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Les Treize Morts D'albert Ayler


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Une lecture de
PAUL MAUGENDRE

PAUL MAUGENDRE  

N°2442. Gallimard. Préface de Michel Contat. Parution novembre 1996. 288 pages. 7,80€.

Mais il n'y a eu aucune résurrection...

Recueil de quatorze nouvelles dont le thème est la mort mystérieuse d'Albert Ayler, saxophoniste de jazz retrouvé noyé dans l'East River le 25 novembre 1970 à l'âge de 34 ans.

Michel GUINZBURG : Lettre au mort. Trad. de l'américain par Daniel Lemoine. 1996. Un policier new-yorkais, qui a découvert en 1970 le corps d'Albert Ayler, reçoit la visite d'un journaliste éditeur français. Les souvenirs remontent à la surface : il a gardé par devers lui une lettre, le testament du musicien : Ayler un jour a commis un acte incestueux mais il n'a su qu'après que la gamine avec qui il a fait l'amour était sa fille. Le policier a recueilli l'enfant issue de cette union et l'a élevée. Il consigne sur cassette ce secret à l'intention du Français puis se suicide.

Gille ANQUETIL : Le free fort. En ce début de novembre 1970, Ayler déambule dans les rues de New-York. Un réminiscence le taraude : la mort de Coltrane et le "concert" qu'il a donné lors de la messe d'inhumation. C'est aussi le souvenir du dernier festival de St-Paul-de-Vence auquel il a participé. Il entend encore un cri, comme un appel, lancé dans la foule. Peut-être l'appel de Coltrane lui demandant de venir le rejoindre.

Patrick BARD : Mojo. En 1960 Albert Ayler a passé une partie de son service militaire en France, près d'Orléans, dans une base de l'Otan. Une jeune paysanne castelroussine férue de sorcellerie est devenue amoureuse de lui lors d'un concert improvisé. Ils ont fait l'amour. Il est reparti aux Etats-Unis, elle est tombée enceinte. Elle a avorté mais est en possession d'une photo d'Ayler qu'elle utilise pour jeter un sort. Alors qu'Ayler meurt attiré par l'eau de l'East River, elle se noie dans une mare en compagnie d'un baigneur en celluloïd noir. Une vision personnelle et quasi fantastique de la mort d'Ayler.

Yves BUIN : Free at last. Supposé chef de file d'une mystérieuse organisation, Ayler est suivi par Sandeman, affilié à l'Agence. Seulement Sandeman ne trouve aucun motif pour inculper le musicien, à part sa propension à « massacrer » les airs de musique. Les jazzmen noirs sont mieux accueillis en Europe qu'aux Etats-Unis, mais ce n'est qu'une question raciale. Sandeman passe la main mais Ayler sera retrouvé malgré tout noyé.

Jean-Claude CHARLES : Le retour de Maître Misère. Né à Port-au-Prince mais vivant à Paris, le narrateur journaliste reçoit une lettre dans laquelle le scripteur se dénonce comme le meurtrier d'Ayler. Il glandouille dans un rocking-chair, se remémore son père, des événements passés et des romans lus, tels ceux de Truman Capote. Mais selon une jeune journaliste hollandaise, ce serait le propre père du narrateur qui serait à l'origine de la mort d'Ayler en lui volant ses rêves.

Jérôme CHARYN : M. Raisonnable. Trad. de l'américain par Patrick Raynal. Carlton Quinn, alias M. Raisonnable, est jaloux de la supériorité d'Ayler dans sa façon de jouer au saxophone. Jaloux aussi que sa maîtresse fasse des yeux doux, et plus, à son adversaire. Alors il imagine une entourloupe avec un usurier. Peu après Ayler est découvert au fond d'East River.

Max GENÈVE : My name is Albert Ayler. Deux adolescents, Tim et Jenny, s'aiment mais la jeune fille est rusée et prodigue ses faveurs au plus offrant. Dans un terrain vague, tandis que Tim cherche un endroit où enterrer son chat, mort d'une rencontre brutale avec un mur, Jenny est subjuguée par Ayler jouant du saxo. Elle lui propose une gâterie ce que le cœur d'Albert ne supporte pas. Les deux ados n'ont plus qu'à transporter le corps du défunt dans la rivière afin de simuler un suicide.

Jean-Claude IZZO : Alors Negro, qu'est-ce qui cloche ? Lorsque Nellie, la femme de son copain Pearson débarque dans sa chambre d'hôtel, ce n'est pas pour retrouver d'anciennes sensations mais parce qu'elle vient de quitter son homme. Elle s'était donné à lui alors que Pearson était allé chez les putes le lendemain de la promesse de mariage. Les souvenirs, et ce qui vient de se passer avec Nellie, une nouvelle rencontre charnelle, affluent dans la tête d'Ayler alors qu'il marche le long des quais. Deux flics l'abordent et le tabassent. Assommé, il tombe à l'eau.

Thierry JONQUET : La colère d'Adolphe. A sa mort Adolphe Sax est conduit au Paradis. Son invention, le saxophone, lui vaut un traitement de faveur tant auprès des hôtesses que des compositeurs, Beethoven en tête. Mais il faut attendre l'ère du Jazz pour que le saxophone devienne un instrument reconnu. Bientôt des problèmes d'intendance se manifestent du fait de l'afflux inopiné de morts, des Jazzmen principalement. Jusqu'au jour où Ayler arrive lui aussi et est refoulé. S'ensuit une émeute. La bataille est gagnée et Ayler et ses confrères auront une place au Paradis.

Bernard MEYET : Joyeux Noël. Le narrateur n'aime pas le jazz, contrairement à son père qui avait acheté un bar et organisait des concerts à Orléans, au profit des soldats de la base américaine. Martine c'était l'amour secret du narrateur. Mais elle est tombée amoureuse d'Ayler alors qu'il effectuait son service sur la base de l'OTAN. Elle était même partie le rejoindre aux Etats-Unis mais ne l'avait pas revu. Elle revient un beau soir de Noël, un mois après la mort du musicien. Son ancien soupirant l'accepte telle qu'elle est, avec ses souvenirs, et un gamin, fruit de ses amours avec Ayler.

Jean-Bernard POUY : Tinetorette et Toquaille. Le narrateur emmène Ayler en Italie, sur les instances de celui-ci, visiter Venise et les galeries de peinture. Ayler professe une passion pour Le Tintoret, qu'il appelle Tinetorette, et goûte au Tokay, au Toquaille. Ayler et son conducteur passablement éméchés reviennent à Saint Paul de Vence, à temps pour participer au concert au cours duquel le musicien se montre plus brillant que jamais.

Hervé PRUDON : Nobody knows. Dans une chambre d'hôtel miteuse, Albert Ayler ressasse ses souvenirs. Notamment Bibi, une femme qu'il a connu à Copenhague. Qu'il a retrouvée à Juan-les-Pins. Il déambule sur les quais, boit dans les bars, côtoie un ivrogne. Il a le spleen et est attiré par l'eau.

Michel LE BRIS : La treizième mort d'Albert Ayler. Mary s'inquiète, Albert a disparu depuis quinze jours. Don le frère du musicien passe son temps à faire le poirier. Des conversations s'échangent sur les mérites et les avatars d'Ayler. A la radio le speaker annonce la découverte du cadavre du musicien et chacun extrapole se souvenant de l'enlèvement d'Ayler par des hommes de main de Miles, imputant sa mort à des flics Irlandais ou au FBI. Un texte qui s'articule autour de dialogues comme une suite d'improvisations avec toujours pour thème central la disparition d'Ayler.

Jon A. JACKSON : Sur le pont. Trad. de l'américain par Daniel Lemoine. Rêveries sur le bitume d'un pont d'un musicien recherchant la note, l'air qu'il ne peut jouer, la transcription par le saxo du chant d'un oiseau. Il croit voir Coltrane et Dolphy le prendre chacun par une main et il s'élance dans les airs tandis que son instrument de musique tombe à l'eau. Ayant appris par Patrick Raynal qu'il envisageait de compiler treize nouvelles en l'honneur d'Albert Ayler, Jon A. Jackson a spontanément offert ce texte qui est la quatorzième variation du recueil.

De ces quatorze improvisations sur la mort d'Albert Ayler, on retiendra quelques solos majeurs, quelques vibrations émouvantes, des interprétations issues des tripes et d'autres qui se glissent dans un moule convenu. Il en faut pour tous les goûts et chacun peut lire à sa façon la partition. On retiendra toutefois les prestations de Patrick Bard, de Max Genève, de Jean-Claude Izzo, de Thierry Jonquet et de J.-B. Pouy, qui ont su interpréter avec inspiration un thème imposé.

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