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NICOLAS BOUCHARD |
Ceux Qui Règnent Dans L’ombreAux éditions LOKOMODO |
2786Lectures depuisLe jeudi 24 Aout 2012
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Une lecture de |
Habitant ici depuis plus de quinze ans, Marek Hanfik a dans les trente-cinq ans. Ces six derniers mois, il a divorcé après avoir perdu son boulot. Se réfugiant dans une sombre solitude, Marek a néanmoins trouvé une fenêtre sur le monde. Grâce à Internet, il a navigué de sites pornos en forums de discussion. Puis il a transféré jusqu’à soixante-dix sept messages alarmistes qu’on lui adressait. Tous suggèrent diverses formes de théories du complot. Au point que les infos sur les sociétés secrètes ont fini par devenir une obsession pour Marek. Ces groupes occultes ne sont-ils pas la cause de tous nos maux. Inspirée par les écrits de l’abbé Augustin Barruel, la philosophie du barruelisme n’a-t-elle pas été novatrice en dénonçant le “nouvel ordre mondial” sévissant de nos jours ? Marek est bientôt contacté par un homme se faisant appeler Barruel. Utilisant un langage imagé, celui-ci explique en détail pourquoi la démocratie n’est qu’un leurre, bien utile aux puissants. S’il y voit un peu plus clair sur ces maîtres du monde, qui règnent dans l’ombre, Marek n’est pas encore pleinement impliqué. Pourtant, des forces de l’ordre paramilitaires viennent l’agresser chez lui. Il est vite mis en état d’arrestation, comme “conspirateur”. Il est torturé au commissariat, avant qu’une intervention sanglante permette de le tirer des griffes de cette brigade sans pitié. C’est chez Barruel qu’il reprend quelques forces, avant d’intégrer le groupe qu’il est en train de former. Avec Abdur, Mutsuo et la jeune Gure, il vont suivre un entraînement sévère, ainsi qu’une éducation destinée à leur faire comprendre le sens de leur combat. Car la finalité du barruelisme est bien de s’attaquer aux intérêts de ceux qui règnent dans l’ombre. Quand il vivait dans son village du désert, anéanti par ces gens-là, Abdur a pu les approcher, ces tout-puissants. Un véritable esprit guerrier, c’est ce qu’inculque Barruel à son groupe d’élite. Leur première mission consiste à prendre d’assaut une entreprise, avant d’enlever le nommé Sirius et de l’interroger. Il finit par avouer être un serviteur de ceux de l’ombre, payé pour surveiller et contrôler les utilisateurs d’Internet. Maintenant, le groupe Barruel est prêt à l’action. Marek et Gure vont s’installer dans une ville de la région, sous le pseudonyme de M.et Mme Shark. Dans un premier temps, ils doivent apparaître tel un couple ordinaire. Gure devient caissière, tandis que Marek bricole au noir comme mécanicien dans un garage. Le couple va trouver une manière plutôt singulière de se procurer des armes, anciennes mais efficaces, ainsi qu’un lieu discret pour les tester. Barruel leur fixe un nouvel objectif, un laboratoire à détruire avec tout son personnel. Au retour de cette mission, les choses se compliquent pour le couple de baroudeurs… Publiant depuis 1997 (en science-fiction, fantasy, et romans-jeunesse), Nicolas Bouchard est déjà un auteur confirmé. De la trilogie consacrée à Augustine Lourdeix, à celle ayant pour héroïne Marie-Adélaïde Lenormand, ce sont surtout ses polars historiques qui l’ont fait connaître et apprécier du grand public. Il concocte des intrigues mouvementées, riches en mystères, suggérant souvent le paranormal, tout en restant dans un réalisme noir. S’inscrivant dans notre monde actuel, cette aventure évoque une fois encore ses thèmes favoris, les sociétés occultes et l’action secrète pour les contrecarrer. Le Bien contre le Mal ? Sans doute, mais Nicolas Bouchard est nettement plus subtil et complexe. La violence est inévitable, puisque notre héros entame une sorte de guerre. Par ailleurs, et c’est évidemment là que le récit trouve toute sa saveur, il existe une part de schizophrénie, et une autre de mégalomanie, dans cette histoire. S’il y a ici un message, peut-être concerne-t-il le web. Il est certain qu’Internet offre un moyen de recruter des gens borderline, avec toute la manipulation que cela suppose. On le vérifie déjà avec ceux qui relaient diverses propagandes nauséeuses. Marek ira beaucoup plus loin vers le chaos. Un remarquable suspense, diaboliquement passionnant.
Partant du postulat qu’un romancier peut écrire une œuvre de fiction sans être obligé de respecter les vraisemblances, la réalité, et autres contraintes, cela offre un livre qui s’affranchit de toute contingence. Mais pour que le lecteur adhère, il lui faut accepter le choix de l’auteur. Depuis qu’il a été licencié de son travail, pour cause de restructuration, que sa femme l’a abandonné parce qu’elle ne supportait plus la vie avec lui, Marek vit seul dans son appartement, face à son écran d’ordinateur. C’est l’unique dérivatif qu’il s’est découvert, ne sortant que pour des ravitaillements express. Son épouse lui a laissé dans un grand élan de générosité son ordinateur, alors il se connecte souvent sur Internet, visite de nombreux sites, effectue sa revue de presse, puis d’images en images se tourne vers les sites pornographiques, et surtout se rend sur les chats et les forums. Il y avait toujours un chat, un forum. Il y découvrait d’anonymes internautes échangeant insultes et anathèmes sur les sujets les plus variés : l’intégrale de Bach par Glenn Gould, l’allaitement maternel, l’enseignement dans les écoles primaires. La moindre théorie, la moindre opinion était aussitôt, réfutée, ridiculisée. Les plaidoyers pleins de fougue succédaient aux réquisitoires impitoyables, tous n’ayant qu’une chose en commun : leur orthographe approximative. Bref, s’il a de quoi s’amuser, il s’ennuie profondément, ne parvenant pas toutefois à décrocher. Jusqu’au jour où il reçoit un message. Pas un de ceux qui vantent des produits destinés à revigorer la virilité défaillante, ou supposée telle, et autres logorrhées électroniques, non. Un vrai message émanant d’un gamin nommé Cleto, âgé de cinq ans et atteint d’une maladie rare. Il lui est juste demandé de faire suivre ce message à ses contacts. Une contribution modeste puisqu’il n’y a pas d’argent en jeu, et comme son carnet d’adresse est très réduit, l’opération de transfert est facilement et rapidement réalisée. Puis un nouveau message arrive dans sa boite l’informant qu’un virus se propage et qu’il doit avertir ses contacts. Durant quelques mois ce petit jeu se déroule régulièrement puis les messages deviennent plus politiques, dénonçant les agissements d’une société secrète, le Nouvel Ordre Mondial. Un terme qui désigne des mondialistes impérialistes décidant à l’insu du peuple. Des messages qui se réfèrent à un maître nommé Barruel, lequel serait un prêtre ayant vécu deux siècles auparavant. Mais ce sont également des diatribes envers les financiers qui dirigent le monde à la place des politiques. Un beau matin il est réveillé en sursaut par des policiers qui s’infiltrent chez lui, l’accusant de tous les maux, d’être un porc (il est vrai que son appartement jonché de papiers gras ressemble effectivement à une porcherie), le traitant de délinquant potentiellement dangereux, de conspirateur, et autres reproches qui lui valent de nombreux coups et un embarquement immédiat pour un commissariat. Il est menotté, enchaîné, réduit comme une loque et interrogé par un certain commandant Gédéon Karadzic du N.O.S. Jusqu’au jour où des hommes cagoulés viennent le délivrer, tuant et abattant ses geôliers. Marek pense avoir basculé de Charybde en Scylla et être aux mains de terroristes. C’est alors que le chef du groupe lui annonce se nommer Barruel, qu’il était aux mains d’affidés du N.O.S., Novis Ordo Sœculorum. Une nouvelle vie commence pour Marek, une vie dédiée aux entrainements façon légionnaires, en compagnie de trois autres personnages, deux hommes et une femme, et il se voit confier ensuite des missions de plus en plus difficiles et dangereuses. Il doit combattre Ceux qui règnent dans l’ombre, car selon Barruel, celle-ci est omniprésente et pratiquement omnipotente. S’ensuit une longue diatribe envers les banques : Les banques sont nos ennemies, ce sont les ennemies de l’humanité ; les banques spolient les petites gens et accroissent les avoirs des plus riches. Les banques constituent le premier relais, les premiers et fidèles serviteurs du mal. Aucune morale, aucune humanité dans l’action incessante des cartels financiers. Les banques se regroupent, elles s’entendent illicitement et décident de qui doit s’enrichir ou de qui doit rester dans la pauvreté, non seulement chez les individus mais aussi chez les Etats. Marek se transforme peu à peu, prenant une épaisseur psychique, absorbant les enseignements du maître mais devenant en même temps plus dur, plus volontaire, presque déshumanisé. Pour arriver à ce résultat il doit se plier aux exigences de Barruel ce qu’il fait volontiers même si parfois il se pose des questions. Seulement, si j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, je suis perplexe quant à certaines scènes. Malgré cette déclaration Tuer un chien. Il fallait être malade pour imaginer un pareil exercice, l’auteur décrit avec une certaine complaisance une scène de torture de canidés. Or Marek, malgré sa répulsion, effectue quand même le « travail » exigé par Barruel, tout comme ses trois compagnons. Une initiation pour Marek, mais qui laisse un goût amer et l’on de demande si véritablement quelqu’un peu obéir à ce genre d’injonction sans être malade mentalement. Nonobstant, cette scène ne fait pas tout le bouquin. Il s'agit plus d'une parabole sur le combat du Bien et du Mal, sans tomber dans le manichéisme, avec des ouvertures sur la mégalomanie, la schizophrénie, les méfaits d'Internet lorsque cet outil est mal maîtrisé, et des idées malsaines qui peuvent être propagées, et engrangées par des individus faibles ou oubliant de réfléchir sur la véracité des informations colportées. |
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