Hugo Buan nous avait fait sourire avec sa série « Workan », (« Cézembre noir », « Hortensia Blues », « La nuit du tricheur », « L’œil du singe ») quatre romans dans lesquels son héros, commissaire baffeur et cynique, rend fou son supérieur, promène la main sur les fesses de la belle Leïla, lieutenant de son groupe d’enquête, et globalement, exaspère tous les protagonistes de ses aventures un peu loufoques se déroulant entre Saint-Malo et Rennes, dans la belle Bretagne.Mais Hugo Buan n’est pas homme à s’enfermer ad vitam aeternam dans une figure imposée. Si Workan recélait une part noire substantielle, c’est dans l’âme étrange et totalement obscure d’un nouveau héros, Leonard (sans é) que nous fait plonger ce nouveau roman. À ce héros sombre, il fallait une localisation à sa mesure. Le titre nous en instruit dès le début. Leonard exerce ses talents de tueur dans une ville imaginaire, lieu unique, habité, plus que traversé, par un fleuve fou infesté d’alligators noirs.Beckenra a ses beaux quartiers édifiés face à la mer et ses banlieues glauques construites sur les marécages. Leonard éprouve une haine profonde pour les « marécageux ». C’est à peu près le seul sentiment qu’il connaît à part une fascination pour une vendeuse de porcelaine et la camaraderie, faite d’ancienne fidélité et de souvenirs guerriers, qui le lie à un certain Castro. Leonard est né à seize ans. C’est l’âge approximatif qu’il avait lorsqu’il fut retrouvé amnésique sur un trottoir de Beckenra, avant de devenir un fils du roi, ainsi qu’on nomme les orphelins, puis soldat d’élite pendant quelques années. L’ennui de sa retraite le tuerait plus surement qu’une balle blindée, aussi reprend-il du service auprès d’un juge qui en fait son exécuteur des basses œuvres. Au début du roman, le juge missionne Leonar : Luth Miller, la bourgmestre de Beckenra doit disparaitre, et vite…L’esprit « thriller » est là, dans un suspens à l’architecture de bonne facture. Mais pour moi, le sel est davantage dans le climat très particulier qui règne dans ces pages. Buan nous laisse imaginer une ville qui pourrait être sud américaine, une époque à venir. Seules nous sont données les pensées de Leonard, entre solitude et interrogation, conscience professionnelle froide et cruauté. Elles se développent dans le contexte d’une ville déshumanisée, la menace constante du fleuve affamé, une météo effroyable, une violence aveugle qui rend désertes les rues de la périphérie. Enfin, les lignes de cette fiction originale sont traversées par une femme trop séduisante et dangereuse à la fois pour échapper à la comparaison avec une fleur carnivore. Dans ce contexte hors normes, Buan réussit à rendre désespérément humain un tueur sans affect.La vie ne vaut pas cher à Beckenra, pourtant on se surprend, malgré la froideur du personnage, à s’attacher à son étrange destin.Riche, surprenant, inquiétant…
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