les coiffes rouges de Daniel CARIO


Les Coiffes Rouges CARIO273

DANIEL CARIO

Les Coiffes Rouges


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Le samedi 18 Janvier 2014

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Daniel CARIO




Une lecture de
PAUL MAUGENDRE

PAUL MAUGENDRE  

La sardine est à Douarnenez ce que sont les Bêtises à Cambrai, la Bergamote à Nancy et les Tomates à Marmande.

A la différence près que ces petites bêtes se présentent par millions en mer un jour et que le lendemain elles ont disparu comme par enchantement. Peut-être noyées.

Les premiers à ressentir cette défection sont bien sûr les pêcheurs qui comptent sur la manne maritime pour nourrir la famille. Ensuite les ouvrières des conserveries car pas de poisson, pas de travail. Et lorsqu'il y en trop de sardines, jamais assez pour les patrons, comme les ouvrières sont payées à l'heure au lieu du mille de sardines depuis les grèves de 1905, il ne faut pas traînailler, la contremaîtresse est là pour activer le mouvement.

Dolorès Marquez est fille de pêcheur. Son père espagnol d'origine, Diego, s'est échoué sur la côte et s'est pris dans les filets des yeux de la belle Marie. Ils se sont mariés et n'ont eu que Dolorès comme enfant. Mais quelle enfant. Rousse au teint mat, un anachronisme qui n'est pas rédhibitoire pour ses consoeurs. Car Diégo a réussi à faire embaucher sa fille chez Monsieur Guéret où elle est employée au tri lors de la réception des poissons, une place située tout en bas de l'échelle des ouvrières, en compagnie de gamines plus jeunes qu'elle. Sa beauté farouche attire l'attention de La Murène, la contremaîtresse, ce qui ne manque pas de déclencher l'ironie et les sarcasmes chez ses collègues. La Murène est, à tort ou à raison, soupçonnée de préférer les femmes aux hommes.

En sortant de l'usine, Dolorès remarque la Clopine, surnommée ainsi à cause de son pied-bot. La vieille femme avait eu le tort d'être à la pointe des grèves de 1905, et elle avait été licenciée, son nom écrit à l'encre rouge sur les carnets d'embauche des usiniers. Une amitié bourrue s'établit entre la vieille femme et la jeune fille. Des rumeurs de grève commencent à s'étendre et la Clopine n'est pas la dernière à prôner la révolte. Dolorès a l'esprit vif, la répartie facile, ne se laisse pas monter sur les pieds, et cela parfois joue en sa défaveur. Mais elle est jeune, insouciante et elle remarque que Joseph, surnommé Glazig à cause de ses yeux bleus, la regarde avec justement des yeux énamourés. Elle n'est pas insensible à ce gamin plus jeune qu'elle. Elle va quand même avoir bientôt dix-sept ans.

A l'usine, c'est la course contre la montre, et les pêcheurs sont tributaires des déplacements de bancs de poissons. Diego rêve de pouvoir aller comme certains de ses compères aller à la pêche à la langouste verte au large de la Mauritanie. Outre le fait qu'il serait parti durant de longues semaines, il lui manque les fonds nécessaires pour s'équiper pour une telle expédition. Et un jour alors qu'il allait aborder au quai avec ses marins, une chaloupe effectue une mauvaise manœuvre, et il se retrouve la main gauche coincée entre le plat-bord et la bordure de l'appontement. Il est handicapé et cela va dégénéré. Dolorès elle est importunée par la Murène qui l'incite à la voir chez elle, mais là encore de cette rencontre va découler un incident préjudiciable.

Puis elle aura l'opportunité de devenir demoiselle de compagnie de Guéret dont la demeure est un véritable château. Elle pensait surtout pouvoir aider ses parents, mais elle est considérée comme une pestiférée par les autres ouvrières de l'usine, par la majorité même des habitants de la cité portuaire qui considèrent sa décision comme une trahison. Là encore les rumeurs vont bon train (être colporteur de ragots est un métier facile qui ne demande pas de diplôme) et on l'accuse de coucher avec le patron, un quinquagénaire. Ophélie, une vraie petite chipie, ne manque pas de l'asticoter à propos de certains événements douloureux dont Dolorès serait responsable.

Dans ce docu-roman, c'est toute une époque qui nous est restituée sous nos yeux pleins de compassion. Le dur labeur des sardinières, jusqu'à seize heures de travail parfois, les pieds chaussés de sabot leur coupant la peau, les glissades sur les viscères des sardines, les doigts coupés en étêtant les poissons, les éclaboussures de la friture défigurant parfois les visages, sous l'œil vindicatif et les accès de colère de la contremaîtresse toujours à critiquer négativement ses ouvrières qui ne font pas attention. Le tri sélectif des poissons par des gamines de douze ans, l'école n'étant pas une priorité, effectués avec virtuosité afin de ne pas meurtrir la chair est une opération délicate, tout autant que l'étêtage ou la friture, mais les grades ne sont pas les mêmes et la paie, lâchée au compte-gouttes, arrive à peine à garnir les assiettes. Pourtant, des instants de joie sont préservés par les ouvrières elles-mêmes qui organisent de temps en temps des danses entre deux vacations, afin de se détendre. Quant au sertissage des boites de conserves, les soudeurs-sertisseurs sont remplacés par des machines qui possèdent l'avantage d'aller plus vite et de ne pas revendiquer.

Entre l'été 1923 et le début de l'année 1925, on assiste à la montée en colère des ouvrières, les Penn-sardin ou Têtes de sardines appelées ainsi à cause de leur coiffe, aux grondements de révolte, et l'on découvre quelle fut la vie quotidienne de ce petit peuple courageux et exploité. Douarnenez est la deuxième ville française à élire un maire communiste, Sébastien Velly, après Saint-Junien, et naturellement, les bourgeois, l'Eglise et le commissaire de police Le Gleut qui préfère fricoter aux côtés des puissants que des pauvres, crient haro sur les meneurs. Ils prédisent que tout se terminera comme cela a commencé, une bulle qui éclate au moindre accrochage. Le rôle des syndicats prend alors toute sa signification, surtout lorsque la grève fermera les usines. Les patrons sont décrits comme des êtres fiers, dédaigneux de la basse classe, se sentant investis par leur richesse comme les maîtres du monde. Pourtant la grève générale aura bien lieu, tandis que les usiniers se réunissent devant une table abondamment chargée de victuailles. C'étaient eux qui nourrissaient les ouvrières, et non pas celles-ci contribuaient à leurs richesses. Un déni de la réalité, un mépris affiché envers celles qu'ils considéraient sans l'avouer comme leurs esclaves. Et des briseurs de grève seront embauchés auprès des syndicats jaunes et de la droite fascisante, semant le trouble. Des coups de feu seront même tirés sur le nouveau maire Daniel Le Flanchec. Quatre-vingt-dix ans ont passé, la leçon n'a pas été retenue et les patrons du CAC 40 continuent de pressurer leurs employés, exerçant le chantage de la délocalisation. Le travail est moins dur certes, mais l'esprit est le même.

L'usine était un univers qu'elles exécraient, et rares étaient celles qui éprouvaient un vrai plaisir à s'y rendre. Les ouvrières n'avaient aucun moyen légal de se défendre, puisque la législation du travail accordait aux patrons des conserveries alimentaires la dérogation de faire travailler jusqu'à quarante-huit heures d'affilée. Deux jours sans dormir : on n'imposait pas labeur plus inhumain aux "forçats" de Zola.

Et effectivement, le lecteur est plongé au cœur de la triste réalité et Zola ne pouvait pas ne pas être évoqué. Daniel Cario, au travers d'un roman historico-social mêle fiction, le personnage de Dolorès et ceux qui l'entourent, ses premiers émois et son émancipation, et réalité avec les personnages de Velly, Le Flanchec, Charles Tillon, le commissaire Le Gleut, des usiniers comme Béziers, le briseur de grève professionnel Léon Raynier et quelques autres. Et le lecteur ne restera pas insensible à cette page d'histoire, bretonne certes, mais dont de nombreuses régions sous des formes et des corporations différentes ont connu les mêmes combats.

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