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HERVE COMMERE |
Ce Qu’il Nous Faut C’est Un MortAux éditions FLEUVE NOIRVisitez leur site |
443Lectures depuisLe jeudi 22 Juillet 2016
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Une lecture de |
Vrainville est une petite bourgade normande au bord de la Manche, non loin de Dieppe. On y vit plutôt bien, car l’économie locale est depuis longtemps florissante grâce aux Ateliers Cybelle. C’est après la Première Guerre Mondiale que Gaston Lecourt entreprend de créer une activité qui profitera à toute la population. Une fabrique de sous-vêtements féminins voit bientôt le jour, employant toujours davantage de couturières. Gaston Lecourt négocie d’abord avec une acheteuse parisienne, puis développe la diffusion des produits haut-de-gamme des Ateliers Cybelle. On construit à Vrainville cent quarante-neuf maisons pour loger le personnel, sans exiger de loyer. Gaston Lecourt met à disposition de tous son vaste appartement parisien et sa grande villa, pour des activités de loisirs. Son fils Marcel Lecourt prend sa succession, restant dans la ligne édictée par le créateur des Ateliers Cybelle. Le premier samedi d’août reste la fête rituelle en mémoire de Gaston Lecourt ; le jour où les ouvrières reçoivent leur prime annuelle, aussi. Les sous-vêtements se vendent toujours aussi bien, assurant encore la prospérité de Vrainville. Ensuite, c’est le fils de Marcel, Vincent Lecourt, qui reprend les rênes de la fabrique, assisté par sa sœur Hélène. Dans le même temps, son ami assureur Patrick succède également à son propre père, à la mairie de Vrainville. Étant déjà patron, Vincent n’a pas visé le poste de maire. Il envisageait une autre carrière, les circonstances l’ont amené à suivre la voie familiale. Il y a le cas de leur autre ami de jeunesse, Maxime, responsable du C.E. aux Ateliers. Orphelin, Maxime fut élevé par sa grand-mère. On s’étonne ici qu’il soit resté à Vrainville, alors qu’avec son talent, il aurait pu connaître un autre destin. On le suppose attaché à la bourgade où il a toujours vécu. Mécanicien d’entretien à la fabrique, Maxime s’est marié avec Marie, employée aux Ateliers Cybelle. Par le passé, Marie a traversé une épreuve qui marqua sa vie. Âgée de dix-neuf ans, future aide-soignante en études à Nancy, elle fut une des trois victimes d’un violeur. On la rapatria rapidement dans son village natal, qu’elle n’a plus quitté depuis. Ces viols se produisirent dans la nuit du 12 juillet 1998, à l’heure où les footballeurs français furent sacrés champions du monde. Entre Dieppe et Vrainville, une autre affaire eut lieu la même nuit, un accident de voiture. Vincent, Patrick et Maxime étaient à bord de la 205 GTI du premier, rentrant chez eux à la suite d’une soirée arrosée. La voiture des trois étudiants heurta la jeune Fanny, habitante de la commune. Lâchement, ils quittèrent les lieux, non sans avoir été repérés par le clan Lecarré, des marginaux bagarreurs qui firent après coup chanter Marcel Lecourt. Si le violeur de Marie fut arrêté, cet accident ne fut jamais élucidé. Sortie du coma handicapée, Fanny mit de longues années à se reconstruire, devenant finalement webmaster. Chacun des trois jeunes poursuivit son parcours jusqu’à aujourd’hui. Il convient aussi de citer la jeune Mélie née le 12 juillet 1998 à Marseille, admiratrice des Ateliers Cybelle ; et William, policier Noir, de parents Réunionnais, qui venaient en vacances à Vrainville autrefois. La crise économique ! Les délocalisations, la compétitivité, le ralentissement de l’activité ! Les Ateliers Cybelle sont à leur tour touchés par le problème. C’est pourquoi, bien que lui-même continue à vivre dans le luxe, Vincent Lecourt a décidé de vendre son entreprise à un fonds de pensions américain, le Cabinet Barns. Un jeune avocat français cynique est chargé de préparer le rachat. Ou plutôt, de mettre la pression sur l’ensemble du personnel à commencer par le Comité d’Entreprise. D’imposer des loyers, jusqu’alors gratuits, et surtout de désorganiser la production des Ateliers. Mélie, engagée depuis peu, et Maxime motivent la population pour s’opposer au rachat. C’est seulement quand il y a un mort que les médias s’intéressent au combat solidaire des ouvrières des Ateliers Cybelle…
Il est vrai que le monde bouge, que l’économie change, que la mondialisation a bouleversé les pratiques commerciales, que nous devons tous nous y adapter. Il est certain que des entreprises parfois centenaires ne peuvent plus fonctionner dans l’esprit des fondateurs, qu’elles ne peuvent plus être aussi généreuses avec leur main d’œuvre. Pourtant, cette approche comptable – donc dénuée d’imagination – de la gestion de sociétés, est-ce vraiment une fatalité ? Chacun rend l’autre responsable : les dirigeants d’entreprises qui fabriquent accusent le commerce de tirer les prix vers le bas. Les clients gagnent moins, dépensent moins, et c’est ainsi que déclinent les entreprises. Néanmoins, le train de vie des décideurs économiques n’a pas baissé, ni celui des actionnaires principaux. Quant aux cercles de la finance, ils se portent très bien, jouant avec des milliards. En ces temps de crise, c’est une grande partie de la population qui subit les conséquences de la baisse du pouvoir d’achat. Certes, on ne nous le cache pas, les médias relatent des cas houleux ou douloureux à travers la France. En se gardant bien de désigner les vrais fautifs, de dénoncer la connivence entre l’univers financier et ces "grands patrons" qui se moquent du sort de leur personnel. Plus facile de s’en prendre aux politiciens impuissants. Quant à ce qu’on appelait autrefois la solidarité ouvrière, elle a généralement disparu : on réclame des indemnités pour soi quand l’entreprise ferme, les autres on s’en fiche. Voilà la triste réalité. Il peut y avoir des situations différentes, plus réactives tant que l’esprit d’union existe encore. Ces exemples se font rares. C’est ce qu’Hervé Commère illustre remarquablement dans ce "polar social". Cette histoire est un chassé-croisé de personnages. Puisqu’ils représentent la population, au-delà même de ce village, c’est légitime. On n’a pas de mal à discerner chacun dans son rôle, sans qu’il y ait la moindre caricature. À part des gens plus pervers que la moyenne, hermétiques à toute humanité tel l’avocat, il n’y a là ni gentil, ni méchant. Bien sûr, par égoïsme, le patron Vincent n’est plus dans la ligne de son aïeul, mais sa sœur Hélène tente de rester la garante des idées d’origine. Celle-ci admet qu’eux d’eux ne sont pas des victimes, contrairement au personnel des Ateliers Cybelle. Sauver cet outil de production, cela exige de s’engager, de se battre, d’y croire toujours. La jeune Mélie n’est pas la seule à "en vouloir" : on appréciera la façon dont elle humilie l’avocat. Pour ce qui est de faire connaître leurs revendications, il est évident qu’une mort suspecte attirera les médias. Pour qu’on parle de "polar social", il est nécessaire qu’apparaisse un aspect criminel, voire plusieurs. Cette base est présente dès le début du scénario. Un viol et un accident, qui ont modifié tant de choses dans le parcours des victimes ! Puis intervient une autre mort, peut-être un suicide, ou un meurtre ? Si William, policier Noir de 38 ans, doté d’une ravissante épouse et d’un charmant bambin, suit les faits se déroulant à Vrainville, ce n’est pas strictement pour mener l’enquête. Plutôt pour comprendre ce qui a changé depuis son enfance dans ce village, naguère quasi-paradisiaque. Sa couleur de peau suscite un brin de racisme, mais lui octroie une position neutre dans le conflit social en cours. Si le puzzle est complexe – les êtres humains et leurs actions étant ainsi faits, Hervé Commère organise magistralement son récit. Un roman noir "véridique", a lire absolument.
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