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JEREMY BOUQUIN |
À Mort Le Chat !Aux éditions LAJOUANIEVisitez leur site |
1194Lectures depuisLe jeudi 14 Mai 2015
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Une lecture de |
Jarring est un lobbyiste quadragénaire carrément speedé. L'argent, il n'en manque pas, claquant de belles sommes pour s'acheter toutes sortes d'excitants, de drogues. Il en a besoin afin que son énergie ne retombe jamais. Son suivi chez un psy et les quelques antidépresseurs qu'on lui prescrit n'y suffiraient pas. D'autant que, quand il n'entend pas la voix de son défunt père, c'est celle de son chat qui lui parle. Ce qui est paradoxal chez lui, c'est qu'il est allergique aux félins au point de les maltraiter, mais qu'il ne peut s'en passer. Des problèmes auxquels il remédie grâce à l'alcool et aux substances illégales. Dans son job, il doit être shooté au maximum. Laissons-le expliquer son métier : “Je bricole des stratégies cyniques pour contrer les attaques permanentes des entreprises concurrentes de mes clients, je travaille aussi pour des politiques en manque d'image, ou tout simplement avec des petits soucis. J'adore mon job. Je bosse jour et nuit, vis à cent à l'heure […] Je suis le "Scarface" de la communication, "L'Inspecteur Harry" du lobbying. Je massacre, j'égorge, j'impose dans la douleur mes idées… enfin, celles de mes clients […] Ma réputation me précède. Des clients, j'en ai eu des milliers. Des stars, des gros poissons, des ministres. Mon carnet d'adresses est bourré à craquer de gens qui ne diront que du bien de mon travail. Que je sois défoncé, obsédé, pédé, drogué, complètement taré, ils s'en moquent. Je suis celui qui les a sortis de la merde…” Sa nouvelle mission, pour laquelle son devis réclamera un budget conséquent, c'est de valoriser les OGM, de positiver autour de ces produits, peut-être de faire passer des lois qui les autoriseront sans restriction. Un tel projet tient sur un Post-It : “Une stratégie médiatique, un mouvement populaire, une réaction en chaîne sur les OGM. Une "réaction sociétale", faire entendre à la majorité d'un peuple que bouffer de la merde est vital, voire épanouissant.” Pour ça, il a besoin des méthodes de la communicante Catherine, une vraie tornade en contact perpétuel avec des tas de décideurs, et de son équipe affûtée. En plus, côté sexe, c'est aussi hyper chaud quand Catherine se déchaîne. Pour le défoulement, il se procure aussi un Magnum 357 digne de son héros, l'inspecteur Harry Callahan. Trouver une personne charismatique qui incarnera les bienfaits des OGM, voilà la carte à jouer. Un casting, mille possibilités pour le staff de Catherine. Jarring pense que c'est un homme politique qu'il lui faut, pas trop connu donc malléable. Il repère le candidat idéal, député-maire dans un bled du Sud. Avec son dernier chaton et un stock de drogues, il file sur l'autoroute, trajet halluciné jusqu'à cette bourgade endormie. Hermétique aux réseaux Internet, ce trou perdu, ça ne va pas l'aider. À cause du chat, il est refoulé à l'hôtel local, et doit dormir dans sa voiture. À cause de sa désinvolture, n'ayant pas de rendez-vous, il est pareillement refoulé à la mairie. Il n'est pas coutumier de ces contretemps. Difficile à joindre, le politicien lui donne finalement rendez-vous dans un garage de la commune. Pas de maire, mais des types patibulaires dans cet endroit louche. Le but est de le décourager, en employant la force sans hésiter, qu'il comprenne une fois pour toutes. Heureusement que, en état de choc, il va trouver un pharmacien compatissant. Le député-maire, il en a besoin pour l'opération OGM, mais il ne renonce pas à se venger des brutes qui l'ont tourmenté, non plus. Quitte à dépasser un point de non-retour… C'est un roman trash, agressif, décalé, provocant. Le premier chat-pitre est là pour nous donner la tonalité : sous amphétes et autres dopants type "pot belge", ça va zigouiller sec et remuer grave. Âmes sensibles et amis des chats s'abstenir. Le lobbying, ça ne fait pas dans la guimauve ultra-sucrée, ni dans la balade automobile respectueuse des limitations de vitesse. On charge la dose de stimulants sans modération, puis on secoue les idées et les gens, on force le passage et on impose son tempo d'enfer, dans ces milieux-là. Aucun sentiment, de l'efficacité. Tout est un produit, la politique venant en tête : “La politique est devenue un passe-temps. Les guerres de partis : ridicules ; depuis longtemps, j'ai compris que les valeurs, la vitrine, n'existent pas. Ces types sont des cannibales, des prédateurs juste bons à se massacrer... Escroqueries, abus, détournements, tout cela n'est que le triste background d'une caste qui préfère diriger à trouver des solutions.” Dans la vie réelle, il semble que les carrières de lobbyistes ne soient pas tellement longues, ils tournent la page, trouvent une planque chez leurs relations. Ici, le héros aura-t-il cette sagesse ? À trop jouer avec le feu, à trop se prendre pour l'inspecteur Harry, les abus finissent par se payer, on s'en doute bien. Surtout si tout cela repose sur des bases plus tourmentées qu'il y paraît… Soyons clairs : la psychologie y étant brutale, il est plus que probable que ce roman noir déplaise à des lectrices et lecteurs habitués aux intrigues conventionnelles, aux histoires énigmatiques. Pour d'autres, ce rythme effréné, en sur-régime, avec ses moments sanglants et crasseux, c'est justement ce qui offre sa saveur acidulée à ce suspense. “À mort le chat !” est une vraie réussite, dans son genre.
Les amoureux des animaux domestiques vous diront qu’il ne manque que la parole à leur Médor bien-aimé ou à leur Mistigri chéri. Jarring (pas de prénom, pour quoi faire, il ne vous écoutera pas si vous lui parlez, à moins que vous ne lui soyez utile à quelque chose) les tue dès qu’ils lui parlent. Car les chats lui parlent… à lui, qui voudrait qu’ils se taisent. Dès que ses chats atteignent l’âge adulte, ils se transforment en conscience parlante, le harcelant de reproches. Qu’ils le fassent avec la voix de son père décédé intéresse beaucoup le psy de Jarring, homme moderne végétarien, lobbyiste, futile et paranoïaque, probablement assez gravement schizophrène, de plus totalement dénué d’empathie. Héros peu sympathique… L’histoire, un road-book (comme on dirait un road movie) perd rapidement son intention initiale et se perd dans le dédale de la folie de son héros. On se fiche finalement éperdument de savoir s’il transigera sur ses rares principes pour créer, via son agence de com’ et une campagne dédiée, l’adhésion du public à la commercialisation de produits labellisés 100% OGM. Après cette phrase d’entame originale : « Aujourd’hui, j’ai tué mon chat ! Yeah !»… on suit Jarring dans ses rendez vous professionnels, faits d’esbroufe, de provocation, d’agressivité, auxquels il ne se rend pas sans avoir fumé ou pris des cachetons ou sniffé… le plus souvent les trois cumulés. Toute sa philosophie d’existence, s’il en a une, ce qui n’est pas certain, se résume ainsi : « Le monde est absurde, nécessairement, la vie ensemble est absurde, l’intelligence de l’homme est débile ». Il y a du Bret Easton Ellis dans le personnage de Jarring : son égotisme absolu, sa dérive, ses tentations de meurtre de masse… Le roman est servi par une écriture rapide, heurtée, qui vous empoigne, refuse de vous lâcher, vous secoue comme un prunier, vous traine de force d’abjections en cynisme total, de dérision salvatrice en folie pitoyable, le tout sauvé par un humour féroce. Jean-Charles Lajouanie ne s’est pas trompé en éditant Jérémy Bouquin. Ses textes précédents récemment parus chez Ska par exemple, annonçaient déjà une plume profondément originale, à des années lumières des conventions. Alors, amoureux des chats n’hésitez pas, car qui sait si le félin n’aura pas le « dernier mot ».
Parution le 17 avril 2015. 272 pages. 18,00€. Ah bin, chat alors ! Le lecteur entre dans ce bouquin, pardon, dans ce livre comme on saute à pieds joints dans une mare de boue. Cela éclabousse de partout, ça laisse des traces dans les neurones, et on se dit que pour une fois le héros n'est vraiment pas quelqu'un de sympathique, quelqu'un avec qui on aimerait passer ne serait-ce qu'un après-midi. D'ailleurs, dès le premier Chat pitre, le ton est donné. Aujourd'hui j'ai tué mon chat. Pas par accident, non, volontairement. Tout ça parce que son chat a eu le malheur de parler. De l'invectiver, de l'insulter, lui, son maître. De le traiter de tous les noms, au nom de quoi, je vous le demande. Non, vous ne pouvez pas savoir... Bref, Jarring, c'est le nom du massacreur de chat, a écrasé, balancé contre les murs, écrabouillé la tête de son félidé, tout ça à cause de quelques paroles malheureuses. Comme s'il n'y avait pas assez de son père pour lui parler, son père est décédé depuis des années je précise, qui se rappelle à son bon souvenir. Jarring est perpétuellement sous tension. Il banque pour 3000 euros par semaine, c'est lui qui l'affirme, en ecstasy, cannabis, résine, herbe, et autres médicaments dopant le tout ingéré avec de nombreux verres d'alcool afin de mieux dissoudre ce qu'il ingurgite. Ce qui veut dire qu'il n'est pas toujours frais et stable dans ses baskets. Cela ne l'empêche pas de travailler comme lobbyiste, c'est à dire en bon français qu'il est une personne qui organise un groupe de pression auprès d'autorités politiques afin de défendre des intérêts économiques, professionnels. Je ne crois en rien pourtant je vends de tout ! Mais pas à n'importe quel prix ! L'entretien avec son nouveau client s'établit au restaurant. L'homme veut vendre des produits compliqués, des OGM, seulement l'Europe renâcle entraînant à sa suite le refus des gouvernements et des fonctionnaires. Il représente de nombreuses entreprises agroalimentaires. Pourtant, c'est lui qui l'affirme, il faut motiver les Français à le consommer. Un travail comme un autre même si les carottes râpées dans l'assiette de Jarrings, il est végétarien, ont du mal à rejoindre son estomac. Néanmoins il accepte la mission après mûre réflexion, contre un chèque à six chiffres, il aura des frais, et il se retourne auprès de Catherine, sa fidèle amie amante, toujours disponible à l'aider. Auparavant il se rend chez son psy, comme toutes les semaines, il se procure une arme de poing, et achète un chaton. Son appartement est si vide. Catherine est une belle plante nourrie aux OGM, c'est à dire qu'elle est botoxée, siliconée, ravalée, entièrement de la tête aux pieds, surtout aux endroits stratégiques. Mais ça lui va bien. Elle possède un carnet d'adresses indispensables, effectue ses recherches et trouve le client idéal, celui qui devrait porter haut les couleurs des OGM à l'Assemblée Nationale et convaincre ses petits copains de l'hémicycle. Un député-maire d'une petite commune du Sud, favorable aux OGM, peut-être ancien communiste et dont les parents sont écolos. L'homme idéal pour porter la bonne parole.
Et c'est comme ça que notre "Héros", va à la rencontre de celui qui pourrait assumer cette mission. Les ennuis commencent lorsqu'il veut louer une voiture, lui qui n'a pas de permis. Et son chaton, qu'il emmène, se méfie de lui. Il doit savoir qu'au bout d'un certain temps son maître, son esclavagiste, va se débarrasser de lui. Il en perd ses poils le matou.
Drogué, alcoolique, cynique, violent Jarring est un être malsain, mais très demandé, les hommes politiques étant tout le temps sur la brèche, à cause d'une maîtresse, de trafics d'influence, de perte de vitesse, les petits ennuis inhérents de la vie courante de nos édiles. Je suis un cuisinier de la vie sociale, je bricole, concocte, je jette de l'huile sur le feu. Je conditionne mes concitoyens. En nous imposant ce triste personnage, Jérémy Bouquin nous montre l'autre facette de la vie politique et des magouilles qui se trament dans notre dos, grâce à des individus peu recommandables. Je suis ressorti de cette histoire, qui ne manque pas d'humour, l'esprit mitigé car rien dans ce personnage n'attire la sympathie, au contraire. Dès les premières pages on est révulsé par la violence avec laquelle il se déchaîne envers son pauvre félidé qui ne lui a rien fait, sauf lui parler, mais tout ce passe dans son esprit perturbé. Et mettre en scène un drogué alcoolique, limite schizophrène, destructeur de chats, lui faire endosser le beau rôle, car les clients se pressent afin de requérir ses services, être riche tout en ayant l'esprit en vrac la plupart du temps, cela n'est guère moral. Et pourtant Jérémy Bouquin parvient à nous scotcher à cette intrigue, et malgré le dégoût ressenti, on ne peut lâcher ce livre. On veut savoir jusqu'où cela va aller dans la démesure. Et heureusement l'épilogue redresse la situation. |
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