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MARION BRUNET |
L’été CirculaireAux éditions ALBIN MICHELVisitez leur site |
585Lectures depuisLe mardi 20 Fevrier 2018
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Une lecture de |
La famille Gomez habite dans la région de Cavaillon, dans le Vaucluse. Manuel, le père, va sur ses trente-huit ans. Il est ouvrier du bâtiment, gagnant modestement sa vie. Son propre père termine actuellement sa vie en soins palliatifs. Manuel refuse de se souvenir du passé espagnol de ses ascendants. D’ailleurs, il n’aime pas les étrangers quelles que soient leurs origines. Son ami depuis une vingtaine d’années, c’est Patrick, collègue de chantiers. Ils boivent souvent l’apéro ensemble, chez Manuel, parfois en compagnie de Valérie, la femme de Patrick. Le couple n’a pas d’enfants et s’en trouve très bien, à ce qu’il semble. Manuel est marié à Séverine, qui est employée de service à l’école du village. Séverine a vécu une prime jeunesse très festive, avec ses copines Sabrina et Charlotte. Le temps passant, elles ont suivi chacune des trajectoires différentes. Séverine et Manuel ont eu tôt leur premier enfant, Céline, aujourd’hui âgée de seize ans. Ils se sont donc mariés, bien que n’appartenant pas aux mêmes milieux. À trois kilomètres du lotissement où vit la famille, les parents de Séverine sont des fermiers aisés, producteurs de fruits. Le grand-père ne cache pas sa supériorité envers son gendre Manuel, simple ouvrier. Pourtant, le père de Séverine n’est pas exempt de reproches, lui qui exploite les cueilleurs de fruits. Son épouse n’a pas un caractère plus facile, un peu moins dure envers les Gomez. À quinze ans, Johanna apparaît bien plus introvertie que sa sœur aînée, Céline. Elle a des yeux vairons, singularité qui refroidit un peu autour d’elle. Elle se moque de ses tenues, peu raffinées. Il existe une certaine complicité entre Céline et Jo, surtout quand elles vont clandestinement nager dans les piscines des riches propriétés du secteur, inoccupées en cours d’année. Depuis toujours, les sœurs sont amies avec leur jeune voisin Saïd, sa mère Kadija étant très sympa. Saïd est maintenant presque adulte. Assez mûr pour pratiquer la revente d’antiquités, à l’origine peut-être douteuse. Pour améliorer son salaire, Manuel fait partie de ceux qui "récupèrent", à l’insu de son copain Patrick, les objets achetés par Saïd. Ça fait déjà deux ans que Céline a une allure de jeune femme, ce dont elle sait jouer face aux adolescents des alentours. Lors de la fête foraine marquant le début de l’été, Céline ne peut bientôt plus masquer son état : elle est enceinte. Bien qu’ayant connu naguère la même situation, Manuel et Séverine sont furieux. Surtout Manuel, qui va se montrer plus agressif que jamais sur les chantiers. S’il soupçonne fortement Saïd d’avoir engrossé sa fille, Céline ne dévoilera pas le nom du père de son bébé. Elle va devoir passer l’été chez ses grands-parents, tandis que Jo se trouve une nouvelle amie, Garance, faisant partie de l’élite bourgeoise des environs. Grosse tension durant tout l’été pour toute la famille. (Extrait) “Et elle reprend sa montée pour aller s’enfermer dans sa chambre. Casque sur les oreilles, musique à fond, elle serre les pans de sa couette comme on enlace un corps ou un doudou. Céline se balance un peu, les yeux dans la lumière. Une chaleur à crever, encore. Il aurait fallu croiser les volets pendant la journée pour garder un peu de fraîcheur, mais ce matin elle a oublié. Le paulownia tend ses branches jusqu’à hauteur de fenêtre. Elle observe les panicules violines, déjà pourries, collées au bois. Ça l’écœure un peu. Elle imagine qu’ils parlent d’elle, en bas. La traitent de pute, peut-être. Et puis elle monte le son, se lève pour danser devant le miroir. Lentement, elle se déhanche : de face, ça va, mais de profil, c’est déjà foutu, le renflement habité transforme sa silhouette. Elle ne chialera pas.” La complexité des adolescents, filles ou garçons, c’est un sempiternel sujet de société à explorer, présentant de multiples facettes. S’il y a des traits communs chez les ados, on trouve aussi beaucoup d’individualités, de réactions différentes voire contraires. Même pour des sœurs qui s’entendent bien, comme on nous le montre ici. La cadette ne partage pas la part d’exhibitionnisme de son aînée. Elle prend grand plaisir à jouer les allumeuses, la belle Céline. Néanmoins, affronter l’opprobre et garder secrète l’identité du père de son futur bébé, ce sont des défis qu’elle se sent prête à assumer. Par fierté, sûrement un peu, mais parce qu’elle imagine d’avance l’impact désastreux qu’aurait cette révélation. Le contexte familial est essentiel, l’auteure en est consciente. Pour noircir le tableau, il serait facile de présenter un milieu défavorisé, déchiré par d’habituels rapports agressifs. Non, il s’agit d’une famille française ordinaire, menant une vie plutôt banale avant que ne se produise l’événement. Jusqu’à là, les parents en avaient quasiment oublié leur jeunesse insouciante, qui ne remonte pas à si longtemps. Un couple qui, dans son quotidien, élude les questions contrariantes, tel le cas du père de Manuel en fin de vie. Il est possible que, habitant dans une région souvent ensoleillée et propice au farniente, le climat contribue à une telle approche de l’existence. Le décor n’est pas sans importance, sans doute. Ce roman de Marion Brunet, par ailleurs auteure-jeunesse confirmée, n’est ni un polar, ni un suspense. Malgré tout, c’est une intrigue sociétale qu’elle a concoctée. L’ambiance est effectivement celle d’une petite ville, où se répandent rapidement les commérages, où l’on juge facilement l’autre, où il vaut mieux ne pas prendre à cœur la réputation que l’on vous colle. Jo, la jeune sœur, l’a déjà compris. Telle est la réalité humaine, avec ses côtés sombres, malsains ou même cruels, que réussit à évoquer Marion Brunet. Elle dessine une Céline qui n’est pas "malheureuse" dans cette situation, bien que cernée par une tension diffuse. Un portrait convaincant de notre époque. |