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PHILIPPE BOUIN |
Le Vignoble Du DiableAux éditions PRESSES DE LA CITEVisitez leur site |
2878Lectures depuisLe samedi 19 Octobre 2013
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Une lecture de |
Saint-Vincent-des-Vignes est un petit village du Beaujolais, comptant moins de cinq cent électeurs. Situé près du mont Brouilly, la localité est un pays de vignobles. Âgé d'à peine quarante ans, premier adjoint à la mairie de sa commune, Archibald Sirauton a été juge d'instruction à Lyon. Se métamorphosant en viticulteur, adoptant un aspect moins soigné, il a choisi de revenir dans sa propriété familiale, le manoir de l'Ardières. Il y est entouré de Bougonne (sa mûre employée, qui mérite son sobriquet) et du jeune Filoche (un ancien délinquant, qui ne manque pas d'instinct). Sans oublier son chien Tirbouchon, labrador au pelage anthracite, animal fort intelligent. Ponctuellement, Archibald reçoit ici sa compagne Xavière Sifakis, comédienne. Il est de ceux qui veulent faire vivre leur terroir. Deux vieilles sœurs bigotes viennent de découvrir près de la chapelle du mont Brouilly le cadavre égorgé de Joseph Marzot, le maire de Saint-Vincent. Près du corps, on découvre des signes qu'elles estiment lucifériens. Sachant qu'une petite secte s'est installée dans les environs, il faut s'attendre à tout avec ces Naturiens. Pour Archi et Filoche, il s'agit plus certainement d'une mise en scène imitant un rituel satanique. Ce n'est pas qu'Archi ait du respect pour la secte Naturia, machine à décerveler comme tous ces groupuscules, mais il ne le sent pas impliqués. Selon le fils du maire, son père paraissait nerveux peu avant sa disparition. Peut-être parce que sa fille Marina a quitté le village, pour s'acoquiner avec ce voyou de Paulin Camut, qui exploite une boite de nuit techno. Ce meurtre semble surtout lié au récent achat par Marzot du Vignoble du Diable. Selon la rumeur, un mauvais investissement que ces terrains peu productifs. Le gourou de la secte a tenté lui aussi d'acquérir cette propriété, ayant appartenu à un repris de justice. Croire que Bacchus, le défunt cambrioleur, ait enterré son butin en bijoux quelque part dans le Vignoble du Diable est plausible, mais Archi en doute car la police fouilla les lieux. On peut s'interroger sur ce camion italien venant du port de Gênes, ou sur les visites de Marina et Paulin Camut à la secte Naturia. Les réponses du gourou sont peu convaincantes. Par ailleurs, si les viticulteurs Brandin et Fournier sont coutumiers des disputes, leurs fils respectifs ont l'air de comploter ensemble. Cédric Fournier est victime d'un accident de voiture, son bolide ayant été saboté. Puis c'est le fils Brandin qui est assassiné. Tant pis pour l'incompétent commissaire Poussin, qui se prend un peu trop pour Humphrey Bogart, il n'a qu'à se fourvoyer sur des fausses pistes. Archi et l'adjudant-chef Fernandez vont démêler seul cette affaire criminelle... Philippe Bouin est un romancier chevronné, qui publie depuis plusieurs années. Il s'est imposé en particulier avec des suspenses tels que “Comptines en plomb” (2008, Prix polar Cognac), “Paraître à mort” (2010), “Va, brûle et me venge” (2011). Il s'agissait d'excitants polars sombres, aux intrigues sinueuses. Il apparaît clairement que cet auteur a choisi un nouveau registre avec “Le vignoble du Diable”. Sans pour autant abandonner la forme tortueuse du récit (on est loin d'une enquête linéaire), il y a énormément d'humour dans cette histoire campagnarde racontée avec une tonalité enjouée et fluide. Même si quelques crimes sont commis, nettement moins de noirceur, au profit d'un bon suspense et d'une ambiance drolatique. Les comédies policières se servant de décors ruraux sont généralement savoureuses. On se souvient de celles, exemplaires, de Charles Exbrayat. C'est l'occasion d'offrir aux lecteurs des portraits souriants. Dès le début, l'ambiance est donnée grâce au duo d'hallucinées confites en religion. L'allure baba-cool du héros (devenu méconnaissable pour ceux ont côtoyé le magistrat qu'il fut), l'ironie de Bougonne (qui se revendique “cougar”), et même les pensées intimes du chien Tirbouchon (qui n'apprécie guère le mauvais goût) confirment l'esprit amusé. On est en droit de penser que des caractériels hargneux tels que Fournier et Brandin ne sont pas si éloignés de la réalité. Bien d'autres protagonistes sont également croqués, dont un commissaire à nœud papillon plagiant Philip Marlowe. Un très agréable polar, à lire en consommant (avec modération) quelques verres de Beaujolais.
Pour production de vin de messe ? Sur la hauteur du Mont Brouilly se dresse la petite chapelle Notre-Dame-des-Vins que Berthe et Simone Lulute, des sœurs septuagénaires et légèrement tourneboulées du ciboulot, entretiennent de temps à autre. Et comme il serait inconvenant qu'un chien pénétra dans l'édifice religieux, elles laissent Coquette baguenauder dans les environs. Epoussetage et décrassage sont les deux mamelles du nettoyage, et elles ne ménagent pas leur peine. Or elles sont interrompues par des furieux aboiements de Coquette. La chienne vient de découvrir quelque chose, ou plutôt quelqu'un qui ne devrait pas se trouver là. Un homme allongé au sol, égorgé, et comble de surprise tout autour du cadavre sont fichés en terre des os de poulets, des plumes de volaille, des bouts de bois fourchus et dessiné grossièrement, un pentacle. Aussitôt prévenus la gendarmerie, la brigade criminelle puis les spécialistes scientifiques arrivent sur le terrain. L'adjudant-chef Fernandez reconnait en le mort le maire du village de Saint-Vincent-les-Vignes et aussitôt il en informe Archibald Sirauton, l'adjoint de l'édile et ancien juge d'instruction. Archie, pour les intimes, dernier né d'une dynastie de riches vignerons de la région et d'une mère américaine a préféré laisser tomber la toge pour se consacrer aux ceps et se vêtir d'une tenue idoine, portant des cheveux longs, ce qui intrigue évidemment ceux qui ne le connaissent pas, le prenant pour un bredin, terme local signifiant un simple d'esprit. Fernandez l'appelle donc chez lui, et aussitôt Archie se rend sur le lieu du drame en compagnie de Filoche, un jeune qui avait mal débuté dans la vie dérobant en solitaire des bijoux, et avait comparu devant Archie, lequel pour de bonnes raisons décrites dans le roman l'avait pris en amitié et depuis cet ancien résident des institutions pénitentiaires vit au domaine. Si Filoche et le chien Tirbouchon, un Labrador à qui il ne manque que la parole et encore, accompagnent Archie, c'est pour une raison bien simple. Tandis qu'Archie sera occupé avec la maréchaussée, et nonobstant la présence du commissaire imbu de sa personne mais pas très futé nommé Poussin, qui se prend pour un coq mais se conduit comme un canard boiteux, Filoche promenant Tirbouchon, ou le contraire, vont ratisser en catimini le terrain à la recherche d'éléments ayant échappés à la sagacité des pandores et autres représentants des forces de l'ordre. Joseph Marzot, le défunt maire, avait acheté quelques mois auparavant une petite propriété nommée le Vignoble du Diable, Appellation d'Origine Controversée, mais cette possession alimente quelques jalousie. Et puis les langues vont bon train, s'il ne s'agit pas d'une affaire de sorcellerie, cela pourrait s'y apparenter. Selon Simone Lulute, il ne faut pas aller chercher loin, c'est un coup des Naturiens. Naturia est une secte basée à quelques kilomètres de là, dans un bois, et dirigée par Viridomaros. Il s'agit d'une trentaine de personnes attirées par la Nature et vivant nues. Sous le nom de Viridomaros se cache un personnage du nom de Richard Quatrepoint, ancien PDG d'un laboratoire pharmaceutique et condamné pour irrespect des protocoles en utilisant des cobayes humains pour ses expériences. Or Quatrepoint a purgé sa peine de prison en compagnie d'un cambrioleur qui aurait raflé pour des millions d'euros de bijoux. Mais ce voleur est décédé en prison, or c'était justement l'ancien propriétaire du Vignoble du Diable. Quatrepoint avait voulu acheter le terrain qui pourrait recéler les bijoux mais il s'était réveillé trop tard et la vente lui était passée sous le nez. Manque de flair pour un mage qui entretient des relations avec bon nombre de dieux celtes. Quatrepoint, alias Viridomaros, constitue une piste sérieuse, mais d'autres se profilent à ne pas négliger. Et Archie va s'employer à les vérifier toutes, en compagnie de Xavière, son amie, comédienne de son état, de Filoche qui a découvert près de la voiture du maire un gant exhalant des senteurs peu agréables, de Bougonne, sa cuisinière qui possède un don de voyance et de Tirbouchon, qui doit posséder quelques gènes issus de ses ancêtres qui auraient frayé avec Milou. Des personnes atypiques parsèment cette histoire dont, outre ceux que j'ai déjà vaguement présentés, deux prétendants au fauteuil de maire, des vignerons aussi dissemblables qu'un melon et une asperge, qui se détestent cordialement depuis la nuit des temps, et même avant, sans oublier leur progéniture, et quelques autres que vous découvrirez au fil de l'intrigue. Par exemple Poussin, dont je vous ai entretenu au début de ma chronique, qui est un homme obtus, obstiné. En ces périodes de crise, il aurait fait un bon ministre. Les temps sont durs pour Bougonne qui lisait l'avenir dans le marc de café, quoique depuis l'invention des dosettes elle ne pratiquait plus. Cet exemple n'est qu'un aparté démontrant le côté humoristique du récit mais également que le progrès n'arrange pas les affaires de tout le monde, ceci n'étant qu'une réflexion hors sujet. Quant à Alouette, autre personnage atypique, il serait vain de penser qu'elle se laissera plumer facilement. Ce roman possède deux intrigues qui vont se chevaucher et il s'avère que le progrès n'est pas forcément synonyme d'humanisme, mais je n'en dévoile pas plus, je ne voudrais pas spolier l'auteur qui s'est décarcassé à écrire un roman frais, léger, gouleyant, fruité, pétillant, ou plutôt perlant comme le Beaujolais nouveau, à consommer sans modération. Dans la majeure partie du roman c'est l'humour qui prédomine mais bientôt le noir s'invite dans le rouge et les cinquante dernières pages sombrent dans un épilogue qui donne froid. Dernière petite citation à déguster : Sais-tu ce qu'est un show de chippendales ? Une boucherie où les femmes bavent devant la viande sans pouvoir en acheter... Frustration garantie. |
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