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XAVIER BOISSEL

Avant L'aube


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Xavier BOISSEL




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

Fin 1966, âgé de près de quarante ans, Philippe Marlin est policier à la Criminelle. Veuf de Jeanne, décédée accidentellement, il habite le quartier parisien des Batignolles, avec son chat Duke. Le jazz est une passion pour Marlin. Dans le service du commissaire Baynac, il fait équipe avec Olivier Le Varech. On découvre le cadavre mutilé d’une femme sur les rails de la Petite Ceinture, dans le 17e. La victime est bientôt identifiée : Audrey Mésange, vingt-cinq ans. Orpheline, elle pratiqua la prostitution, quelques années plus tôt. Son mari M.Flanquart est un industriel du BTP. Selon lui, Audrey était censée se trouver dans leur propriété de Honfleur. L’époux dispose d’un alibi facilement vérifiable.

Comment la victime passa-t-elle de la rue à la respectabilité bourgeoise ? En explorant le passé d’Audrey, les policiers espèrent obtenir la réponse. Étant présents à l’enterrement de la jeune femme, les enquêteurs constatent que M.Flanquart compte des amis haut-placés dans les cercles gaullistes. Probablement même des personnes du Service d’Action Civique, réseau de fidèles du Général de Gaulle. La jeune journaliste Charlotte Saint-Aunix travaille pour l’AFP. Ce meurtre mystérieux l’intéressant, elle fournit à Philippe Marlin une éventuelle piste, celle d’une Dauphine volée ayant pu transporter le cadavre. La police tient un suspect, un délinquant sexuel multirécidiviste, mais son alibi est valable.

Le chef de chantier Amad, employé par M.Flanquart, s’était récemment disputé avec la victime, qu’il connaissait par le passé. Lors de l’interpellation d’Amad, le policer Le Varech est gravement blessé. Durant l’interrogatoire du chef de chantier, il se produit une bavure. Ce qui, après suspension et enquête interne, entraîne la fin de l’équipe du commissaire Baynac. Ayant passé les Fêtes sur la côte normande, Marlin rentre à Paris en janvier 1967. L’affaire Audrey Mésange sera vite classée, maintenant. Devenant intime avec Charlotte Saint-Aunix, Marlin intègre un nouveau groupe de policiers. Même si un des collègues est sympathique, encore que peu causant, l’ambiance sans cordialité change beaucoup.

Philippe Marlin est conscient qu’il doit se méfier d’un autre policier, dont l’appartenance au SAC est à peine un secret. Des élections législatives approchant, le contexte politique est plutôt chargé. Les barons du gaullisme, dont certains viennent de la Résistance comme l’ancien chef de Marlin, promettent un avenir radieux. Les partisans de Mitterrand et de Lecanuet ont bon espoir. Marlin obtient des infos sur la SIDS, une société immobilière liée aux grands projets urbains actuels ainsi qu’aux autoroutes. M.Flanquart et ses amis, mais aussi d’autres membres du SAC, n’en feraient-ils pas partie ? L’accident d’un ami dans le Morvan va avoir des conséquences, terriblement dangereuses, pour Marlin et Charlotte…

(Extrait) “J’ai pris sur ma droite, mais au lieu d’aller tout droit vers Condorcet, je suis entré sous le premier porche. J’ai traversé le hall. Bruit d’une radio en sourdine. Odeur de ragoût que la bignole était en train de préparer dans la loge. J’ai ouvert le sas et je suis allé au fond de la cour, où je me suis caché dans un angle. Je n’ai pas eu longtemps à attendre. Quand Jean-Louis est sorti par la porte des cuisines pour jeter les poubelles, je l’ai alpagué. Petit crochet au foie. Le coup de poing qui fait le plus mal, celui qui paralyse, tous les boxeurs vous le diront. Meurtrier et sans trace. Le type s’est effondré par terre comme une poche de sable. Je l’ai chopé au col, l’ai relevé et plaqué contre le mur lépreux des cuisines.

— J’aime vraiment pas qu’on me prenne pour un con, et c’est pas un merdeux de ton espèce qui va commencer. Tu t’es bien foutu de ma gueule ?”

Dans une fiction, il est toujours difficile d’aborder frontalement un sujet tel que le SAC, Service d’Action Civique. Ayant existé de 1960 à 1981, association d’obédience gaulliste, ce n’était pas un club d’amis politiques mais toute une organisation, avec ses facettes secrètes et une police parallèle. Tandis que les notables du système autour du Général De Gaulle fermaient les yeux sur les méfaits du SAC, une omerta médiatique régnait afin de ne jamais évoquer ce groupe au service du pouvoir. Les méthodes des mercenaires qui le composaient étaient criminelles, soi-disant "pour la bonne cause". Au nom du prestige de la France, fantasme des tout-puissants politiciens d’alors. Certains opposants en firent la cruelle expérience, à l’issue parfois mortelle. L’illustrer dans un roman est périlleux, par la nature fantomatique du SAC et parce que exécutants et chefs restaient dans l’ombre.

C’est d’une manière très vivante que Xavier Boissel retrace cette époque, dans la seconde moitié des années 1960. Paris se modernise (Maine-Montparnasse), des "villes nouvelles" vont naître (Cergy-Pontoise), mais on est encore pour quelques années dans le mode de vie instauré depuis la fin de la guerre (concierges, petits bistrots). Les passionnés de jazz, comme Philippe Marlin, sont nombreux et trouvent des spectacles à leur goût en divers endroits. À noter que son nom peut faire penser à Philip Marlowe, le détective crée par Raymond Chandler. Influencée par le régime, la police est hiérarchisée, avec promesse d’une belle carrière pour les serviteurs zélés. Les autres, même anciens Résistants, sont confinés dans des fonctions annexes (certains policiers en ont témoigné). Imaginer que des suspects soient intouchables, parce que du bon côté, n’a rien d’absurde.

Une histoire sur fond d’affairisme, de corruption, de pratiques violentes, ça s’inscrit dans la bonne tradition du roman noir. Entre sociologie et enquête, la nostalgie de ces années-là est teintée de côtés sombres. La tonalité musicale du jazz y contribue, d’ailleurs. Xavier Boissel joue sur toutes ces nuances, maîtrisant solidement son intrigue, portée par une narration souple. Ce roman inédit est une vraie réussite.

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