va, brûle et me venge de Philippe BOUIN


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PHILIPPE BOUIN

Va, Brûle Et Me Venge


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Le jeudi 13 Octobre 2011

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Philippe BOUIN




Une lecture de
PAUL MAUGENDRE

PAUL MAUGENDRE  

Ma grand-mère avait coutume d’affirmer d’un ton docte : La vengeance est un vilain défaut, mais pas les pruneaux !  Le soi-disant rabbin qui prend régulièrement le train de Lyon à Mâcon depuis quelque temps agit-il en se référant à cette maxime ? Selon toute vraisemblance. Il abat Bonnelli, un parrain corse basé à Lyon et effectuant régulièrement des voyages afin de récupérer l’argent de ses différents clubs de jeux, dans un esprit de vengeance. Il tue d’abord le garde du corps de Bonelli puis loge dans les rotules et les coudes de Bonnelli des pruneaux non dénoyautés à l’aide d’une arme à feu. Et comme si cela ne suffisait pas il arrose d’essence l’homme encore vivant puis il met le feu. Pour la commissaire Antonia Arsanc, patronne pour le moins atypique de la Brigade de Recherche et d’Intervention lyonnaise, ce n’est qu’un règlement de compte entre mafieux et ses soupçons se portent sur deux hommes : le Turc Refik, commerçant hallal doublé d’un trafiquant de drogue, d’armes et d’êtres humains, et Weinstein, qui bosse dans l’immobilier et le proxénétisme. Des façades sérieuses qui cachent des activités illégales, des malfrats notoires jamais inquiétés.

Tandis qu’en compagnie de son adjoint Milos, d’origine croate et qui rêve d’intégrer la prestigieuse école de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, elle se rend chez la veuve de Bonnelli, une amie de longue date et rencontre son fils Tino, puis se confronte à Weinstein dans ses bureaux, le rabbin continue ses méfaits à Nice. Le même procédé est perpétré envers Bribal, un ancien magistrat ayant exercé en Bourgogne. Théoriquement la première enquête est confiée à la Police Judiciaire de Mâcon, mais à cause probablement des implications nébuleuses qu’elle présuppose, Antonia Arsanc, afin d’arriver à ses fins, joue le jeu dangereux de la manipulation, aussi bien dans son service qu’auprès des divers protagonistes évoluant dans le milieu lyonnais. Des dommages collatéraux sont recensés, des dossiers sont exhumés, dont l’un qui date de dix ans, l’incendie d’une boîte de nuit dans les Dombes provoquant une quinzaine de victimes. Un autre dossier traite d’un camion affrété en sous-main par Refik et contenant des clandestins. Refik s’en était sorti les mains blanches mais pas les clandestins, morts de froid dans les Alpes.

Les journalistes, et plus particulièrement Camille Gouttevent, s’en donnent à cœur joie. Les informations n’ont pas filtré et les échotiers s’en prennent volontiers aux policiers, dénonçant leur incurie supposée. Sur la toile, des membres d’un forum de discussion échangent leurs points de vue, et certains ont assisté en partie aux événements. Tous ont remarqué la présence d’un rabbin sur les lieux. Pour le juge Romaneuf qui suit les échanges entre internautes et parfois y met son grain de sel, nul doute que Gouttevent, puise ses infos à des sources plus ou moins fiables.

Antonia Arsenc, personnage atypique écrivais-je, se distingue par quelques particularités dont la moindre est de fumer la pipe. Son mari Jacques est décédé dans un accident de la circulation quelques années auparavant, mais pour elle il est toujours vivant. Elle s’adresse en pensée à l’homme de sa vie, sous forme de comptine. Jacques a dit… Elle a aussi la propension de tout ramener aux insectes, à leur utilité dans la biodiversité, dans leurs mœurs, dans leur comportement. C’est ainsi qu’elle surnomme tous ceux qu’elle est à même de côtoyer de tique, de taon, de cancrelat, de bousier, de mille-pattes, de doryphore, et autres appellations entomologiques.

Elle s’adjoint Milos avec peut-être une arrière-pensée, se heurte souvent à l’un de ses subalternes, Pascal Carchoz, n’hésite pas à provoquer Gouttevent. Sous couvert d’exercer sa profession de fouille-merde en exhibant un pseudo code de déontologie vis-à-vis des lecteurs lambdas, il s’exprime en termes racistes plus ou moins tranchés, soufflant sur les braises. Heureusement d’autres combattent ce genre de prise de position pour le moins nauséeuse. Les étrangers sont le fond de commerce de politicards ambitieux. Leurs discours alarmistes ont réveillé la Bête. C’est leur faute si l’on ne parle plus que d’insécurité, comme si elle n’avait pas toujours existé.

Donc haro donc sur le racisme ordinaire, mais c’est aussi une véritable diatribe contre la peine de mort, que beaucoup de monde aimerait voir remis au goût du jour. Un avocat s’insurge contre cette peine de mort, pourtant abolie mais que d’aucuns réclament en pensant que cela refroidirait les ardeurs des assassins : Trancher une tête est un acte doublement barbare. Primo, tuer un tueur, c’est être aussi tueur que lui. Secundo, puisque sa mort est préméditée, son exécution est un assassinat… En vérité, croyez-moi : condamner un homme à réfléchir sur ses crimes est nettement plus sévère que de l’envoyer à l’échafaud.

Mais cette prise de position, humaine, ne conduit-elle pas à exercer une vengeance soigneusement préparée ?

Le propre d’un écrivain, d’un romancier, est de savoir se renouveler dans son écriture, dans ses intrigues, ne serait-ce que par respect avec lui-même et envers ses lecteurs. Philippe Bouin dans son nouvel opus le réussit à merveille, transposant son histoire non plus dans l’univers feutré d’une province mais au cœur de la police lyonnaise. Tiens, ça vous rappelle quelque chose ? Outre l’intrigue débordante de créativité, machiavélique à souhait, dont les ramifications sont aussi obscures, ténébreuses que les traboules de la capitale des Gaules, Philippe Bouin ne rend pas compte d’une histoire intimiste et familiale mais se plonge dans les fondements d’une institution censée protéger le quidam mais qui, parfois pour arriver à un résultat, use de moyens peu scrupuleux.

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CLAUDE LE NOCHER

CLAUDE LE NOCHER

La police criminelle de Lyon est secouée par une sale affaire, qui laisse déjà des traces. Au plus haut niveau, du juge Romaneuf à la commissaire Arsanc, chacun a bien l’intention de tirer un certain profit de l’enquête. Milos Machek lui-même, jeune policier d’origine croate, débutant mais consciencieux, comprend vite qu’il a une carte à jouer en assistant sa supérieure. Veuve d’âge mûr, chef de la BRI, Antonia Arsanc est une femme de caractère. Elle cache à peine ses opinions très marquées, favorable à la peine de mort et impitoyable face au grand banditisme. Admiratrice de l’entomologiste Fabre, elle compare tous les êtres humains à des insectes. Un monde de nuisibles, qu’il convient d’écraser.

Le mafieux Bonelli et son garde du corps ont été immolés un dimanche soir par un rabbin dans un train entre Dijon et Lyon, peu avant Macon. Malgré la façade de respectabilité du Corse, c’était un pourri qu’Antonia Arsanc ne regrettera pas. Sa visite de courtoisie à Tino, le fils du défunt, héritier de l’empire, et à sa mère, n’est nullement innocente. Bonelli avait deux principaux adversaires, régnant eux aussi sur la pègre lyonnaise : le turc Refik Saka et le juif Weinstein. Laisser entendre que, selon la police, l’un des deux a causé la mort de Bonelli, c’est lancer une guerre entre ces puissantes bandes. Le jeune flic Milos a vite compris les intentions d’Antonia Arsanc. D’autant que le duo de policier s’en prend par ailleurs à Josevitch, homme de main prêt à servir les caïds de tous bords.

Policier compétent plus humaniste que la chef de la BRI, Pascal Carchoz n’aime pas les méthodes de la commissaire. Mais son camarade journaliste Gouttevent étant trop virulent contre la police, Carchoz accepte de l’aiguiller sur une fausse piste. Alors que l’histoire du rabbin tueur alimente les forums Internet, il y a là encore une manipulation de l’opinion. Il est vrai qu’ont retrouve le même rabbin, si repérable, dans l’assassinat du magistrat niçois Bribal et autour du meurtre du riche avocat Bernier-Thenon. Si la version officielle évoque une guerre des gangs probablement menée par Weinstein, Antonia Arsanc et Milos sont plutôt sur la piste d’une vengeance. Dix ans plus tôt, dans la Dombes, l’incendie du club 421 causa de nombreuses victimes. Bonelli fut lié à ce dramatique accident.

La mère d’une jeune fille ayant péri s’est réfugiée dans la religion. Le maire de la commune en paya cher les conséquences. Son fils prof de philo pourrait faire un bon suspect. Mal en point physiquement, l’avocat Canonnier n’est peut-être pas aussi modéré qu’il parait. Le nommé Aron Kreish est-il un hurluberlu ou bien un véritable excité ? Le rôle du policier Pascal Carchoz n’est pas très clair, non plus. D’autres agressions mortelles semblent n’avoir qu’un lien indirect ou relatif avec la mort de Bonelli. Le jeune flic Milos Machek ne pèse guère contre sa hiérarchie, bien qu’il ait découvert quelques éléments importants…

Mettre en scène des policiers ne signifie pas qu’il s’agisse d’un roman d’enquête. Affaire classique de tueur en série, alors ? “Il est indispensable qu’un quidam me voie. Tout serial killer qui se respecte doit laisser un indice. Ces malades ont besoin de reconnaissance. Contrairement à eux, je ne tue pas par pulsion : je tue pour ma pierre blanche. Mais les flics n’ont pas à le savoir, je veux qu’ils m’intronisent au club des psychopathes” nous dit l’assassin. Prix Polar Cognac pour “Comptines en plomb”, auteur de “Paraître à mort”, Philippe Bouin joue sur toutes les perversités psychologiques. Ses personnages s’avèrent complexes, pas obligatoirement sympathiques. La commissaire se gargarise des arguments obsolètes en faveur de la peine capitale. Le juge Romaneuf et le flic Carchoz sont contre, mais adoptent ou tolèrent la stratégie doute de la chef de la BRI. Milos, issu d’une minorité mal traitée, n’en est pas moins ambitieux aux limites de l’arrivisme. Peut-être que finalement, comme dans l’intitulé de chaque chapitre, le monde des humains n’est peuplé que d’insectes souvent détestables, voire dangereux ? Un suspense grinçant, habilement maîtrisé, vraiment passionnant.

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