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JEREMY BOUQUIN |
Enfants De La MeuteAux éditions ROUERGUE NOIRVisitez leur site |
319Lectures depuisLe mercredi 1 Novembre 2017
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Une lecture de |
L’univers familial de Garry Lazare n’a jamais été un exemple d’équilibre. Âgé aujourd’hui d’une trentaine d’années, il a vécu sa prime enfance dans un coin perdu du Jura, avec sa mère et son frère Karl. Ils habitaient la cabane de leur papy, Bernard Lazare, à l’abri des forêts, à l’écart du village de La Meute. Le vieux a toujours été un misanthrope, asocial et raciste. Depuis plusieurs décennies, il crache sur le monde actuel qu’il voit telle une jungle insupportable. Quant aux paternels de Karl et Garry, personne ne s’est jamais posé trop de questions. Leur mère a fini par les emmener dans un quartier de banlieue, un des plus pourris de France. Karl s’est vite éloigné, ne donnant plus de nouvelles aux siens depuis longtemps. Leur mère est morte voilà environ dix ans, usée précocement par une existence instable. Garry a développé un business de dealer, sans s’exposer vraiment. Quand le nommé Joe est devenu le caïd des trafics dans les quartiers où opérait Garry, ce dernier a traité d’égal à égal avec lui. Associé, conseiller, un rôle qui lui convenait, quelque peu dans l’ombre de Joe. Car ses activités généraient un maximum de fric, à blanchir. La situation semblait sous contrôle, ça aurait pu durer des années. Dans tous les milieux, surtout celui-là, on se fait bientôt des ennemis lorsqu’on est à la tête d’affaires florissantes. Pour débusquer les réseaux de drogue, les policiers des Stups ne négligent aucun renseignement. Passer entre les mailles du filet n’a pas été tellement difficile pour Garry, le moins repérable. Pourtant, posséder une puissante Subaru tout en subsistant officiellement d’aides sociales, il y avait des indices. Cette fois, il est prudent que Garry prenne le large, aille se mettre au vert. Pour ça, la montagne jurassienne, c’est l’idéal. Garry ne voyage pas seul, Yannis l’accompagne. C’est un gamin de huit ans, le fils de Joe et de Marie. De la banlieue au Jura, un périple fatiguant pour un môme de cet âge. Quant aux décors, Yannis a l’impression de se retrouver au pays des loups et des monstres. Se planquer un temps tous les deux chez le papy, ça paraissait jouable à Garry. Certes, le caractère du vieil ermite ne s’est pas amélioré, d’autant moins quand il s’alcoolise. Mais il a conservé des jouets et vêtements d’enfants ayant servi à Garry et son frère. Ce qui va être utile, car Garry n’est guère équipé pour le gamin. La chaleur est intense, un orage approche, la tempête va déferler, et la route unique va être bloquée au niveau du village. Dans le même temps, un "chasseur" se rapproche. Il n’ignore rien de ce qui se passe dans les quartiers ces dernières heures. Il a une mission : récupérer le petit Yannis… (Extrait) “Je me suis couché, dans le même lit que le gamin. Papy nous a laissé son plumard. Il n’a pas changé les draps. La couverture en laine gratte. Les draps sentent l’urine, la transpiration aigre. Yannis dort à points fermés. Il tête son pouce, il a son doudou pressé sous son thorax comme pour ne pas qu’on le lui fauche. Je me glisse dans les draps, je m’enroule, je tire sur un bout de traversin. Je m’endors facilement, je sombre dans un sommeil sans rêve […] En pleine nuit, mon téléphone vibre. Un texto. Je me réveille, allongé à côté du petit endormi. Yannis bave sur ma veste qui lui sert d’oreiller. Au loin j’entends le vieux qui pionce. Il ronfle comme un sonneur. Je me redresse. L’écran scintille, un nom apparaît : Joe. Son numéro de portable, celui qu’on lui a refilé en taule. "Je sors demain, comme prévu". Joe… Mon boss, mon ami surtout.” Jérémy Bouquin est expert en romans nerveux. Narration cash et intrigue efficace, c’est ce qui lui réussit le mieux. On pourrait sûrement y déceler des notions nihilistes. Le ton est donné dès le départ, entre l’adulte sous tension et le gamin subissant les maladresses de celui-ci : “Personne dans le coin pour assister à cette scène mémorable d’un débile qui gueule après un pauvre môme.” On ne peut pas attendre davantage de tendresse de Garry, bien qu’il ne veuille aucun mal à l’enfant. Pas un brutal, juste un trentenaire qui a grandi dans une jungle urbaine. Où il y a intérêt à s’affirmer et à savoir choisir ses amis. D’où il faut savoir déguerpir assez tôt, parfois. Au centre de cette aventure, priment les personnages – solitaires, et leurs parcours – chaotiques. Est-ce que l’on éprouvera pour eux de l’empathie ? Leurs souvenirs, amers ou pas, nous toucheront-ils ? Pas sûr, c’est une galerie de durs, voire de cyniques, que nous présente l’auteur. Excepté l’enfant, évidemment. D’un côté, des paysages bucoliques, qui rappellent que la nature peut aussi être très rude. De l’autre, les immeubles des cités de Seine-Saint-Denis, où des gangs de toutes origines sont prêts à se faire la guerre afin d’exploiter de fructueux trafics. Dans ces conditions, il est possible que la justice s’inscrive dans une logique très peu morale, finalement. Belle vivacité pour un polar percutant. |
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