au Lubanda. Seso Alaya apportait quelque chose de précis à Bill, que l’on n’a pas retrouvé. Le policier Max Regal ne mènera qu’une enquête de routine, même si Seso n’était pas un de ces petits trafiquants dont il a l’habitude. Bill charge son ami Ray de découvrir la vérité sur ce crime. Ce qui conditionne clairement l’aide financière que le Mansfield Trust accordera ou pas au Lubanda, qui a un problème urgent avec ses orphelins de l’ethnie Lutusi. Trois mois plus tard, Ray Campbell dispose de tous les éléments pour revenir au Lubanda, et y rencontrer le nouveau président… (Extrait) “C’est pourquoi il me parut tout naturel, à la suite du meurtre de Seso, de me surprendre à remonter le temps, revoyant Martine dans les lueurs du couchant, les silhouettes des Lutusi avançant devant l’horizon rougeoyant alors que nous étions assis au pied d’un arbre au tronc noueux, laissant errer notre regard sur la savane. Parfois des babouins se glissaient, furtifs, hors des ténèbres, chipaient la première chose à leur portée puis filaient aussitôt dans les buissons en poussant des cris qui, à nos oreilles, passaient pour l’expression d’une joie sans mélange. Martine ne les chassait jamais et se formalisait peu de leurs larcins car, hormis les réserves de nourriture mises sous clef, il n’y avait là rien de valeur. Mes réminiscences ne me ramenaient pas toujours au Lubanda. Un soir, assis seul dans mon appartement, il me revint à brûle-pourpoint une conversation que j’avais eue avec Bill Hammond peu après son tout dernier voyage dans ce pays oublié des dieux…” Thomas H.Cook est un écrivain beaucoup trop lucide pour prétendre résumer dans une fiction la complexité politique, économique et sociale de l’Afrique. Notre vision occidentale est général faussée par nos critères. Qu’elle soit utopiste ou pragmatique, notre conception de la vie ne correspond pas forcément à celle des peuples africains. Ils n’ont pas de raison de refuser l’aide humanitaire ou financière, mais des moyens de développement autonomes vaudraient sûrement mieux. L’Afrique et ses démons : avec une logique du genre "un tyran chasse l’autre", entre corruption, crime, chaos et colonialisme diffus, aucune nation ne peut être fière d’elle-même. Justement, c’est ce sentiment de fierté qui anima Martine Aubert et qui, dans une énième tourmente armée, causa sa mort. Comme souvent chez cet auteur, on navigue entre passé et présent, souvenirs et faits plus récents. Pourtant, de l’Afrique à New York, ça ne complique pas tant l’intrigue. Car c’est le cheminement de pensée du narrateur – Ray Campbell – qui nous guide. Ne passons pas à côté de belles subtilités. Par exemple, quand Martine et Ray se rencontrent, ils ont tous deux environ vingt-cinq ans. Se sent-il vraiment amoureux de la jeune femme, où n’éprouve-t-il pas plus exactement du respect pour la détermination de Martine ? Le portrait du sanglant dictateur Mafumi exprime, au-delà de la griserie délirante du pouvoir, une fascination de tels personnages pour des despotes de naguère. Autre cas, c’est pour avoir voulu être honnête jusqu’au bout que Seso Alaya a été assassiné. Des nuances que l’on note à propos de tous les protagonistes, ainsi que dans les ambiances. Thomas H.Cook figure parmi les plus brillants auteurs de romans noirs, ce que confirme une fois de plus cette histoire. Peut-être parce que, en plus de l’aspect littéraire, il nous fait partager une émotion, une empathie, un regard. Si la géopolitique apparaît en filigrane dans le récit, c’est l’humain qui prime – avec ses meilleures et ses moins honorables facettes. |
Autres titres de |