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LILIAN JACKSON BRAUN |
Le Chat Qui Flairait L’embrouilleAux éditions 10/18Visitez leur site |
2899Lectures depuisLe mardi 7 Octobre 2003
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Une lecture de |
«10/18» n° 3310, collection «Grands détectives», traduction par Marie-Louise Navarro de «The Cat who Smelled a Rat», 2001), novembre 2001. Quelle joie ! Votre petite-fille préférée – l’aînée de votre dernière – a pensé à vous offrir «Le Chat qui flairait l’embrouille», la nouvelle aventure du sympathique Jim Qwilleran et de ses deux chats siamois. La brave petite ! Vite, vous allez soigneusement cacher votre trésor sous votre plaid (le rose et vert, héritage de votre défunte belle-mère), pour que vos voisines de pension ne puissent vous le subtiliser – on est tellement chapardeur après quatre-vingt ans ! Puis, discrètement, près de la baie vitrée de la grande salle qui donne une si belle lumière, vous allez pouvoir commencer à le lire. Car vous suivez avec passion les enquêtes de l’ex-journaliste de Chicago depuis ses débuts : le chat Koko vous rappelle votre propre siamois, mystérieusement écrasé par une voiture non identifiée – vous suspectez fortement le mari de votre fille aînée d’avoir commis ce lâche attentat, la présence de l’animal à votre domicile ayant constitué l’un de vos derniers arguments pour ne pas aller croupir en maison de retraite. Vous aimez la description de cette petite ville nord-américaine rurale, le foisonnement des détails de la vie quotidienne, l’absence de violence gratuite, le cheminement intellectuel lent mais implacable du héros, les frasques géniales de Koko, la douceur de la petite Yom-Yom… Bref, la série rédigée par votre contemporaine Lilian Jackson Braun illumine de trop courts moments de votre morne vieillesse, et vous propose une histoire à la fois paisible comme un bateau passant sur la mer au lointain et attachante car truffée de détails plausibles. Trouver le coupable ne présente guère d’intérêt, seule la lecture agira comme un baume apaisant… Fin de la fiction… Mais elle expose le problème inhérent au cycle félino-policier de L.J. Braun : n’est-elle conçue que pour les retraités cardiaques et/ou les ailurophiles fanatiques ? L’auteur est-elle l’idole des bandages herniaires, la reine du dentier béat, l’Attila des litières ultra-absorbantes ? Il faut en convenir, le rythme en est plus que lent, lénifiant. Il ne s’y passe pas grand chose et, surtout, rien de violent ; s’il doit y avoir meurtre, le héros l’apprend indirectement, souvent en écoutant les informations. Absence totale d’angoisse et même de suspense : nous sommes bien loin du thriller. D’un autre côté, n’est-ce pas le propre de ce genre en vogue aux Etats-Unis et par extension chez nous, le « cosy mystery », ces romans policiers qui jouent sur l’atmosphère et le charme, en évitant tout sang et toute adrénaline inopportuns ? Ces caractéristiques sont particulièrement représentatives de son sous-genre, le polar animalier, le plus souvent défendu par des femmes (n’y voyez aucune misogynie de ma part, les faits sont là) comme Carole Nelson Douglas, Susan Conant ou Rita Mae Brown. L.J. Braun s’est assuré – tardivement dans sa propre existence – une place de premier choix dans l’univers du « Cosy » grâce à un trio qu’elle créa de 1966 à 1968 : le journaliste Jim Qwilleran et ses deux chats siamois, le mâle Koko et le femelle Yom-Yom, à l’occasion de trois romans qui furent traduits au « Masque » (et rebaptisés dans leur édition postérieure) : «Il faut savoir miauler à temps», «Le Gai logis» et «Brocante et chat siamois». Cette petite famille resta dans les limbes littéraires jusqu’en 1986, année où Braun les exhuma pour renouer avec un succès si retentissant qu’elle dut, à soixante-dix ans printemps, fournir depuis lors au minimum un nouvel opus par an, lequel est tout aussi régulièrement publié en France par «10/18». «Le Chat qui flairait l’embrouille»constitue donc le vingt-troisième épisode, et il faut également ajouter un recueil de nouvelles hors-cycle. Qwill, comme il aime se faire appeler, est un journaliste de Chicago quand la série débute. Des déboires sentimentaux l’ont rendu jadis alcoolique et sa carrière, jusqu’alors brillante, en a pâti. Désintoxiqué, il commence tout juste à remonter la pente quand le destin lui fait adopter deux jeunes siamois. Si la petite Yom-Yom n’a d’autre atout que sa douceur, le caractériel mais génial Koko semble posséder un talent extraordinaire pour élucider les énigmes, ou du moins donner de précieuses indications à son apprenti détective de maître. En miaulant pour annoncer certains événements, en cachant ou en jouant avec des indices significatifs, en adoptant des comportements inhabituels, Koko met en effet invariablement Qwill sur la piste du coupable sans que le lecteur ne sache réellement jamais si l’animal est surdoué ou s’il bénéficie d’un heureux hasard. Très rapidement, Qwill hérite d’une fabuleuse fortune d’une amie de sa défunte mère, ce qui l’oblige – condition du testament – à s’installer à Pickax, petite ville rurale du Centre Nord Est des Etats-Unis, Ayant peu de besoins et d’un tempérament philanthropique, il fonde une association de bienfaisance gérant la majorité de ses nouvelles richesses, dans le but d’aider les initiatives économiques locales. Comme ses rentes le dispensent de tout travail, il a désormais tout son temps pour mener de petites enquêtes policières, assisté par son chat. Comme vous l’avez compris, Koko reste ici un animal relativement normal et n’a jamais «droit à la parole», contrairement, par exemple, au chat Francis imaginé par Akif Pirinçci, qui est le véritable héros des romans et possède des talents généralement étrangers à ses congénères. Toutefois, les aventures campagnardes de Qwill ressemblent plutôt à de l’ethno-polar, en ce sens que la partie purement policière passe souvent à l’arrière-plan et que l’auteur préfère s’attarder, voire s’appesantir, sur les détails de la vie communautaire de Pickax. Harry Kemelman, dans sa saga consacrée au rabbin Small, procède de la même manière. Dans les deux cas, d’ailleurs, l’enquête est de plus en plus reléguée au rôle de troisième couteau au fur et à mesure que la série avance. Ainsi, qu’avons-nous comme événements marquants dans «Le Chat qui flairait l’embrouille» ? L’installation de Qwill dans son appartement d’hiver (sa grange aménagée étant trop difficile à chauffer), la menace d’incendies de forêts en pleine période de sécheresse d’avant la neige et la protection des « chevalements », baraquements en bois installés jadis à l’entrée de mines aujourd’hui abandonnées. Passionnant ? Et quelles sont les angoisses du lecteur ? Diverses et terribles… Qwill arrivera-t-il à acheter le tapis qu’il convoite à la vente aux enchères ? Koko détruira-t-il tous les pots de fleurs imprudemment placés en hauteur ? L’incendie brûlera-t-il les chevalements ? L’horoscope de Qwill, réalisé par une nouvelle habitante, sera-t-il rendu public ? Non, non, je n’exagère en rien. Et le canevas policier ? Plutôt diffus. Lors des rondes organisées par les citadins pour prévenir les risques d’incendie, un des volontaires est mystérieusement abattu par balle. Puis un membre du club de curling, qui était peu de temps auparavant l’associé d’une entreprise immobilière, est victime d’un accident mortel tout aussi énigmatique. Rajoutez un personnage qui disparaît pour – on ne le saura qu’à la fin – dénoncer des magouilles et autres malversations municipales, et vous aurez les éléments demandés, guère passionnants, on en conviendra. L’auteur semble s’intéresser davantage, outre l’existence trépidante (mais où va-t-il trouver un café buvable ? quel est le menu au restaurant ce soir ?) de Qwill, à un cours sur la fabrication du batik, ou aux règles de jeu du curling. Résultat, le lecteur se fiche comme de la première litière de son chat du déroulement de l’intrigue, et se laisse bercer mollement par le doux ronron – c’est le cas de le dire – de la vie à Pickax. Une lecture à ne pas entreprendre dans les transports en commun, sous peine de s’endormir et de rater son arrêt… Comme vous m’êtes sympathiques, je vous livre en avant-première mondiale les rebondissements des prochains volumes. Qwill va devoir présider, à son corps défendant, l’élection du plus bébé de la ville («Le Chat qui croquait le marmot»). Koko sera en butte à une double attaque de puces talibanes et d’eczéma purulent («Le Chat qui puait le pâté»). Yom-Yom est en passe d’être séduite par un vulgaire chat de gouttière né dans le village voisin de Brrrrrrr («Le Chat qui pétait plus haut que son cul»). Le tout-Pickax est choqué par la tenue d’une gay-pride organisée par des ressortissants de Los Angeles («Le Chat qui flottait de la jaquette»). Etc. etc. Tant qu’elle aura la santé (elle est née en 1916, quand même !), Mamie Lilian va donc tricoter gaillardement le train-train quotidien de Pickax et fournir à Qwilleran quelques affaires bien mollassonnes, sur fond de génie félin. La belle vie pour le troisième âge… Rrrrrrrrrrrooooonnnnn….. Hein ? Quoi ? Flûte, j’ai raté ma station ! |
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