Stéphane Néguirec est natif de Guingamp. Ce jeune Breton possède une âme vagabonde. Il a préféré ses spectacles poétiques, plutôt qu'une vie stable auprès de son épouse et de ses enfants, à Saint-Malo. Ses voyages l'ont mené de plus en plus loin, jusqu'à Cotonou, métropole la plus importante du Bénin. Stéphane n'a que de vagues projets, cherchant seulement à s'intégrer parmi la population de ce pays africain tropical. Il s'est installé dans un logement fort modeste du quartier de Tokpota, à Porto Novo. Il n'est pas le dernier à profiter des nuits béninoises, dans les bars où certaines filles ne disent pas non à son fric. Ayant été agressé en compagnie d'une jeune pute, il reçoit l'aide d'une belle Ghanéenne, qui se fait appeler Déborah Palmer. Elle le paie pour pouvoir vivre un temps chez lui. C'est dans une tigresse en peluche que la jeune femme cache son pactole. Le couple étant à nouveau agressé chez Stéphane, ils trouvent refuge dans une auberge minable. Déborah propose alors de le payer pour devenir l'épouse du Breton. Un mariage blanc, d'autant qu'elle n'est pas attirée par lui. Le faussaire Ignace leur procure sans tarder les documents censés officialiser leur union. En cas de contrôle, ces “faux” grossiers ne feraient pas un instant illusion. Peu après, le couple est encore attaqué. Cette fois, ils sont enlevés par les sbires d'un chef musulman. Les Blancs kidnappés ont une certaine valeur, même si un Français vaut moins qu'un Américain. Le ravisseur va bientôt céder Stéphane à un vrai islamiste, qui a fait préparer un cercueil pour son otage. Ansah Ossey est un Ghanéen qui se fait appeler Jésus Light. Avec des complices, il a été l'auteur d'un gros braquage dans son pays. Mais ses amis ont été abattus, et sa compagne Paméla a fui avec le conséquent butin. C'est au Bénin que Jésus pense la retrouver. Il est bientôt confronté à un commissaire de police corrompu, qui lui prend l'argent qu'il gardait. Sans le sou, il contacte un ami pêcheur prêt à l'aider. Pas gratuitement : “Non mais, quel était ce pays étrange où, pour rendre le plus élémentaire des services, on pensait d'abord à vous essorer ?” La meilleure piste est une coiffeuse qui doit savoir où se cache Paméla. Jésus pense à l'obliger à le conduire jusqu'à elle. Mais les Africaines savent réagir... Quant à Stéphane et Déborah, ils vont tout faire pour sortir des griffes de l'islamiste... Précisons d'abord que Florent Couao-Zotti, écrivain béninois, n'est pas un néophyte, ayant à son actif une œuvre reconnue bien au-delà de son pays. C'est avec finesse qu'il utilise le langage, épicé de certains mots typiques. Ceux-ci sont présents, définis dans un glossaire, sans être envahissants. Sans doute faut-il retentir que les Zems sont des taxis-motos très utilisés au Bénin, que les kpayos évoquent toute marchandise de contrefaçon, ou que l'axuévi est l'alcool le plus consommé ici. Chaque titre de chapitre est une formule de type proverbiale, telle “Le chameau ne se moque pas des bosses des autres”. Il convient de savourer le récit, délicieusement écrit. En témoigne cet extrait, qui dépeint en quelques lignes l'ambiance nocturne entre Cotonou et Porto Novo : “La nuit avait drapé les rues de ses ombres noires, massives et épaisses. Les réverbères les froissaient à peine à travers leurs éclairages attiédis et pâlots, comme si les responsables de la société d'électricité publique avaient peur d'en relever la puissance. Sur la chaussée, les automobilistes et les motocyclistes roulaient comme à l'habitude, à l'emporte-pièce, zigzagant à l'humeur, freinant à l'inspiration, tournant à l'instinct.” Racontée avec une tendre ironie, l'histoire s'attache autant aux personnages qu'au décor du littoral citadin béninois. Nous suivons d'un côté les mésaventures de Jésus Light, qui a beaucoup de mal à retrouver sa compagne. Et d'autre part, un jeune Breton égaré sur le continent africain. “Ça faisait trop longtemps qu'on le roulait dans la confiture... Il voulait savoir désormais avec quelle genre de pâte on allait le pétrir.” Bien que l'intrigue ne soit pas absolument mystérieuse, le suspense est bien réel, et les rebondissements incessants. Un roman captivant et écrit avec style, jouant avec le langage, comment ne pas adorer ?
Une autre lecture duLa Traque De La Musaraignede L A |
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Pamela a fui le Ghana avec dans ses valises un monceau de billets verts que normalement elle aurait dû partager avec Jésus Light. Partager est un bien grand mot ! Disons plutôt : un monceau de billets verts que Jésus Light a braqué. Dans ces conditions faut-il s’étonner qu’une certaine rage habite Jésus et qu’il se soit lancé à la poursuite de sa femme, Pamela, avec de mauvaises intentions ? Malheureusement, Pamela a franchi la frontière et s’est réfugiée au Bénin dans l’espoir de devenir française… Et pendant qu’elle tente de convaincre Stéphane Négirec, Rimbaud des temps modernes d’origine bretonne, de l’épouser moyennant paiement, Jésus se fait dépouiller de sa maigre fortune par une police corrompue. Et voila que brusquement la situation se complique un peu plus avec l’arrivée à Cotonou d’une bande de négociants islamistes du kidnapping en quête de proies européennes. « La Traque de la Musaraigne » sent la terre mouillée et la poussière, les vapeurs d’essence et la sueur. « La Traque de la Musaraigne » sent la transpiration des corps qui s’enlacent, la peur et le désarroi. « La Traque de la Musaraigne » ce sont des mots qui se percutent, des phrases qui zigzaguent à l’humeur, des verbes qui freinent à l’inspiration, une syntaxe qui tourne à l’instinct. « La Traque de la Musaraigne » c’est l’Afrique dans son splendide désordre « La Traque de la Musaraigne » c’est intrinsèquement l’annonce d’une Afrique qui s’éveille en toute indépendance. « La Traque de la Musaraigne », c’est un polar glauque et poisseux écrit par un grand auteur !
Une autre lecture duLa Traque De La Musaraignede PAUL MAUGENDRE |
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Un roman pas si Bénin que ça ! Les consommateurs du bar Kama Sutra de Porto Novo tirent tous la langue comme le loup de Tex Avery devant la prestation de Pati, la danseuse-effeuilleuse. Stéphane n'est pas le dernier à avoir les yeux montés sur ressorts horizontaux. Et il n'hésite pas à demander une faveur complémentaire, celle de pouvoir échanger avec Pati leurs phéromones chez lui à Tokpota, un quartier de la capitale béninoise. A la sortie du bar, un véhicule qui semblait les attendre, mais n'est pas un taxi, fonce, pile, et malgré les jambes de Pati qui déroulent sur l'asphalte, des hommes s'emparent de la danseuse qui n'a plus envie de s'exhiber. Stéphane, en homme galant, veut s'interposer et pour récompense reçoit quelques gnons qui l'envoient au pays des rêves. Pourtant c'est un ancien judoka. Lorsqu'il revient à lui, sa première pensée va à son portefeuille. Non, il n'est pas abîmé par les coups reçus, il n'a pas été vidé non plus. C'est alors qu'une voix rauque s'inquiète de son sort. Une jeune femme qui lui propose de l'aider. Elle se nomme Déborah Parker, et prétend avoir été aide-soignante dans une autre vie. Arrivés chez lui, elle bichonne ses plaies, et Stéphane, toujours galant et honnête, veut la rétribuer. Non, elle refuse. Au contraire c'est elle qui va lui donner quelques coupures, en dollars américains s'il vous plait, pour pouvoir être hébergée. Donc ils partagent l'appartement spacieux de Stéphane, chacun chez soi, car malgré les massages prodigués ils ne sont pas encore arrivés au stade de l'intimité où un seul lit suffit. Profitant par inadvertance que Déborah est absente, il jette un œil sur ses affaires. Elle possède une peluche, une tigresse, au ventre rebondi. La tigresse est enceinte de beaux et bons billets de banque ! Déborah pensant faire plaisir à Stéphane en ramenant Pati, quelque peu délabrée, revient donc avec la danseuse mais Stéphane n'est plus d'accord. Déborah reconduit sa copine et c'est le moment choisi par des individus pour s'infiltrer chez le Breton. Il a encore droit à quelques massages fortement appuyés, genre crochets du droit, uppercuts et manchettes, mais il a du répondant. Cela sert de biberonner parfois car grâce à deux bouteilles qui traînaient sous son lit, et tant pis pour la consigne, il se défend vaillamment. Tant et si bien que l'un des assaillants retourne au pays de ses ancêtres plus vite qu'il le pensait. Alors Déborah prend la décision définitive et sans appel, sans tergiverser, de partir à bord d'une voiture déglinguée mais roulante, avec Stéphane à bord. Direction là-bas, plus loin. Car elle a une idée en tête Déborah, sauver sa peau, sauver sa tigresse, et se marier avec Stéphane. Lorsque le vrai faux certificat de mariage, un mariage blanc, sera établi il se verra offrir une consommation gratuite à déguster sur place avec renouvellement si affinité. Stéphane est natif de Guingamp, il a déjà roulé sa bosse un peu partout et il a débarqué un beau jour à Cotonou avec comme bagages le statut de poète reconnu par ses pairs. Il n'est pas riche mais pas pauvre non plus. Il se débrouille et ça lui suffit. Mais pour le moment le voilà embarqué (ça se dit quand on est en voiture ?) avec Déborah. Jésus Light est un Ghanéen qui a dû fuir son pays car il est recherché. Il a fait une grosse bêtise. Il a dévalisé un établissement bancaire, déjà c'est grave car ces gens là n'aiment qu'on leur prenne l'argent qui leur est confié et qu'ils savent dilapider comme des grands sans avoir besoin d'aide extérieure. Seulement les compagnons de Jésus Light se sont retrouvés avec du plomb dans le corps en guise d'or, et sa compagne, son amie, sa femme, sa musaraigne (sa muse à règne ?) Paméla leur a fait faux bond. Vraiment pas sympathique de sa part puisqu'elle s'est envolée avec la part de tous. Et Jésus Light s'est retrouvé tout nu comme au premier jour de sa naissance. Alors il recherche activement Paméla pour lui apprendre à vivre et récupérer son bien indûment subtilisé. Ce pourrait s'arrêter là, mais un groupuscule djihadiste, issu d'une mouvance proche de Boko Haram et en provenance du Nigéria, s'est mis en tête de prendre en otages des ressortissants européens pour des raisons qui leur sont propres. Les lecteurs compulsifs de romans policiers, penseront comme moi, que ce genre de situations, un pauvre gars naïf dépassé par les événements et en cavale avec une femme entêtée et sublime, un truand qui s'est fait truandé par une compagne partie avec son argent malhonnêtement gagné, ont déjà été traités moult fois et même plus. Je pense notamment à des auteurs américains comme Day Keene et quelques autres. D'ailleurs il est à noter que 1275 âmes de Jim Thompson a été adapté au cinéma par Bertrand Tavernier sous le titre Coup de torchon, le réalisateur déplaçant l'intrigue originale du Sud des Etats-Unis pour la situer en Afrique Noire. Mais je digresse. Donc se greffe dessus cette histoire de preneurs d'otages qui apporte le sel qui irrite les plaies africaines déjà bien ouvertes. Plus que l'histoire, intéressante en soi, c'est le langage narratif nimbé de poésie de Florent Couao-Zotti, barde trublion, qui envoûte le lecteur. L'emploi de métaphores harmonieuses, de maximes et proverbes usuels ou inventés, de titres de chapitres savoureux, de dialogues huilés et épicés, et de néologismes si évidents que lorsqu'on les découvre, on se demande pourquoi personne n'y a pensé avant, est à déguster comme une friandise. Florent Couao-Zotti est un griot, racontant une histoire déjà connue mais en l'enjolivant. Elle n'est plus la même, semblable et identique et différente tout à la fois. C'est ainsi que l'on retrouve les vrais conteurs électriques.
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