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HARRY CREWS

Nu Dans Le Jardin D’Éden


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Le samedi 2 Novembre 2013

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Harry CREWS




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Garden Hills est une petite localité de Floride, située non loin de l'autoroute reliant Tampa à Orlando. En cette fin des années 1960, il n'y reste qu'une douzaine de maisons habitées. Cette cité minière a pourtant été florissante, pendant un temps. Des ingénieurs y ayant détecté du phosphate en quantité, Jack O'Boylan acheta les terrains disponibles afin de construire une usine pour traiter le minerai de phosphate extrait du sol. Ce qui attira bon nombre d'ouvriers, pour lesquels Jack O'Boylan fit bâtir une ville, dans le creux des terres déjà exploitées. Celui qui profita le plus de la manne financière, ce fut Mayhugh Aaron, dit Fat Man. Peut-être finit-il à moitié fou, mais il avait négocié sans céder un sacré pactole. Cette fortune profite aujourd'hui à son fils, Fat Man Junior. Il habite la plus riche maison de Garden Hills, sur une butte dominant la ville quasi-morte. Car entre-temps, le phosphate s'épuisant, Jack O'Boylan cessa son industrie ici, et la plupart des ouvriers partirent.

Le fils Fat Man tenta de maintenir un semblant d'activité à Garden Hills, répandant lui-même la rumeur illusoire selon laquelle Jack O'Boylan reviendrait un jour relancer la ville. Fat Man pèse désormais près de trois cent kilos, pour un mètre soixante-cinq. Son régime consiste à boire un substitut alimentaire qui ne le fait pas maigrir, vu qu'il en consomme jusqu'à douze litres par jour. Il végète au milieu de ses milliers de livres achetés au poids, alors qu'il aurait peut-être pu poursuivre un parcours universitaire. Fat Man est assisté par Jester, ancien jockey pesant quarante-cinq kilos, qui conduit sa Buick Sedan aménagée. En réalité, même s'il reste passionné de cheval, la carrière de jockey de Jester fut très brève. Il fut ensuite employé dans un cirque. C'est là qu'il rencontra “Nestradidi, la Noire princesse africaine”, singulière contorsionniste prénommée Lucy. Il s'installa à Garden Hills avec elle, à l'époque où il fut engagé par le père de Fat Man Junior.

Celle qui espère redonner vie à Garden Hills, c'est Dolly Furgeson. Jolie fille préservant sa virginité, elle fut élue Reine du Phosphate à l'âge de seize ans. C'est alors qu'elle partit pour New York. Elle avait pour ambition d'y retrouver Jack O'Boylan puisque tout le monde le connaissait là-bas. Avec ses atouts, Dolly saurait le convaincre de revenir. Durant deux ans, elle ne fut que danseuse go-go, vivotant dans un hôtel. Néanmoins, elle sut tirer de vraies leçons de cette expérience. La Floride est une région qui attire les touristes. Un peu de publicité sur l'autoroute, un télescope payant braqué sur les curiosités de Garden Hills, il y a des projets à mener. Ce qu'elle a expliqué à Fat Man, qui n'y croit pas. Malgré tout, également incité par Jester, il a financé les premières lubies de Dolly. Wes Westrim et sa fille ne sont pas difficiles à convaincre non plus. Pour réussir, il faut viser le sommet, c'est toute l'ambition de Dolly...

En œnologie, comme dans la littérature policière, il existe de bons petits vins gouleyants, des vins de qualité à davantage savourer, et des grands crus qui sont de vrais nectars. De ces derniers, on n'en goûte qu'avec parcimonie, tant ils sont rares. En se demandant si le mot “vin” est suffisant pour caractériser ces boissons exceptionnelles. Telle est l'image que donne ce roman d'Harry Crews qui, écrit en 1969, a mûri dans quelque fût avant de nous parvenir. Ne le nions pas, même si sa thématique reste actuelle, savoir que l'action date de la fin des années 1960 ajoute un arôme qui pimente encore notre dégustation. Bien que située en Floride, c'est dans l'Amérique profonde d'alors que nous plonge l'intrigue. À peine s'agit-il d'une bourgade, tout juste un site exploité puis délaissé par un industriel fantôme. Nul doute que l'auteur s'inspire de toutes les villes de la “ruée vers l'or”.

C'était le deuxième titre de cet écrivain, pourtant on y sent déjà une vraie maturité. Pour dessiner les portraits des personnages, Harry Crews ne se borne pas à un récit linéaire où chacun aurait sa part de vicissitudes. Avec souplesse, il revient sur tel épisode de leur vie, qui va expliquer leur comportement à l'heure où l'espoir renaît à Garden Hills. Ainsi, quand Wes retourne dans son trou (inutile) de foreur, juste pour participer au projet de Dolly, on comprend sa démarche. S'il est pitoyable, surtout quand il ne peut plus se vêtir correctement, Fat Man n'est pas malhonnête, au fond. À chacun, aussi ridicules soient-ils, l'auteur offre une évidente humanité. Dolly domine la situation, ayant mieux compris le monde après ses tribulations new-yorkaises. La tonalité est ironique, pas d'une cruauté sardonique, car on ressent une certaine tendresse pour ce petit univers.

Quelle que soit l'étiquette, noire ou pas, un roman remarquable.

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