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CHAN HO-KEI

Hong Kong Noir


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Le mercredi 1 Decembre 2016

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 CHAN HO-KEI




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Kwan Chun-dok fut considéré comme le meilleur policier de Hong Kong. Sa carrière, qui débuta en 1967, dura trente ans. En 1997, il était tout juste quinquagénaire, alors on créa pour lui un poste de conseiller spécial, afin qu’il aide les enquêteurs de son ancien service, la section B du CIB, sur des cas que lui-même choisissait. C’est ainsi que Kwan devient le mentor de l’inspecteur Lok, disciple qui le sollicite jusqu’à la fin. Car hélas, en 2013, le vieux policier est mourant. Dans un coma terminal, il gît sur le lit d’une clinique. S’il ne peut réagir, Kwan entend et comprend les propos tenus autour de lui. C’est pourquoi l’inspecteur Lok a réuni dans cette chambre cinq membres de la famille Yue, entre autres propriétaires de la clinique de la Charité.

Il s’agit de résoudre le meurtre dont a été victime de M.Yuen, le PDG de cette puissante entreprise familiale, gendre de son fondateur M.Yue. On a pu croire que c’est lors d’un cambriolage ayant mal tourné qu’il a été tué. Mais aucune trace n’indiquait qu’un voleur soit venu de l’extérieur. Et tout le monde ne sait pas utiliser l’arme du crime, un fusil de pêche sous-marine. En outre, l’assassin a agi autour d’une cérémonie à la mémoire de la défunte épouse de M.Yuen. L’inspecteur Lok comprend qu’il est bon de se pencher sur la vie de chacun des membres du cercle des Yue. Grâce à un bricolage informatique simple et efficace, Kwan Chun-dok transmet (par oui ou par non) ses impressions à son disciple. Néanmoins, les secrets des Yue sont complexes, rendant l’affaire épineuse…

Dix ans auparavant, l’inspecteur Lok avait succédé à Kwan en tant que chef du CIB. Après une opération de police ratée contre le banditisme hongkongais, il enquêta sur les grands patrons de deux triades majeures, la Société de l’Infinie Justice et la Tige de la Florissante Loyauté. Le fils acteur de Grand-père Ngok, un des caïds, fut agressé. Sans doute pour avoir trop approché Tong Wing, une jeune artiste de dix-sept ans, la protégée de Chor, le second caïd. Puis la police reçut une vidéo, bientôt diffusée sur Internet, où Tong Wing était attaquée par des malfaiteurs. Sur les lieux, Lok comprit que le cadavre de la jeune fille avait sûrement été emporté par les tueurs. Kwan Chun-dok était resté dans l’ombre, mais il suivait de près l’affaire, l’embrouillant même pour que la vérité soit faite…

C’est à l’époque de la rétrocession de Hong Kong à la Chine que Kwan quitta son poste au CIB, en 1997. Son adjoint Tsoy était son successeur légitime, Lok n’étant encore qu’un inspecteur de l’équipe. Tandis que Kwan va devenir "conseiller spécial", reste à traquer les frères Shek, des truands dont l’un d’eux s’est tout juste échappé de prison… En 1989, et dès 1977, Kwan Chun-dok montra sa perspicacité dans des dossiers compliqués. Mais il faut remonter en 1967 pour saisir ses motivations profondes. Vaguement employé et livreur, le jeune homme envisage d’entrer dans la police. Bien que ça ne paraisse pas un métier honorable à beaucoup de gens, et qu’il ne soit pas sans dangers.

À cette époque, surgissent de violents conflits sociaux à Hong Hong. Les policiers sont la cible des grévistes, en tant que symboles de la répression dirigée par les Britanniques. La tension est forte avec la Chine voisine, les partisans de Mao manipulant les ouvriers. Un jour, dans la chambre voisine de la sienne, Kwan Chun-dok entend une conversation entre comploteurs. Préparant un attentat sanglant, ils passeront très bientôt à l’action. Kwan en identifie l’instigateur, le nommé M.Chow. Il va donner un sacré coup de main à Ah Sept, l’agent 4447, un policier fréquentant son quartier. Ce qui lancera sa carrière personnelle…

(Extrait) “Le meurtre était confirmé, et la nouvelle redoubla l’attention que le public portait à l’affaire – plaçant les enquêteurs sur le gril par la même occasion. Lok et ses hommes devinaient qu’ils allaient bientôt voir l’état-major se pencher sur leur travail. Ils comptaient en particulier sur l’aide du bureau du crime organisé. Mais aucun policier n’aime à se voir dépossédé d’une affaire en cours ; il voit sa propre valeur rabaissée, celle de ses efforts passés niée. Aussi leur moral était-il au plus bas, et le découragement commençait-il à pointer à mesure que les pistes explorées se révélaient aussi improductives les unes que les autres. C’était la première fois que Lok était responsable en personne d’une enquête après dix-sept années dans la police, et la pression commençait à lui peser. Plus il s’angoissait, moins il parvenait à réfléchir sereinement.

Le lendemain de la découverte, il se retrouva à contempler la photo encadrée sur son bureau qui le représentait avec Kwan Chun-dok. Il décida d’aller le voir le soir-même pour accorder un peu de répit à sa propre cervelle torturée…”

On peut hésiter à se plonger dans ce pavé de 660 pages. Et la perspective de situer les personnages aux noms asiatiques peut rebuter. Eh bien, on aurait tort. Car il s’agit d’un roman fascinant, le mot n’est pas exagéré. Un "roman", alors que six enquêtes nous sont présentées ? Oui, cette histoire se lit effectivement en continuité, et non comme une suite de nouvelles. Avec le policier émérite Kwan Chun-dok (et son adepte l’inspecteur Lok), on vit à l’heure de Hong Kong. Quelle ville étrange, énigmatique, à la géographie mal définissable, fourmillante de vie, mais aussi de trafics et de crimes, depuis bien longtemps sous l’emprise de triades mafieuses ! Au fil du récit, on va remonter le temps par étapes, en des années marquantes, d’aujourd’hui jusqu’à l’époque d’émeutes qui agitèrent ce qui était alors une colonie britannique.

Dans la postface, il est intéressant de lire l’explication par l’auteur de sa démarche. Entre romans “orthodoxes” (où prime l’enquête) et “sociétaux” (avec le réalisme des situations), il a choisi d’utiliser ces deux facettes, de ne pas en privilégier une d’elles. Il est vrai que nous découvrons des intrigues passionnantes, parfaitement conçues et racontées, autant qu’un contexte spécifique. De nombreux soubresauts jalonnent l’Histoire de Hong Kong, avec leur impact sur les forces de police. Telle une horloge détraquée, le mécanisme qui la fait fonctionner s’est parfois grippé, et ça continue à l’ère chinoise. Mais peut-être y a-t-il des habitants qui, à l’instar de Kwan et Lok, entretiennent les pièces défaillantes – en nettoyant les impuretés qui salissent Hong Kong.

Pour l’anecdote, on notera que les dictons ont leur place dans l’esprit des Chinois de cette ville. Sans oublier la notion de bluff, présente dans une grande partie de ces enquêtes. La police doit s’avérer plus rusée que les criminels, n’est-ce pas ? Ce qui introduit une part de complicité avec le lecteur. Loin d’un exotisme de pacotille, subtil et entraînant, “Hong Kong noir” est un remarquable roman à suspense, qui se lit avec délectation.

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