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LAWRENCE BLOCK |
Le Voleur Qui Comptait Les CuillèresAux éditions SERIE NOIREVisitez leur site |
1579Lectures depuisLe mardi 2 Novembre 2016
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Une lecture de |
Malgré la concurrence du livre numérique, la librairie Barnegat Books existe toujours au cœur de New York. Située sur la 11e Rue-est à Greenwich Village, elle est tenue depuis de nombreuses années par Bernie Rhodenbarr. Il est propriétaire de l’immeuble où se trouve sa boutique. À quelques pas de là, le salon de toilettage Poodle Factory est dirigé par son amie lesbienne Carolyn Kayser. Déjeunant ensemble ou partageant leurs soirées, Bernie ne cache rien à cette fidèle copine. Ni ses rencontres amoureuses, même si le mariage ne fait nullement partie de ses projets. Ni son activité parallèle, plus rémunératrice que la vente de livres, car Bernie est un cambrioleur émérite. Certes, le policier Ray Kirschmann a parfois failli le coincer, mais le libraire lui certifie ne plus être un voleur. Il existe toutes sortes de collectionneurs. Œuvres d’art, livres rares ou objets insolites, on voit parfois des gens se passionner et payer cher pour alimenter leurs collections. C’est le cas de l’anonyme M.Smith, qui contacte Bernie. Il veut se procurer le manuscrit original de la nouvelle “L’étrange histoire de Benjamin Button”. Il ne s’intéresse pas à la littérature de Francis Scott Fitzgerald. Encore qu’il ne soit pas indifférent à un texte proche de cette nouvelle, dû à un écrivain européen oublié. Bernie se débrouille donc pour aller dérober le manuscrit de Fitzgerald au musée Galtonbrook. Si M.Smith paie comme prévu, Bernie va bientôt comprendre la vraie nature de la collection de son client. Ce dernier aura plus tard une seconde mission à lui confier, qui doit se dérouler en deux temps. Bernie va vivre une brève relation avec une certaine Janine (est-ce son vrai prénom?). La jeune femme estime qu’il ne concorde pas avec le plan marital qu’elle s’est fixée. Ce qui est assez probable. Quant au policier Ray Kirschmann, il vient voir Bernie à la librairie au sujet d’un cambriolage ayant peut-être entraîné un décès. Il ne le soupçonne pas d’être le coupable. D’ailleurs, on ne sait trop de quoi est morte la vieille Mme Ostermaier. Le choc de tomber sur le voleur en rentrant chez elle ? Peu probable. Après autopsie, la véritable raison laissera sceptique Bernie et le policier. Ray Kirschmann note que le libraire utilise inconsciemment le terme “d’intrus” plutôt que de dire “le cambrioleur”. Il est vrai que la mise en scène apparaît trop soigneuse pour être signée par un simple voleur. La nouvelle mission, en deux temps, commanditée par M.Smith a pour but de rencontrer M.Leopold, un excentrique logeant dans un immeuble ultra-sécurisé. L’objet unique désiré par M.Smith appartient, à son moindre niveau, à l’Histoire des États-Unis. Bernie ne va pas le voler, mais il peut compter sur Chloe Miller pour s’en charger à sa place, contre une belle rétribution. Elle fera même en sorte que M.Leopold ne suspecte pas le libraire. Pas sûr que toute cette opération laisse un bénéfice à Bernie. Pas plus que de résoudre, avec le policier Ray, le curieux cas du décès de Mme Ostermaier… (Extrait) “Tout ce que fait ce manuscrit, ai-je dit, c’est de traîner au sous-sol. Je serais tenté de dire "de prendre la poussière", mais il faudrait qu’il soit à l’air libre pour que la poussière puisse se déposer dessus, alors qu’il est dans une boîte où personne ne le voit jamais. Il est répertorié et catalogué, parce que sinon Smith ne serait pas au courant de son existence, mais comme il porte le titre original de Fitzgerald, les gens du musée ne savent pas ce que c’est. Et ils ne le sauront très probablement jamais parce que personne, là-bas, ne s’y intéresse assez pour le découvrir. Tu sais où se manuscrit devrait être ? À Princeton, avec le reste des archives de l’auteur, et la seule façon dont il pourra y parvenir est que mon ami Smith mette la main dessus et le lègue à l’université…” Voilà bientôt quatre décennies que sévit le libraire Bernie Rhodenbarr, ce pur new-yorkais originaire de l’Ohio. C’est certainement le dernier gentleman-cambrioleur, dans la lignée d’Arsène Lupin. Encore qu’il fasse plutôt référence à Raffles, héros créé par le beau-frère de Conan Doyle, plus célèbre dans le monde anglo-saxon. Si le productif Lawrence Block a écrit par ailleurs des suspenses plus sombres, les aventures de Bernie sont davantage destinées à sourire. (Notons le comique de répétition, avec les portions de cet “Écluse Panama” que Carolyn et Bernie testent à chaque déjeuner). Toutefois, ne nous y trompons pas, la construction du récit montre la superbe maîtrise narrative de l’auteur, toute en souplesse et en péripéties croisées. Commerçant dans le civil, cet "as de la cambriole" n’en a pas moins une vie personnelle, qui fait autant partie intégrante de l’intrigue. Soulignons que, bien que respectueux de l’objet-livre, Bernie n’est pas aveugle concernant les nouvelles technologies et les modes de vente actuels. Quant aux couples gays ou lesbiens, le sujet est également illustré ici. On peut supposer que les détails historiques évoqués au cours des tribulations de Bernie soient exact. Par exemple, Alexander Roda Roda (1872-1945) fut bien un écrivain d’autrefois. De même pour l’orfèvre juif américain Myer Myers (1723-1795). Savoir si on y ajoute une part fictionnelle, quelle importance lorsque c’est aussi bien raconté ? Voilà ce qui fait le charme des romans de cet auteur : on se laisse bien volontiers porter par le récit. Encore un excellent titre de Lawrence Block !
The Burglar who counted the spoons - 2013. Traduction de Mona de Pracontal. Une aventure de Bernie Rhodenbarr. Collection Série Noire. Parution le 13 octobre 2016. 352 pages. 21,00€. On passe le temps comme on peut ! Pour Bernie Rhodenbarr, le métier de bouquiniste n'est plus ce qu'il était. Pour preuve cette cliente qui entre dans son échoppe, regarde un livre sur une étagère, téléphone et déclare qu'elle est intéressée mais ne le prend pas, car elle vient de l'acheter en ligne. Pourtant c'est un ouvrage rare ! Ou encore ce jeune étudiant qui lui achète des livres et les revend avec profit via un site de ventes en ligne, réalisant de beaux bénéfices. Comme sa profession de bouquiniste le fait tout juste vivre, Bernie réalise de temps à autre de petits extras pour des clients qui savent se montrer reconnaissants, le payant largement pour les risques qu'il prend. Monte-en l'air à ses heures, il accepte une mission pour le compte d'un certain monsieur Smith, patronyme aussi courant que Martin en France. Bernie est chargé de récupérer dans les archives du Galtonbrook Hall, un musée qui ne connait pas l'affluence mais possède des trésors grâce à l'ancien riche propriétaire qui accumulait les œuvres d'art, Bernie est chargé donc de récupérer un manuscrit de Fitzgerald, surtout connu pour Gatsby le magnifique. Un roman que son client ne tient pas en grande estime. Ce qui l'intéresse, c'est une première mouture de L'étrange affaire de Benjamin Button dont il collectionne les différentes éditions. Bernie, après avoir repéré les lieux, s'introduit dans la pièce réservée aux archives et s'empare du fameux manuscrit, avec la complicité de son amie Carolyn. Carolyn, avec qui il prend un pot tous les soirs ou presque, avec qui il dine régulièrement, mais avec qui il ne couche pas, d'abord parce qu'il tient à sa liberté, ensuite parce que Carolyn est lesbienne. Un premier vol pour ce client qui le rémunère grassement et lui propose une autre appropriation car en réalité il collectionne tout ce qui a rapport aux boutons et aux badges. Et cette nouvelle saisie doit s'effectuer chez un riche homme qui détient des cuillères au manche un peu spécial.
Parallèlement, son ami Ray Kirschmann, inspecteur au NYPD, qui lui a souvent mis, ou tenté de mettre, des bâtons dans les roues lors de quelques cambriolages antérieurs, lui demande un petit service. Il sait que Bernie, la main sur le cœur, a décidé d'arrêter ses activités de cambrioleur, mais cette fois il réquisitionne son ami pour la bonne cause. Madame Ostermaier, qui vivait dans une grande demeure, est décédée en rentant plus tôt que prévu alors qu'elle assistait à la représentation d'un opéra de Wagner. Elle a été découverte gisant sur le tapis dans son salon, et si elle a cessé de respirer, c'est la seule chose de sûre que les policiers ont à se mettre sous la dent. Pour l'instant. Mais la cause réelle de ce décès est encore à trouver. Kirschmann souhaite que Bernie vienne avec lui étudier les lieux et donner son avis. Que ne ferait-on pas pour un ami policier ? Bernie accompagne donc Kirschmann et selon toutes les probabilités, un cambrioleur est passé par là. Est-ce cette intrusion qui aurait obligé le cœur de madame Ostermaier à s'arrêter de battre ? Peut-être, mais il existe probablement une autre raison. Car la manière dont les objets sont à terre, le manteau de la victime déposé sur l'accoudoir d'un fauteuil et autres petits indices laissent Bernie dubitatif et il pense à une mise en scène. Bernie est un grand lecteur. Ce qui tombe bien puisqu'il n'a qu'à se servir sur les rayons de sa bouquinerie. Alors il lit de nombreux romans d'auteurs actuels ou ayant connu une belle carrière au siècle dernier comme Rex Stout, et c'est justement en parcourant un romans policiers que des idées lui viennent concernant l'enquête qu'il doit mener. Et d'ailleurs il convoquera tous les acteurs, ou presque de cette histoire, et les mettra en scène façon L'Homme aux Orchidées.
Les digressions sont le levain des soufflés littéraires que l'on déguste avec une cuillère. Et les digressions ne manquent pas dans ce roman, dont le ton et les dialogues font penser à Pelham Grenville Wodehouse. Un humour froid, parfois caustique, ou tout simplement le nonsense britannique qui joue sur la dérision et l'absurde, quel que soit le sujet abordé. Les réparties entre Carolyn, Ray Kirschmann, ou d'autres intervenants, sont ciselées, et certaines scènes valent le détour. Si Bernie est célibataire, il se laisse parfois subjuguer par des clientes, ce qui lui offre d'heureuses surprises et le plaisir de faire la connaissance d'autres personnes qui l'aideront dans certaines de ses démarches. Parmi les nombreuses parenthèses qu'effectue l'auteur, celle concernant la préconisation de la lecture d'un roman de Marcel Proust par exemple, beaucoup plus efficace et moins onéreuse et préjudiciable pour la santé que la prise de comprimés de somnifère, ou encore, lors de conversations avec Carolyn, de ses points de vue sur les gays et les lesbiennes, professant des idées de tolérance que de nombreuses personnes devraient mettre à profit. De même il explique, peut-être un peu longuement, tout ce qui a trait aux badges à épingles, aux boutons, avec des références historiques intéressantes, surtout pour les Américains qui sont les premiers concernés dans ce qui est une sorte d'inventaire. Et il ne faut pas oublier ses remarques sur le numérique et l'achat en ligne d'ouvrages, anciens ou non, qui mettent l'avenir des bouquinistes en péril. Enfin il ne faut le prendre pour un imbécile, il sait se venger en douceur, et tant pis pour celui qui a voulu le gruger. Toutefois, j'émets des réserves sur la traduction de Mona de Pracontal, notamment sur le rôle du cœur.
Tu sais que ton cœur est une pompe, qu'il pompe le sang de tes artères, et qu'ensuite il reflue ? Par les veines. Exact. Et dire que j'ai toujours cru le contraire. Du moins c'est ce que j'avais appris à l'école. Y-a-t-il un docteur dans la salle ? |
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