Si son frère évolue dans d’influents milieux politiques et sa sœur dans les hautes sphères bancaires, le policier Réal Larouche n’est pas le plus brillant enquêteur du Québec. Quand on retrouve un cadavre sur la rive du lac Memphrémagog, il est chargé de l’affaire. L’homme n’est pas mort noyé, ni à cause de la balle qui lui a éclaté la rotule, mais d’un violent coup de marteau sur la nuque. C’est grâce à ses chaussures que la victime est bientôt identifiée. Il s’agit de Quentin Cointreau, un Français installé près de Magog depuis une vingtaine d’années. Il s’occupe d’une auberge locale avec son épouse Maria Dansereau. Quand Maria contacte Gabriel Lecouvreur, ce dernier ne tarde pas à sauter dans un avion, en direction du Québec. Quentin Cointreau, c’était son meilleur ami d’enfance, presque son jumeau puisqu’ils étaient nés le même jour. Quentin et son frère furent élevés par un père qui finit en prison. Ado révolté des années 1970, Quentin adopta les théories des anars les plus radicaux. Son chaotique parcours passa par l’Armée, avant qu’il n’entraîne Gabriel avec lui au Québec, vingt-sept ans plus tôt. Marquée par le froid et la dèche, l’expérience tourna vite court pour le Poulpe. Un peu à cause de la belle Maria, dont tous deux étaient amoureux. Cette ex-junkie et Quentin se mirent en couple, tandis que Gabriel rentrait en France. C’est en héritant des chambres d’hôtes de sa grand-mère que Maria et son compagnon purent heureusement sortir de la mouise. Certes, le domaine touristique qu’ils exploitent fonctionnent bien. Pour disposer d’autant de fric, c’est que Quentin s’occupait d’autres affaires. Le révolutionnaire ardent d’autrefois semblait bien s’être accommodé de la société capitaliste nord-américaine. Quand, débarquant au Québec, Gabriel questionne Maria à ce sujet, elle prétend ne rien savoir des activités extérieures de Quentin. Qu’il interroge leur voisin, un vieux Breton de 76 ans nommé Cadoudal. Dés le lendemain, le Poulpe se rend chez celui-ci, où il est accueilli par une ourse très câline. Cad est un aventurier ayant vécu plusieurs vies. Il connaît les activités parallèles de leur défunt ami. Quentin commença par un petit bizness de chantage à crédit, avant que les deux hommes ne s’associent pour des coups plus juteux. Jouant parfois à Robin des Bois, il organisèrent pour leur propre profit de fructueux rackets. Que Réal Larouche vienne les interroger n’inquiète guère le vieux Cadoudal. Le trio a toutes les raisons de bien s’entendre, surtout quand la menace se précise. Maria étant maintenant en danger, il s’agit de la sauver… Si le Poulpe est voyageur, il traverse rarement les océans. Pourtant, le voici à 130 kilomètres à l’ouest de Montréal, dans une station touristique de la région de l’Estrie, entre lac et montagne. Les souvenirs concernant son ami tiennent une large place dans cette histoire. Que sont les anars d’antan devenus au fil du temps ? Pour Gabriel, c’est aussi l’occasion d’explorer la situation politico-économique du Québec, où les malversations ne seraient pas plus rares qu’ailleurs, nous dit-on. L’exemplarité resterait une notion relative là-bas aussi ? Luc Baranger est généreux en vieil argot français, sans négliger le savoureux langage québécois. Pas avare non plus d’images évocatrices : “Le Poulpe regardait [Maria] bouche bée, fasciné, comme si elle était la Vierge Marie en string léopard ligotée par des lanières de cuir au grand menhir de Locmariaquer.” (Petite rectification anecdotique : surnommer le vieux Cadoudal “le Bigouden” est erroné, car Kerléano dont il est natif se trouve dans le Morbihan). C’est un fort sympathique épisode du Poulpe qui nous est proposé une fois encore.
Une autre lecture duMaria Chape De Hainede PAUL MAUGENDRE |
|
S’il y a une chose que l’on ne peut reprocher à notre ami Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, c’est bien sa fidélité en amitié. Qu’une femme l’appelle au téléphone du Canada pour lui annoncer le décès de son vieux copain Quentin Cointreau, et ce sont tous ses souvenirs de jeunesse qui affluent comme un mascaret sur le rivage de son esprit et s’écrase sur les rochers de ses neurones. Quentin Cointreau était parti s’exiler au Québec après de petits soucis avec la justice française, y avait fait sa vie et ce depuis plus de vingt-sept ans. Son corps a été retrouvé près des berges du lac Memphrémagog et son meurtrier n’a pas joué dans la dentelle. Après lui avoir fait ingérer un produit genre soude caustique, il lui a donné un coup à l’aide d’un objet contondant sur le haut du crâne, tiré une balle dans le genou puis noyé dans le lac. Dans l’avion qui l’emmène vers le Québec, Gabriel se remémore tous les bons et mauvais moments passés en compagnie de Quentin, né le même jour que lui, et qu’il considérait comme son grand-frère. La nostalgie l’accompagne tout au long du voyage en avion, ce qui lui permet d’oublier les conditions pénibles dans lesquelles il est installé, ses longues jambes ne trouvant guère de place pour se positionner. Sur place il retrouve Maria, qu’il a connu lors de son précédent séjour chez nos cousins. Il avait accompagné Quentin, ils avaient connu tous deux la belle Maria, mais Gabriel avait préféré rentré en France, pour oublier. Mais il n’a pas oublié Quentin, dont il recevait parfois des nouvelles, ni Maria. Sur place, il n’a pas d’opinions préconçues, peut-être le bout d’un commencement de début d’embryon de petit peu de pas grand-chose de morceau de piste. D’abord Quentin vivait bien, très bien même, ses affaires étaient florissantes. Mais en quoi consistaient donc ses affaires ? Pas vraiment avouables ? Cela n’étonnerait guère Gabriel qui savait que Quentin marchait en dehors des passages balisés lorsqu’il était en France. Participe officiellement à l’enquête Réal Larouche, un policier dont les pieds sont toujours chaussés de souliers provenant de chez les plus grands manufacturiers. Quentin avait un ami qui vit près du domaine où il résidait avec Maria. Un Canadien de nouvelle souche, d’origine bretonne et qui a écumé pas mal d’endroits plus ou moins louches avant de poser son havresac près du lac. Cad, pour Cadoudal, est lui aussi peiné par l’assassinat de son ami. Et en compagnie de Maria, les trois hommes se lancent à l’assaut de celui, ou ceux, qui ont perpétré ce forfait. Plus que l’intrigue, intéressante, c’est l’écriture, le style de Luc Baranger qui prime, un mélange de français, d’argot et de québecois, le tout agrémenté de nombreuses métaphores humoristiques. Au hasard, j’en ai relevé quelques-unes : « L’hôtesse, un mètre quarante-cinq de hamburger boudiné dans un uniforme trop juste, tortillait du croupion comme un loufiat de chez Michou » (page 43). Cela vous donne tout de suite l’ambiance. Une autre ? « Comme une burqua sur une strip-teaseuse kabouli, une profonde tristesse l’avait enveloppé » (page 65). Une dernière pour la route, et parce que je suis en veine ? « Le café finissait de suinter du perco dans un chuintement de semi-remorque en train de purger ses freins » (page 97). La poésie à l’état brut, et encore je ne vous dévoile pas tout, car le mieux est tout de même de découvrir ces perles dans leur contexte. Quant au titre calembour, il eut été impensable que Luc Baranger ne se l’offre pas. En ce moment, Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, retrouve de la vigueur, du rythme, dans des aventures bien calibrées, grâce notamment à des auteurs comme Laurent Martin, Maïté Bernard, Hervé Claude, Serguei Dounovetz. Ceci est une bonne nouvelle et gageons que 2011 ne sera pas en reste. Et vous pouvez toujours retrouver mon article sur le Poulpe ici.
|
|