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ALAIN BOUZY |
La Loi De La GuillotineAux éditions CHERCHE-MIDIVisitez leur site |
633Lectures depuisLe mercredi 10 Mars 2016
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Une lecture de |
Dans nos campagnes françaises, le brigandage est intemporel. Des malfaiteurs s'attaquent aux voyageurs mal protégés, aux propriétés prospères, aux notables fortunés. Violence et vols ne sont pas rares dans le royaume. Quand arrivent les années 1790, la Révolution entraîne une instabilité politique et sociale. Guerroyer aux frontières et contre les chouans ennemis de la nation, ça ne laisse que trop peu de forces de l'ordre pour lutter contre les criminels. Les prisons étant déjà pleines, il faut réquisitionner d'anciens locaux religieux, où les évasions sont plus aisées. L'autorité fait ce qu'elle peut, mais la réorganisation du pays est bien lente. On colmate les failles, on réglemente vaille que vaille, tandis que les brigands développent leurs activités et leurs réseaux à travers la France. C'est particulièrement vrai entre Chartres, Orléans et la Beauce. Il n'est pas difficile de s'éloigner de quelques lieues après un méfait ou de se cacher durant un temps. Quand un Lorrain comme Nicolas Cloche, militaire plusieurs fois déserteur, repère tel endroit où il trouvera quelque gain, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait rapine. Quand le couple Horeau est sauvagement assassiné dans sa propriété viticole, il est plus simple d'accuser un trio de Prussiens semi-prisonniers que d'envisager que les Pelletier, employés par les victimes, soient complices. Quand, quelques mois plus tard en 1795, le château de Gautray est mis à sac par une bande de brigands, maltraitant les habitants et dérobant tout ce qui leur tombe sous la main, on peut accuser "la bande d'Orléans" sans vraiment les identifier. Ils sont fort bien organisés dans ce groupe de malfaiteurs autour de Beau-François, connu aussi sous le nom, ordinaire à l'époque, de Jean Anger. Depuis les "mioches" jusqu'à leurs aînés, en passant par leurs compagnes plus ou moins prostituées, tout le monde possède son sobriquet et chacun a un rôle actif dans la bande. Ou plutôt dans "les bandes" : toutes ont leur territoire, mais leurs membres agissent parfois seuls, ou s'acoquinent d'occasion avec tel groupe avant d'en rejoindre un autre. Quand règne une misère noire, les plus pauvres errant sur les routes, ces bandes acceptent volontiers les plus hardis. Profiter du désordre ambiant et ne pas être avare de cruauté, ainsi trouve-t-on de bonnes recrues. Si ces nouveaux ont fui la prison, celle de Chartres entres autres, ce n'est que mieux. La guillotine, châtiment ultime né depuis peu, ne les dissuade sûrement pas. En marge de la société si mal armée contre eux, les brigands n'ont peur de rien, d'autant que beaucoup ont connu le bagne (qu'on nomme encore les galères). La Justice ne traque-t-elle pas en priorité les prêtres réfractaires, les aristocrates déchus, et quelques chouans ? Pendant ce temps, on cambriole presque impunément, on trucide au besoin sans états d'âme. “Il n'y avait rien de plus terrible pour les populations, que de voir débarquer en pleine nuit une horde vociférante, qui cassait votre porte, molestait le chef de famille, menaçait l'épouse ou la domestique. Plus le pain se faisait rare et plus les brigands étaient audacieux.” Si le prix du blé explose, c'est parce que les meuniers spéculent. Les bandits vont les cibler. Avec sa bande d'enragés, le Rouge-d'Anneau pille les biens du meunier Auger. Dans le Loiret, le meunier Lejeune est victime d'une autre razzia. Grâce à un charretier témoin, le juge Guérin suit une piste qui aboutit à plusieurs arrestations. En 1797, à Gérainville, du côté de Châteaudun, les meurtres de la veuve Coupé et de son berger donnent lieu à une enquête sérieuse, permettant là encore d'arrêter quelques brigands. Pourtant, les bandes multiformes continuent à sévir, utilisant l'esprit anti-républicain pour trouver des alliés. En 1798, à Milhouard, la ferme de Nicolas Fousset, soixante-trois ans, est attaquée par la bande de Beau-François. On torture le paysan pour lui faire avouer où il cache son supposé magot. L'affaire fait grand bruit dans la région. Le juge de paix d'Orgères, M.Fougeron, fut longtemps un opposant à la Révolution, mais c'est un juriste compétent. Le maréchal-des-logis Vasseur, qui enquête sur le crime de Milhouard, est partisan de l'éradication des bandes de brigands. Le juge et le gendarme se complètent dans l'efficacité. M.Fougeron fait même appel à Lambrechts, le ministre de la justice, afin d'obtenir des renforts. De gros moyens sont déployés en Beauce : “...deux pelotons de hussards, soit quatre-vingt cavaliers”. Le Borgne-de-Jouy, un des complices de Beau-François, ne tarde pas à avouer – ce qui permettra bientôt au juge d'auditionner plus de trois cent suspects. Le 2 février 1798, Beau-François est arrêté : “Fougeron comprit qu'il aurait fort à faire avec cet oiseau-là, dont le regard flambait d'insolence.” La Beauce en a-t-elle fini avec les méfaits de Beau-François, du Rouge-d'Anneau et de “la bande d'Orgères”, à l'heure où la Révolution cède la place à un régime plus stable ? Si la guillotine est prête à servir, les magistrats feront-ils preuve de la sévérité indispensable ? Possible que Beau-François échappe encore aux griffes de la Justice… Utilisant une riche documentation, Alain Bouzy illustre par l'exemple la "criminalité" qui s'est répandue en ces temps troublés, sans oublier d'évoquer le contexte révolutionnaire. Incertitudes politiques et sauvagerie des brigands vont de pair dans ce récit fluide, relatant le climat d'insécurité des années 1790 et les circonstances authentiques autour de ces bandes. Un aspect de l'Histoire brillamment retracé dans ce livre passionnant. |