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ANDREA CAMILLERI |
Le Tailleur GrisAux éditions POINTS SEUILVisitez leur site |
3519Lectures depuisLe vendredi 4 Mars 2011
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Une lecture de |
En Sicile, ce banquier entame une nouvelle période de sa vie, la retraite. Ne s’y étant nullement préparé, il est quelque peu désorienté. Il ne voit guère de loisir pouvant lui convenir. Sa séduisante épouse Adele, de vingt-cinq ans sa cadette, est toujours occupée par les divers comités qu’elle préside. Veuf dix ans plus tôt, père d’un fils parti s’installer à Londres, il s’est remarié avec la jeune femme. Elle-même s’était trouvée veuve quelques mois après avoir épousé un collègue débutant du banquier. Le jeune mari était mort suite à un accident de moto. Des hommes courtisèrent certainement la belle veuve d’à peine trente ans. Mais ce fut le banquier prévenant qu’elle choisit. Côté sexuel, ce fut l’extase. “Elle faisait l’amour avec une totale absence d’inhibition, avec une fougue bouleversante, sans aucune vergogne, prête à tout, sans avoir jamais envie d’arrêter. À la fin de chaque nuit, il était épuisé, elle fraîche comme une rose.” Toutefois, le banquier n’est plus dupe des infidélités d’Adele depuis plusieurs années. Il en fut témoin un jour, où il passait près du minable motel Regina. Son épouse y retrouvait fort discrètement un beau sportif. Aucune ambiguïté, aucun doute sur la nature de leur rendez-vous. Elle a cessé de le voir, ayant trouvé une solution “à domicile”. Voilà un certain temps que Daniele, le “neveu” d’Adele, est hébergé chez eux. Auparavant, la jeune femme avait fait réaménager la disposition des pièces de la maison, en particulier des chambres. À l’heure de la retraite, il s’interroge sur le caractère profond de l’insensible Adele. “N‘était-ce pas elle-même qui le lui avait dit, quand elle s‘était comparée à un désert qu‘il était inutile d’arroser ? Bien sûr, à ce moment, elle parlait du fait qu‘elle ne pouvait avoir d’enfants. Mais la stérilité n‘était pas seulement dans son ventre. C’était elle, dans son entièreté, qui était stérile, aride.” Le banquier se voit proposer un poste de direction par un homme d’affaire dont il connaît bien le père. Son expérience peut encore servir. Sans doute est-ce Adele qui a soufflé cette idée à la famille en question. Il ne dit pas non, sachant quand même que la Mafia n’est jamais loin des groupes financiers locaux. Toutefois, il a un problème de santé à régler avant de s’engager pleinement. Suite à des analyses assez inquiétantes, son urologue l’adresse à un spécialiste. Un séjour en clinique, une intervention chirurgicale, et le convalescent sera bientôt confié aux bons soins d’Adele. Il se rend compte qu’elle fait un peu de mise en scène pour valoriser son rôle auprès de lui. Son état de santé peut les rapprocher… Si Salvo Montalbano est le héros d’une grand partie des livres de Camilleri, il est tout autant passionnant quand il raconte d’autres histoires. Le présent roman est bien moins linéaire que ne peut le suggérer ce résumé succinct. La construction scénaristique est d’une finesse magistrale. La tonalité s’avère plus sombre, les dialogues étant moins humoristiques qu’avec Montalbano. Néanmoins, l’ironie malicieuse est bien présente dans les circonstances décrites. On nous dessine le portrait nuancé d’un couple imparfait. Non pas à cause de l’écart d’âge, qui n’a pas empêché l’harmonie sexuelle. La jalousie étant un sentiment trop commun, ce n’est pas ce qui motive le récit. Amour et confiance ne sont pas les maîtres mots d’Adele et de son mari. C’est dans leur manière d’être, dans le caractère de chacun, que réside en grande partie la subtilité de leurs rapports. Voici ce qui crée l’ambiance délicieusement viciée de ce roman très convaincant.
Ce tailleur, dont nous parle Camilleri, est coupé dans le tissu d’une vie conjugale imparfaite –pléonasme ? -Un banquier sicilien se doit d’être habile. Difficile en effet de traiter de questions d’argent et d’éviter les ennuis avec la mafia. Plus précisément, traitant obligatoirement avec la mafia, il faut beaucoup d’habileté pour rester en vie, tout en échappant aux foudres de la justice. Costume gris foncé, cravate sombre et chemise invariablement blanche, notre banquier, pourtant caricature de bureaucrate insipide, est marié à une jeune femme ravissante. Trop jeune et trop ravissante. Trop assoiffée de respectabilité, mais aussi de sexe, ce qui compose au final un cocktail dangereux…Adèle est-elle ? ou n’est-elle pas une poupée Barbie ? Son mari la voit uniquement préoccupée de sauvegarder sa vie sociale exemplaire tout en s’envoyant son jeune et athlétique neveu installé à domicile. Il aura toute la retraite pour méditer sur les arrangements qu’il ne peut que digérer en silence. C’est du moins ce qu’il pense au début de ce roman.Mais les évènements et la vie ne vont jamais là où on les attend. Le duo Camilleri – Quadruppani (son traducteur attitré) fonctionne à merveille, comme d’habitude. On retrouve toute la poésie de la langue sicilienne revisitée par ces deux-là, si ce n’est que nous ne sommes pas dans un commissariat et qu’il n’y a pas matière à une galerie de portraits hauts en couleurs. Nous sommes en effet dans les quartiers bourgeois de Montelusa où l’argent n’est pas un problème, à peine un souci.Ce roman qui n’est pas policier n’en reste pas moins un très beau roman noir, noir comme l’amour non rendu, la désillusion, le vieillissement et l’échec. Le grand talent de Camilleri fait que l’on rit tout de même et qu’on n’a pas très envie de quitter ses pages, dans lesquelles il instille une tension très forte, quand bien même elles finissent dans l’agonie. Magnifique Camilleri qui excelle dans tous les genres, de la comédie au drame, de l’enquête à l’étude psychologique. |
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