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OLIVIER BORDACARRE |
Dernier DésirAux éditions FAYARDVisitez leur site |
1101Lectures depuisLe mardi 31 Decembre 2013
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Une lecture de |
Prenez une petite famille : papa, maman, fiston. Installez-les, loin de la ville, dans une petite maison d’éclusier, laborieusement retapée, à la recherche d’une vie marquée par le rejet de la ville, ses vitrines clinquantes, ses besoins artificiellement exacerbés. Une vie paisible, loin de tout, à plusieurs kilomètres du prochain village, au bord d’un canal abandonné depuis longtemps. Le paradis ? Dans chaque paradis, il y a un serpent. Ici, il va prendre la figure d’un voisin qui se présente soudain à la famille Martin. L’homme prend possession d’une maison, en tous points identique à la leur, perchée elle aussi au-dessus d’une écluse morte. Riche, vide, désespérément à la recherche d’une existence, le ténébreux Vladimir s’insinue dans leur vie, séduisant tour à tour le fils puis la mère, manipulant le père. Le pauvre Jonathan Martin est le seul à sentir la peur se glisser en frisson froid dans son dos. La descente en enfer est pour lui, et les abîmes de la solitude vont mettre sa raison en perdition. Jusqu’où ? La fin vous retournera comme une crêpe. On peut critiquer le personnage de Vladimir, vide, sulfureux, vampirique, défini dans l’excès sans que rien ne dessine les racines de cette personnalité troublée. La banalité des autres personnages, leur familiarité avec chaque lecteur rend Vladimir d’autant plus inquiétant. Parfois exagéré, son profil arrive pourtant sadiquement à faire monter la tension. Le livre refermé, il reste le souvenir d’un malaise persistant, dans un lieu original. Qui a navigué sur un canal sait quel calme absolu peut régner sur certains tronçons oubliés. Ici, la campagne berrichonne est plus glaçante que la banlieue la plus glauque. Mais le paysage intérieur des personnages est bien plus effrayant que la nuit la plus profonde. Olivier Bordaçarre continue à livrer des romans étonnants, hors des sentiers battus.
Ex-citadins, Mina et Jonathan se sont installés depuis une dizaine d'années dans le Berry, “aux confins d'une campagne désertique parce que désertée.” Il ont acquis et rénové une maison située sur l'écluse de Neuilly-en-Dun, à cinquante kilomètres au sud de Bourges. Âgé de trente-sept ans, Jonathan est apiculteur, vend les produits de son potager, et se charge de divers bricolages. Plus jeune d'un an, Mina est guide-conférencière dans un petit château des environs, s'occupe de la maison et de leur fils Romain, dix ans. Ils ont une chienne, Câline. Près de ce canal inutilisé, l'isolement des lieux leur convient fort bien. Mina a un jeune frère, Léonard, qui vit dans la Drôme, lui aussi à l'écart du monde. Mais sans le confort que s'est accordé le couple, sa conception de l'argent étant plus radicale. Un nouveau voisin vient habiter à quelques centaines de mètres de chez eux. La maison vétuste de l'écluse des Presles sera à son tour à rénover. Vladimir Martin porte le même nom de famille, très courant, que Mina et Jonathan. À peine plus vieux que le couple, il dit avoir fait un héritage, et exprime le besoin d'oublier sa vie passée. Toutefois, Vladimir est beaucoup plus connecté au monde, via Internet, que ses voisins. Il se montre charmant et généreux envers Mina, Jonathan et Romain. Peut-être sa manière de dépenser à outrance est-elle exagérée. Il s'intéresse à la discothèque du couple, l'intégrale du blues depuis les origines. Pendant les travaux chez lui, il s'installe chez les Martin, mais cet insomniaque consacre plus de temps, durant ces nuits, à explorer le décor qu'à sommeiller. Mina et Jonathan ignorent que Vladimir peut s'avérer autoritaire, dominateur. Lorsqu'il achète en urgence une Volvo rouge identique à celle des voisins. Quand la mûre coiffeuse locale est sexuellement séduite par lui, sans qu'il marque d'émotion. Ou encore dans l'extrême soin autour des travaux de rénovation de sa maison. Par contre, face au rejet de la société de consommation par Léonard, Vladimir se montre offensif. Arguments vifs, que Mina approuve au lieu de défendre son frère. Par ailleurs, Vladimir se rapproche du petit Romain auquel, entre autres cadeaux onéreux, il offre une coûteuse canne à pêche. Au retour de quelques jours de vacances, Jonathan s'aperçoit que le voisin a acheté une chaîne hi-fi et une collection de blues comparable à la sienne. Il y a de quoi s'interroger, se montrer moins aimable avec Vladimir, et même irritable dans son couple... Certains romans ont besoin d'une flopée de protagonistes pour donner leur pleine mesure dans une galerie de portraits, voire de suspects. Pas moins convaincantes, au contraire, des histoires telles que celles-ci offrent une intrigue plus intimiste. Il suffit de quatre personnages, d'un pittoresque cadre rural, d'un été caniculaire au pays de George Sand et d'Alain-Fournier. Lorsque, sur fonds de musiques de blues lancinantes, le Diable s'immisce dans ce paisible univers, l'orage risque de bientôt gronder. Car, l'hypocrisie étant la clé de voûte de la manipulation, on ne nous cache guère les intentions sournoises de Vladimir. Pour l'essentiel, les “situations à problèmes” proviennent de l'entourage immédiat. C'est là que réside le danger, si un élément vicié se glisse dans les relations de proximité. Face à de nouveaux venus dans un immeuble ou un quartier, rester sans méfiance apparaît comme un signe de faiblesse. Il serait utopique de croire à des rapports humains sans nuages, de nier l'usure même légère des couples, d'imaginer que l'argent n'est pas corrupteur, de compter sur un bonheur éternel. Voilà l'amère expérience que, dans leur décor pourtant enchanteur et harmonieux, vont vivre les Martin. Pour qu'un suspense psychologique fonctionne, la technique ne suffit pas. Quand l'écriture se veut précise, soignée en restant fluide, décrivant les faits tout en fouillant l'âme des héros, c'est là que l'auteur fait mouche. Olivier Bordaçarre parvient avec subtilité à nous faire partager la sourde oppression intérieure qui gagne Jonathan Martin et ses proches. Un scénario diaboliquement prenant, qui fascine du début à la fin. Un roman remarquable.
Thriller N°33938. Parution 7 octobre 2015. 240 pages. 6,90€.
Dernier désir n'est pas forcément Noir désir... Quant à ce que j'en dis...
Il y a plus d'un âne à la foire qui s'appelle Martin, affirme un dicton populaire. Ce n'est pas pour autant que tout ceux qui se nomment Martin sont des ânes. Jonathan Martin et sa femme Mina se sont installés dix ans auparavant dans une vieille maison d'écluse près de Neuilly en Dun, sur les bords du canal du Berry. Jonathan s'occupe par-ci par-là, élevant ses abeilles, récoltant son miel, bricolant, surveillant leur fils Romain, à peine dix ans, tandis que Mina assure le rôle de guide-conférencière au château de Lienesse, situé non loin, et s'occupe des conserves pour l'hiver. Une vie reposante après des années de consumérisme francilien effréné.
Une jour un visiteur tape à l'huis et se présente : Bonjour. Excusez-moi de vous déranger, je viens juste me présenter. Je suis votre nouveau voisin. J'ai emménager dans la maison, là-bas, au bout du chemin. Je m'appelle Martin. Vladimir Martin. Et c'est ainsi que commence l'histoire. Vladimir Martin s'est installé dans la maison d'éclusier proche de la leur, et leur voisinage débute sous d'heureux auspices. Seulement Vladimir, un homme charmant au demeurant, riche, sympathique, élégant, spirituel, affable, se met à copier insensiblement Jonathan. D'abord il revend sa somptueuse voiture pour posséder la même que Jonathan, même couleur évidemment, mais neuve. C'est une entame dans la similitude, qui se prolonge par une analogie physique. Lui qui portait des cheveux longs, attachés par un catogan, se les fait tailler, une coupe à la Jonathan, et se laisse pousser sous la lèvre inférieure ce petit bout de barbe appelée mouche. Il se passionne soudainement pour le blues, s'enthousiasmant devant la discothèque de Jonathan qui possède une collection incroyable de disques, achetant une chaîne de luxe et plus de cinq cents CD afin de partager la passion de son voisin. Il rend visite à ses nouveaux amis, ou les invite, offre à Jonathan du whisky de luxe hors d'âge ou amène des bouteilles millésimées, mais lui même ne touche jamais à son verre. Il s'extasie devant la table de ferme que Jonathan a fabriquée et veut la même, offrant une somme rondelette pour sa confection. Il devient de plus en plus intrusif, mais cela ne gêne pas Mina, qui n'y voit rien de suspect. Cependant il offre à Romain des jouets dispendieux, que Jonathan n'a pas les moyens d'offrir à son fils. Il fait rénover sa maison, à grands frais, installant une cuisine identique à celle de Jonathan. Les semaines passent et Jonathan est de plus en plus intrigué et monte progressivement en lui une pointe d'exaspération. L'ambiance amicale du début se transforme peu à peu en ambiance délétère, du moins c'est ce que ressent Jonathan, qui est bien obligé de faire bonne figure devant Mina et Romain.
Le très (trop ?) médiatique libraire-chroniqueur Gérard Collard a déclaré lors de la parution de ce roman : Une histoire extraordinaire entre Poe, Simenon et King. Une merveille ! Une merveille, d'accord, mais pour le reste je suis plus réservé. Effet médiatique, mais que viennent faire Poe et King ? Pour Simenon, je suis assez d'accord, à cause des personnages et de l'atmosphère, mais je serais plus enclin à chercher des rapprochements, des cousinages littéraires avec Max Genève, Franz Bartelt et surtout Pascal Garnier. Peut-être Gérard Collard n'a-t-il jamais lu un de leurs livres, sinon le lien lui serait venu immédiatement à l'esprit. Ou alors il a jugé qu'ils n'étaient pas assez connus du grand public, trop Français, pour établir un parallèle. Il ne s'agit pas d'énoncer des jugements à l'emporte-pièce, mais de coller au plus près de la réalité. Ambiance et atmosphère bon enfant au départ, Vladimir sachant se montrer sous des dehors abordables, aimables, empathiques avec ses voisins qui s'imprègnent de la douceur de vivre de coin berrichon. Mais peu à peu ce voisinage devient pesant et le suspense est entretenu par une ellipse de l'origine de Vladimir. D'où vient-il, pourquoi s'est-il installé non loin de chez Jonathan et sa petite famille. Sa richesse, il la doit à un héritage, du moins c'est ce qu'il affirme. Mais il étale trop ostensiblement son argent. Et pourquoi vouloir calquer son environnement sur celui de ses voisins. Et bien évidemment, si Mina n'est pas dérangée par cette attitude, Jonathan souffre et cela influe sur son caractère. Des scènes incluses dans ce roman, qui semblent n'être là que comme des diversions dans l'intrigue, telle cette séance au cours de laquelle Vladimir se rend chez la coiffeuse, montrent combien cet homme possède un ascendant sur les autres. Des épisodes humoristiques, comme celui au cours de laquelle Mina dérape lors d'une prestation conférencière sur les aménagements du château de Lienesse et plus particulièrement sur une toile de Lucien d'Abancourt. Ou encore cette conversation amenée par Léonard, le frère de Mina, qui passe quelques jours chez eux, et est un écologiste convaincu, installé dans la Drôme et parfois se mélangeant les pédales dans ses convictions.
Dernier désir est un roman intimiste, se focalisant sur quelques personnages dont plus particulièrement Jonathan, Mina, Romain et Vladimir, les autres n'étant là que pour accentuer le trouble puis la faille et enfin le gouffre qui va s'opérer entre les divers protagonistes. Catalogué Thriller, ce livre est un suspense qui grandit, enfle insidieusement, et offre un épilogue que n'aurait pas renié Fredric Brown. Il est précisé en fin de volume, que ce roman est le fruit d'une étroite collaboration entre Véronique et Olivier Bordaçarre. Espérons que certaines scènes ne relèvent que de l'imagination.
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