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MAREK CORBEL |
Les Gravats De La RadeAux éditions WARTBERGVisitez leur site |
1755Lectures depuisLe vendredi 25 Septembre 2015
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Une lecture de |
Le capitaine de gendarmerie Laurent Gourmelon est en poste à la Brigade Territoriale du Conquet, dans le nord-Finistère. Avec son adjoint, le maréchal-des-logis Rivoal, ils doivent intervenir après un incendie dans une propriété de Plougonvelin, au Trez-Hir. La victime est Marie Le Moign, née Manach, âgée de quatre-vingt-huit ans. Cette dame en fauteuil roulant n'est pas décédée à cause du sinistre : elle a été abattue par une arme à feu, dont l'origine est mal identifiable. Mme Le Moign était fortunée, grâce à la vente de l'entreprise porcine fondée par son défunt époux, dont la marque de pâtés reste célèbre. Il y eut un conflit familial entre héritiers, le fils Yann Le Moign (avec sa bourgeoise épouse) captant l'essentiel au détriment de sa sœur Nicole. Homosexuelle, celle-ci partit vivre à l'étranger. C'est pour d'autres raisons que, jadis, les deux frères de Mme Le Moign fuirent la France. Âgée de quarante ans, Sahliah Oudjani est lieutenant à la gendarmerie maritime de Brest. Ancienne sportive, cette franco-algérienne est native de Roubaix. Si elle reste en contact téléphonique avec son père et sa tante, Sahliah Oudjani se considère en exil au bout de la Bretagne. Heureusement, elle s'est trouvée une amie, Wahiba. Enquêter sur la mort d'un Allemand venu se suicider à Brest, ça l'intéresse moyennement. Dans les années 1970 et début des années 1980, Hans Schwitzer fut un activiste de la Fraction Armée Rouge. Un membre de la Bande à Baader, un proche terroriste Carlos, qui passa ensuite de longues années en prison. Pourquoi venir mourir dans cette ville avec laquelle il ne semblait avoir aucun lien ? Là encore, on a des difficultés à déterminer quelle arme il a utilisé. Wahiba fait remarquer à Sahliah qu'il peut exister un rapport avec la mort de Mme Le Moign. L'institutrice Maryse Pereira-Dantec habite en Seine-Saint-Denis. Son père communiste Jean Dantec fut durant quelques décennies maire de la ville, avant de retourner vivre dans le Finistère. Viviane, la sœur avocate de Maryse, s'est éloignée vers le sud de la France. Désormais retraitée, l'institutrice prépare un mémoire de thèse concernant Brest au temps de la Seconde Guerre Mondiale. Résistant FTP à l'époque, son père lui en a souvent parlé, mais elle a besoin de bien davantage de témoignages documentaires. Jean Dantec étant hospitalisé, Maryse sera sur place pour lui autant que pour son étude historique. Certains vieux communistes locaux et les journaux collabos d'autrefois lui permettent d'avancer dans ses recherches. En octobre 1943, l'arrestation d'un groupe de Résistants brestois, transférés à la prison Jacques-Cartier de Rennes, est un épisode important de la guerre. Le capitaine Gourmelon et la lieutenant Oudjani vont faire équipe, avec la bénédiction de leurs supérieurs. D'ailleurs, Sahliah a été dessaisie de son enquête au profit du policier Maurice Bonizec. Sans doute ce flic est-il peu fiable, mais il enrage quand la DCRI décide que la mort d'Hans Schwitzer mérite d'être vite classée. Les juges d'instruction des deux affaires apparaissant fort frileux, heureusement que le supérieur de Gourmelon soutient le capitaine. Les héritiers de Marie Le Moign sont-ils à mettre trop vite hors de cause ? Que le maréchal-des-logis Rivoal soit un passionné de généalogie va être utile à l'enquête de Gourmelon et Oudjani. Les travaux de Maryse Dantec les aideront également à éclairer un aspect de la sombre histoire brestoise du temps de la Résistance… Afin de ne pas en dévoiler davantage, contentons-nous de rappeler qu'il a toujours existé des nuances et des divergences dans les idéologies communistes. Durant la guerre, pour les occupants nazis et leurs amis collabos, ça ne faisait aucune différence, il est vrai. Si l'enquête se passe au début des années 2010, c'est bien dans le passé qu'il convient de fouiller pour établir la vérité. Avec deux héros qui ne manquent pas de caractère. Sahliah Oudjani la Nordiste a toujours dirigé sa propre vie, tout en respectant sa famille. Laurent Gourmelon, divorcé, père de deux filles, est moins agressif et plus méthodique qu'elle, mais tout aussi obstiné. Ils étaient faits pour coopérer, et plus si affinités. On peut discuter le découpage scénique choisi par l'auteur. L'essentiel est qu'il n'entrave pas trop la fluidité de lecture. Il est clair que Marek Corbel s'est parfaitement documenté sur les questions historiques liées à son sujet. C'est ce contexte qui donne sa consistance au roman, bien sûr. Y compris via les références à la Fraction Armée Rouge allemande de la décennie 1970. Originaire de Bretagne-sud, l'auteur connaît bien les lieux décrits, sans donner une allure de carte postale à ces décors. Un suspense vivant, un polar de belle qualité.
Zone d'ombre sur Brest. Collection Zones Noires. Parution 17 septembre 2015. 208 pages. 10,90€. Mais il y eut aussi les braves gars de la rade ! Imaginez que vous entrez dans une salle de réunion? De petits groupes de quelques personnes bavardent, discutent, conversent. Vous vous approchez de l'un puis de l'autre, essayant de comprendre les propos échangés, mais tout cela vous parait fort confus. Puis à un certain moment vous prenez en oreille un fil auquel vous vous raccrochez. Vous tirez doucement dessus et ce lien ténu en ramène d'autres, comme une dentelle, comme un filet de pêche, une nasse grouillante et vous parvenez enfin à relier tout ce puzzle qui joue avec le temps. Des événements qui se déroulent pour certains à partir de la fin octobre 2011 à Brest et ses environs, pour d'autres en octobre 1943 dans la prison Jacques Cartier de Rennes.
Dans un coin, des personnes évoquent la mort de la veuve Le Moign, riche héritière d'un élevage porcin industriel et d'une conserverie de pâtés fort prisés. Elle est décédée dans l'incendie de sa villa de Plougonvelin, seulement à l'autopsie il est démontré qu'elle possède dans le corps un plomb impropre à la consommation. Il s'agit d'une balle provenant selon toute vraisemblance d'une arme ancienne et étrangère. L'affaire est confiée au capitaine Gourmelon, de la gendarmerie territoriale, ce qui n'arrange vraiment pas son ex-femme qui pense qu'il a encore trouvé une échappatoire pour se défiler de la garde des gamins. Et comme le garçon a été privilégié par rapport à la fille, les doutes sont permis sur une éventuelle jalousie.
Dans un autre endroit, on parle du corps d'un vieil homme a été ramené dans ses hélices. Un vieil homme âgé de près de soixante-dix ans selon les premières constatations. L'homme était atteint d'une tumeur en phase terminale au cerveau. Un suicide, apparemment par une balle, seulement la balle proviendrait d'une arme à feu ancienne et étrangère. Et comme il est impossible de retrouver l'arme, là aussi des doutes se forgent dans les neurones de Sahliah Oudjani, lieutenant à la gendarmerie maritime. L'affaire n'avance pas assez vite au goût du juge Salaun. Le cadavre est bientôt identifié, il s'agit d'un ancien responsable de la Fraction armée rouge en Allemagne de l'Ouest dans les années 1970, début 1980, du nom de Hans Schwitzer, qui a passé une vingtaine d'année en prison et n'a été libéré qu'en 2005.
Voyons ce qui se dit ailleurs, dans un autre groupe. Il est question de Maryse Dantec, nouvelle retraitée qui a décidé de reprendre ses études d'histoire, de passer un master II, dont le thème est lié à la Résistance à l'Arsenal de Brest durant la seconde guerre mondiale. Par la même occasion elle veille sur son père hospitalisé à Brest, et qui fut durant quelques décennies maire communiste de la ville de Saint-Denis, l'un des fiefs de la ceinture rouge parisienne.
Enfin, dans un coin, cachés dans une pénombre prononcée, des silhouettes plongées dans une opacité entretenue, se remémorent Yves, interné dans la prison Jacques Cartier de Rennes. Des fantômes qui ont pour nom Eliane, Robert-Max, Guermeur, Dantec, Morriss, un employé de la préfecture, un nommé Mercier qui fricote avec les Nazis qui tiennent Brest, et le patronyme de Trotski qui flotte comme un étendard, des phrases qui circulent emportées par le vent, La crise historique de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire, des probabilités avancées, le basculement possible des staliniens, choisir entre une idéologie ou des représentants de la bourgeoisie, Churchill, De Gaulle, des problèmes de conscience, des trahisons...
Peu à peu les groupes du capitaine Gourmelon et du lieutenant Oudjani se rapprochent insensiblement, car il est indiscutable que les deux affaires qu'ils ont en charge sont liés.
Des souvenirs segmentés, comme incomplets...un lien ténu entre hier et aujourd'hui, qui tire dans sa nasse la bêtise humaine, séculaire, l'aveuglement de quelques dogmatiques qui pensent détenir la vérité, et qui conduisent aux meurtres via une lâcheté stupide et dégénérée. L'histoire se répète, pas toujours dans les mêmes circonstances, pas toujours au même endroit, mais l'on ne peut nier quelques corrélations entre événements d'hier et ceux d'aujourd'hui, celle d'idéologies malsaines, néfastes ou mal interprétées.
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