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ANTOINE BREA |
Récit D'un AvocatAux éditions SEUILVisitez leur site |
643Lectures depuisLe jeudi 24 Aout 2017
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Une lecture de |
Il s’agit d’un avocat d’une trentaine d’années. Après des missions internationales, il a intégré un cabinet d’avocats, où il ne joue qu’un rôle assez modeste. Il est contacté par une dame âgée appartenant à la haute société. L’activité caritative de celle-ci consiste en une "correspondance de prison" avec un détenu de la centrale de Clairvaux, Ahmet. Elle souhaite que l’avocat intervienne en faveur de ce Kurde originaire d’Anatolie, en Turquie. Voilà seize ans qu’il est incarcéré, ayant été condamné à trente ans de prison. Son crime remonte à 1994. Originaire d’Alsace, Annie B. était une aide-soignante de vingt-cinq ans. Elle était la petite-amie d’un jeune Turc, ce qui déplaisait à la famille de ce dernier. Avec Unwer K., membre de ce clan, Ahmet fut chargé de "donner une leçon" à la jeune femme. Au-delà des brutales maltraitances, cela se termina par la mort d’Annie B. Toutefois, elle eut le temps de citer les noms de ses agresseurs. Le jugement fut logique : prison à vie pour Unwer K., même si Ahmet endossa plus que sa responsabilité. N’ayant plus de titre de séjour en France, suite à sa condamnation, Ahmet risque d’être expulsé dès la fin de sa peine de prison. En Turquie, la famille K. l’attendra le temps qu’il faudra, estimant qu’il a une "dette de sang" envers eux. C’est donc la mort qui lui est promise s’il retourne en Anatolie. Même si Ahmet est un prisonnier modèle à Clairvaux, tous les recours lui ont été refusés à ce jour. L’avocat se rend sur place, afin d’étudier la situation en rencontrant l’intéressé. Il obtiendra une audience, plaidant un aménagement de peine, qui sera accordé à Ahmet. Néanmoins, il lui reste encore quelques années de prison. À l’issue desquelles, il sera expulsé comme prévu, faute de titre de séjour. L’avocat a fait ce qu’il pouvait pour Ahmet. Au fil des ans, son parcours de défenseur a légèrement évolué, s’installant à son compte. Il s’est occupé de dossiers concernant des étrangers et de "délinquance minimale". Il a acquis un certain équilibre qui lui manquait, même s’il avoue encore une fragilité personnelle. Cinq ans après avoir été saisi du cas d’Ahmet, il apprend que c’est l’échéance pour le Kurde : il a été réexpédié dans son pays, peu après sa sortie de prison. En contact avec une interprète, l’avocat est bientôt informé des nouveaux choix de vie d’Ahmet. Il va même s’en rendre discrètement complice, ce qui risque de tourmenter à nouveau sa conscience… (Extrait) “Lorsqu’on l’avait fait entrer au parloir, Ahmet avait souri d’une rangée de dents très blanches et de tout l’entretien ne s’était plus départi de ce sourire. Cela lui donnait un air perturbant, voire dérangé. Les thèmes abordés et mes explications n’avaient du reste rien pour le réjouir. Mais je crois qu’il était juste heureux de parler, que quelqu’un d’extérieur ait fait la route pour le connaître, fût-ce un professionnel mandaté par un tiers. Physiquement, il avait l’air en bonne forme. C’était un individu très brun, coupé au bol, de taille médiocre et de complexion émaciée, encore que musculeuse […] Nous avons échangé des politesses, quelques paroles insignifiantes pour mieux s’introduire l’un à l’autre. Son français était difficile, et il s’est ébloui de voir que je savais des mots de sa langue, appris au cours de mon séjour en Anatolie…” Même s’agissant d’un court roman comme celui-ci, il y a souvent plusieurs manières de l’aborder, plusieurs "lectures". Le narrateur et personnage central est un avocat, anonyme quant à son nom, mais qui nous fait partager son état d’esprit. Ce n’est nullement un de ces "ténors du barreau", avocats brillants à la carrière rectiligne et ascendante. Il admet l’instabilité de son caractère, ses sentiments malaisés. Son parcours compte comme un des éléments de l’affaire. Un deuxième regard porte ici sur ce qu’on appelle encore parfois la double peine : l’expulsion d’étrangers condamnés en France. Les décisions judiciaires en la matière se conçoivent. Il est assez habituel que ces prisonniers d’origine étrangère se disent en danger si on les renvoie chez eux. Dans certains cas, c’est sûrement la vérité. Quoi qu’il en soit, une expulsion n’est pas sans conséquences pour ces repris de justice étrangers. Elle peut entraîner une "radicalisation", quelle qu’en soit la forme. En France, Ahmet ne fait preuve d’aucune agressivité, mais si le destin l’emporte ailleurs… L’actualité de ces dernières années nous a montré la complexité du monde arabo-musulman, y compris en Turquie et face au cas particulier du peuple kurde. C’est là le troisième aspect de cette histoire. Si l’on est ici aux limites du roman noir ou du polar, voilà pourtant un livre qui souligne avec justesse la dimension humaine dans un monde actuel compliqué. |