un serpent au paradis de Robert BLOCH


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ROBERT BLOCH

Un Serpent Au Paradis


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Le jeudi 15 Aout 2013

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Robert BLOCH




Une lecture de
CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER  

En Californie, le Domaine de l’Éden est un hameau résidentiel sécurisé, le paradis pour des retraités aisés. Ceux-ci n'ont pas le temps de s'y ennuyer, car on leur propose de multiples activités. Bridge, cours de danse, clubs divers, et pour beaucoup d'entre eux le golf, tout est fait pour qu'ils se sentent bien. On y croise aussi bien d'anciens fermiers du Nebraska tels que Homer et Lulu, un ex-bibliothécaire fier de son érudition comme Roy Crile, un peintre tel que Tom Norwood et son épouse Jerry, une vieille actrice comme Dolly Gluck qui fut autrefois connue en tant qu'enfant-star, Warren Clark et sa femme Sylvia, Carrie Humphreys qui épie ses voisins sans raison, le vieux facho Ed Brice qui surveille tout le monde car il pense être entouré ici de gauchistes et de juifs, ou les plus riches d'entre tous les résidents, Irène et Joe Marks. Autant d'heureux retraités sans aucun soucis.

Non, finalement, l'ancien expert-comptable Warren Clark n'est pas si content de son sort. Âgé de cinquante-huit ans, marié à Sylvia, il est un des plus jeunes du Domaine de l’Éden. Son épouse est encore ravissante. Sa réussite sociale, il ne la doit qu'à lui-même. Vivre en ces lieux, où il aime contempler les couchers de soleil, c'est l'idéal. Mais il se rend compte que ce bonheur conditionné, c'est de la pure hypocrisie, voire de la futilité. Le cultivé Roy Crile lui expliquerait que “nous sommes tous futiles. Nous sommes tous des vases emplis de l'eau de la vie. Au repos, cette vie est gaspillée : elle se déverse et s'écoule goutte à goutte. Il vaut mieux bouger et agir...” Vivre, supporter cette routine, Warren Clark n'en a plus envie. Aussi a-t-il décidé de mourir à la fin de cette journée. Après la “party” que Joe et Irene Marks ont organisé en soirée pour une douzaine de voisins invités.

Jusqu'ici, Warren n'a guère fréquenté les autres habitants de l’Éden. À peine connaît-il Joe et sa passion des fleurs. Peut-être a-t-il vaguement rencontré une fois Roy Crile. Même s'il est convié ce midi-là à un brunch chez Tom et Jerry Norwood, il ont eu peu de rapports. La vieille Dolly dont tout l'univers se résume à son glorieux passé d'enfant-star, elle ne risque pas de l'exciter. Warren a l'impression que son épouse Sylvia lui cache quelque chose, ce qui est désagréable alors qu'il va bientôt se supprimer. Dans l’Éden, nul ne s'intéresse à la santé de la vieille Emily Nesbitt, sans doute à demie folle. C'est Mick Sharpe, employé du traiteur, qui se charge d'organiser parfaitement “party” d'Irene et Joe, dès 19h30. Mais, avec ses amis aux airs de singes Gibby et Stan, il est plus malintentionné qu'il le montre. Il n'est pas impossible que la fête soit nettement plus agitée que prévu...

Romancier, scénariste, auteur de quantité de nouvelles, Robert Bloch (1917-1994) exerça son talent dans tous les genres, en particulier du Fantastique au suspense policier. “Le crépuscule des stars”, “Psychose”, “L’Éventreur”, autant de romans d'inspiration différente, une œuvre variée toujours de qualité supérieure. “Un serpent au Paradis” peut s'étiqueter comme un polar. Pourtant, c'est avant tout un regard grinçant sur l'Amérique du 20e siècle que nous propose l'auteur. “Les heures de visite avaient toujours une fin... à la prison, à l'hôpital, à la maison de repos, même au zoo. Éden était tous ces endroits à la fois. La seule différence étant que ses détenus avaient demandé à y être incarcérés, que ses malades s'étaient fait admettre d'office. Ses spécimens autrefois sauvages avaient choisi de vivre en captivité. Pourtant, même s'ils vivaient confinés chez eux, les habitants d’Éden représentaient l'élite, les rares privilégiés.” Voilà qui définit bien ces lieux sécurisés qui ont fleuri aux États-Unis depuis les années 1970.

Robert Bloch ironise également sur les valeurs caricaturales de l'Amérique, la logique de la réussite sociale. “Nous prétendons admirer la vertu, l'honnêteté, la loyauté, la charité, la compassion, le sacrifice de soi et tout exploit améliorant le sort de l'humanité en général. Néanmoins, nous décernons nos plus grandes récompenses à ceux qui, probablement, ne possèdent aucune de ces qualités.” Les jolies femmes et les hommes musclés, hypocrites images de ce pays moins volontariste qu'il ne l'affiche. Il faut aussi savourer le délicieux passage sur la chevelure liée à la peur face aux jeunes. On n'en finirait pas de citer maints exemples et portraits, visant juste à chaque fois. Puisque plusieurs extraits figurent ici, il faut saluer la traduction enjouée due à François Truchaud. Si le suspense criminel n'est pas oublié, c'est bien la comédie satirique qui marque les lecteurs. Publié chez Fayard Noir en 1982, puis chez Presses-Pocket en 1992, un roman très réussi de ce grand auteur.

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