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MICHEL BUSSI |
On La Trouvait Plutôt JolieAux éditions PRESSES DE LA CITEVisitez leur site |
1191Lectures depuisLe mardi 2 Janvier 2018
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Une lecture de |
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Parution 12 octobre 2017. 464 pages. 21,90€. On la trouvait plutôt jolie, Lily Elle arrivait des Somalis Lily Dans un bateau plein d´émigrés Qui venaient tous de leur plein gré Non, Leyli ne vient pas de Somali mais du Mali et elle très jolie, cette Peule qui habite dans une cité de Port-de-Bouc près de Marseille. D’ailleurs, vivre dans un F1 de vingt-cinq mètres carrés, dans une tour du quartier des Aigues Douces, cela devient problématique. Aussi ce matin là elle arrive en avance pour rencontrer Patrice ou Patrick, elle ne se souvient plus très bien, Pellerin, le responsable pour l’attribution des logements. Elle vient d’obtenir un CDI, la veinarde, pour travailler comme nettoyeuse de chambres dans un hôtel à succursales multiples et internationales. Ce devrait être un bon point pour ne pas mettre sa demande en dessous des autres dossiers en instance. Elle est célibataire et a trois enfants, Bamby, vingt et un ans, Alpha, dix-huit ans bientôt, et Tidiane, dix ans, qui connaissent des parcours différents. La chambre qui leur est réservée porte les traces de leurs désordres. Les gamins, c’est tellement difficiles à gérer, parfois. Toutefois, elle est intransigeante. Elle veut les voir, tous les soirs, à 19h30 précise, devant leurs assiettes afin de discuter de leur journée. Elle possède une collection incroyable de lunettes de soleil aux montures surprenantes, garnies de fleurs, de papillons, ou autres. Et sa collection de chouettes elle aussi est impressionnante, près de cent-trente pièces, de toutes tailles et de toutes matières. Mais elle garde en elle un secret, et lorsque quelqu’un frappe à sa porte, elle vérifie si rien ne pourrait être dévoilé à l’intrus qui s’immisce. Seul Tidiane fréquente l’école, on a les fréquentations qu’on peut ou qu’on mérite. Et son plaisir c’est de taper dans le ballon qu’Alpha lui a récupéré, un collector qui a échappé d’être placé au rebut par la suite de la défection du Maroc lors de l’organisation de la CAN. Bamby et Alpha vaquent à leurs affaires dont ils n’aiment guère parler, sauf à des amis privilégiés.
Ruben Liberos, le gérant de l’hôtel, à l’enseigne d’un échassier, accueille Leyli aimablement, affablement, mais c’est surtout un mythomane mégalomane. Il invente bon nombre d’histoires qui ne sont pas forcément véridiques, mais ses interlocuteurs ne peuvent lui en vouloir, il est si gentil. Et il sait si bien les faire rire et décontracter! Leyli n’est pas seule, une autre employée est préposée au nettoiement des chambres, un casque vissé sur ses oreilles, il n’est pas interdit d’écouter de la musique tout en travaillant.
En parlant d’hôtel, le Red Corner, situé dans une zone commerciale où fleurissent des enseignes internationales qui donnent l’impression aux touristes de se trouver toujours au même endroit tout en voyageant, est un lieu accueillant. Des chambres sont louées à l’heure, à la demi-journée, à la nuit, voire plus, à des clients qui en apprécient le luxe et l’aménagement. Chaque chambre est meublée et décorée différemment, et celui qui y pénètre peut bourlinguer dans un lieu exotique sans vraiment bouger. Un qui ne voyagera plus, même par incitation à la rêverie interposée, c’est François Valioni, qui travaille, ou travaillait plutôt, pour une importante association d’aide aux migrants. La Volgelzug. Il a été retrouvé dans la chambre Shéhérazade, les poignets attachés à la tête de lit et incisés. Détail supplémentaire, une trace de piqûre est relevée, comme si son meurtrier, avait prélevé du sang afin de l’analyser. Le commandant Petar Velika, la cinquantaine, qui a fui la Yougoslavie lorsqu’il avait quinze ans, et le jeune lieutenant Julo Flores sont chargés de cette enquête. Si Petar, cela lui arrive parfois de s’y mettre d’ailleurs, est expérimenté et peut-être plus réfléchi, Julo est plein de fougue tout en étant zélé, et surtout il apprécie les technologies modernes. Toutefois Julo s’aperçoit que son supérieur est comme gêné par l’appartenance de cet homme à la Volgelzug. Ils découvrent dans les poches du défunt, un bracelet comme en portent parfois des migrants, et dans une pochette, des coquillages dont la forme est particulière. Après recherches, il s’avère que cette variété provient des îles Maldives. Un bon point de départ, mais la présence de ces coquillages ou leur représentation sur une tour de la BCEAO, banque africaine, à Bamako, incruste de nombreux points d’interrogations dans l’esprit de Julo. Ils apprendront par la suite que les cauris, le nom de ces coquillage, servirent de monnaie d’échange il y a peu encore. Le téléphone de Valioni parle sous les doigts de Julo. L’homme était en relation avec une certaine Bambi13, via Facebook, et cette jeune femme ne montre jamais son visage. Et ses photos la représentent dans des endroits différents du globe. Pourtant il y aurait peut-être une certaine corrélation avec la jeune femme qui accompagnait Valioni, puisque le couple figure sur les enregistrements-vidéos, à l’entrée de l’hôtel. Voilée d’une sorte de châle sur lequel sont dessinées des chouettes, elle regarde la caméra furtivement. Seuls ses yeux apparaissent. Mais pourquoi fixe-t-elle ainsi l’appareil ? Et lorsque Julo apprend qu’il existe une Bamby, qu’elle est la sœur d’Alpha, ce jeune adolescent qu’ils viennent d’appréhender, soupçonné de se livrer à un trafic, il établit immédiatement une corrélation. Mais ne se trompe-t-il pas ? Un second meurtre similaire est annoncé et les théories envisagées vont-elles se vérifier ou au contraire tout l’échafaudage va-t-il se disloquer ?
Comme à son habitude, Michel Bussi nous embarbouille les neurones. On sait dès le départ qu’il y a un truc, tel que les prestidigitateurs aiment placer dans leurs tours soi-disant de magie alors que ce ne sont que des rideaux de fumée. Et on marche, on court même dans cette galerie des glaces, dans ces scènes disposées en trompe-l’œil. Pourtant tout est là, juste quelques précisions manquent parfois, mais il n’y pas de tromperie de la part de l’auteur. Les mots, les situations, les faits sont savamment dosés. Pourtant, au-delà d’une histoire qui pourrait sembler simple, un jeu avec le lecteur, une confrontation, Michel Bussi est nettement plus grave dans son propos, dans son intrigue, dans l’histoire sociologique qu’il propose, car il s’agit d’une intrigue humaniste. Tout tourne, ou presque, autour de Vogelzug, Oiseaux migrateurs en allemand, association dont le siège social se situe à Marseille mais possédant des antennes tout autour de la Méditerranée, et qui a passé des accords avec Frontex, l’agence européenne pour la gestion des frontières. Car c’est bien l’immigration qui est le sujet principal de l’intrigue, même si elle semble engluée dans le récit. En incrustation, on suit le parcours de Leyli, tel qu’elle nous le dévoile par épisodes, par de courts chapitres.
Donc, l’immigration. Comme le fait remarquer Petar à son adjoint il ne faut pas confondre réfugiés et migrants. Les réfugiés sont les gentils, ils fuient la guerre dans leur pays, on doit avoir pitié d’eux, on a le devoir moral de les accueillir, la France est une terre d’asile ! Les migrants, eux, ce sont les méchants, ils veulent nous envahir, ils sont seulement pauvres, mais des pauvres, on en a déjà assez chez nous. Tu comprends ? Donc on laisse entrer les réfugiés mais pas les migrants ? Tut tut tut, pas si vite mon garçon. Le devoir de la France est d’accueillir les réfugiés, mais la consigne est de ne pas les laisser entrer ! Du moins ceux qui n’ont pas de papiers, mais comme c’est assez rare que les dictateurs tamponnent leurs visas ou qu’ils trouvent une photocopieuse en état de marche dans les villes bombardées, ils doivent risquer leur peau pour passer illégalement.
Et comme Michel Bussi est professeur de géographie à l’université de Rouen, et directeur de recherche au CNRS, il en profite pour faire un petit rappel concernant l’histoire du passeport qui n’a vraiment pris son rôle de contrôle des migrations et de refouloir après la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que des édifications de murs par des nations prétendument démocratiques. Il pointe du doigt toutes formes d’hypocrisie, une hypocrisie machiavélique qui ruisselle de tous les étages des administrations. Celle de l’immigration, dont voici un autre exemple, parmi tant d’autres : Sans enfants, je ne peux pas prétendre à un logement plus grand. Et sans logement plus grand, je ne peux pas faire venir mes enfants. Mais également celle des ministères, une sorte de duplicité rarement évoquée. Raréfier les effectifs de police tout en augmentant la promiscuité dans les commissariats, voilà un exploit dont seule l’action conjuguée et coordonnée des ministères des Finances et de l’Intérieur pouvait se vanter.
On la trouvait plutôt jolie est un roman plus grave, plus ancré dans le réel, dans le quotidien, plus engagé, mais tout en gardant la marque de fabrique de Michel Bussi, celle de jeter le trouble dans l’esprit du lecteur, jouant avec celui-ci en plaçant de vrais faux effets, un jeu de miroir, des indices qui peuvent se révéler trompeurs, ou pas. Un roman qu’aurait pu écrire Pierre Perret, à qui je dois l’accroche et dont Michel Bussi s’est inspiré, et qui sait se montrer humoristique, paillard, poète, tendre, sensible, humaniste, engagé selon son inspiration, son humeur, et ses joies ou ses colères. |
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