le violoniste de Mechtild BORRMANN


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MECHTILD BORRMANN

Le Violoniste


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Mechtild BORRMANN




Une lecture de
PAUL MAUGENDRE

PAUL MAUGENDRE  

(Der Geiger - 2012.Traduction de l'allemand par Sylvie Roussel). Parution le 20 août 2014. 250 pages. 19,00€.

Un violoniste au violon, étonnant non ?

Après avoir interprété de façon magistrale une œuvre de Tchaïkovski et recueilli les ovations méritées du public, Ilia Grenko repart en coulisses afin de ranger son violon, un Stradivarius offert par le tsar Alexandre II à son arrière arrière grand-père, dans son étui. Il a juste le temps de le placer délicatement à l'intérieur que deux hommes lui enjoignent de le suivre à bord d'un véhicule, sans qu'il puisse prévenir qui que ce soit sauf quelques paroles au portier.

Emmené à la Loubianka, il lui est reproché de vouloir s'exiler comme quelques autres musiciens en Europe de l'Ouest. Il est vrai qu'une tournée à Vienne est programmée et qu'il a déposé une demande officielle afin que sa femme Galina et ses fils puissent le suivre. Mais à aucun moment il a pensé quitter définitivement son pays. Ses affaires personnelles et son violon lui sont retirés, rangés dans un carton parmi tant d'autres. Il croupit dans une cellule, où il se morfond, traité comme une bête, même pire. Il a beau clamer son innocence rien n'y fait. Alors dégoûté, meurtri, affaibli et pensant pouvoir s'en sortir il signe des aveux. Le résultat va à l'inverse de ce qu'il espérait car il est condamné à vingt ans de bagne. Après un long périple en chemin de fer, en compagnie de centaines d'autres déportés, il est dirigé vers le goulag de Vorkouta. La neige, les travaux dans les mines, l'acharnement des surveillants et la détention dans des conditions précaires, nourriture rationnée, l'enlisent peu à peu dans une forme d'apathie. Pourtant il pense toujours à sa femme, à ses enfants, mais surtout qu'a-t-il pu faire pour se voir ainsi reléguer au ban de la société.

Pendant ce temps, Galina sa femme s'inquiète auprès de Mechenov, le professeur d'Ilia et son ami, qui l'avait mis en garde. Tout le monde lui affirme qu'Ilia est passé à l'Ouest, le portier a été remplacé, elle est éconduite lorsqu'elle se rend à la Loubianka, et même les journaux affirment que le violoniste à l'avenir prometteur s'est réfugié hors de l'URSS. Bientôt elle aussi va subir les affronts du régime dictatorial imposé par Staline et ses séides. Elle est déportée avec ses enfants à Karaganda au Kazakhstan. Elle trime à la lessive tandis qu'une amie plus libre dans ses déplacements s'occupe de Pavel et d'Ossip, ses enfants. Elle pourra même s'installer plus tard à Alma-Ata, après avoir purgé sa peine plus longtemps que prévu.

Sacha Grenko le petit-fils d'Ilia et de Galina, fils d'Ossip, après avoir traîné dans les rues puis obtenu son bac et une solide formation en informatique, travaille pour une boite de sécurité à Cologne. Ses parents ont été tués dans un accident de voiture en novembre 1990 alors qu'ils venaient de s'installer en Allemagne. Viktoria, sa sœur, et lui ont été séparés, placés dans des familles d'accueil ou des centres. Il est devenu un révolté et un délinquant, connaissant la prison, un passage bénéfique puisque c'est là qu'il s'est intéressé à l'informatique. Il vient de recevoir un appel téléphonique de Viktoria dont il n'avait plus eu de nouvelles depuis leur séparation dix-huit ans auparavant. Content de retrouver sa sœur il prend immédiatement l'avion pour Munich.

A la pension où loge la jeune femme il apprend par la tenancière de l'établissement que Viktoria joue du piano-bar depuis quelques jours dans un hôtel. Elle lui remet toutefois une enveloppe qui contient un petit mot et une clé de consigne. Arrivé à l'hôtel, il s'installe au bar mais sa sœur qui semble surveiller son entrée ne le reconnait pas. Et ne le reconnaîtra jamais. Un plop, un rond rouge qui s'étale dans le dos de Viktoria, et le passé s'éteint. Pas tout à fait car il se précipite à la consigne et en retire une besace. Il se méfie de tout, croisant un policier, s'attendant à être interpellé, car les événements précédents la mort de Viktoria ne jouent pas en sa faveur.

La besace contient des photos et des documents. C'est ainsi qu'il apprend que son grand-père Ilia fut un célèbre violoniste, supposé s'être enfui à l'étranger, et que ses descendants sont les héritiers du Stradivarius. Une lettre écrite sur un emballage de boite de conserve et destinée à Galina, sa grand-mère, signée d'Ilia fait partie des documents. Il découvre également que l'oncle Pavel qui était resté à Alma-Ata est décédé accidentellement en tombant d'un échafaudage quelques jours auparavant l'accident de voiture de ses parents. Des images lui reviennent en mémoire, comme des flash. Il fait part de ses découvertes auprès de son patron qui lui propose de lui apporter toute son aide.

Commence alors un long voyage dans le temps et dans l'espace, à la recherche du fameux instrument de musique, Sacha évitant à plusieurs reprises des tentatives de meurtre. Il est poursuivi, traqué, mais l'aide fournie par son patron lui permet d'échapper aux embûches, aux embuscades, mais jusqu'à quand.

Entre les pérégrinations de Sacha à la recherche non seulement du Stradivarius mais également des tribulations de ses ascendants, nous suivons à la trace les malheurs dont sont victimes son grand-père Ilia et de sa grand-mère, dont il se souvient avec émotion, ayant vécu avec elle quelques années à Alma-Ata avant le départ de ses parents pour l'Allemagne.

L'enfer des goulags, des camps de déportation, les tortures morales et physiques, les privations, la faim, mais également le cynisme, la mauvaise foi, les manipulations, la paranoïa des dirigeants de l'URSS à la fin des années 40 et dans les années 50, sont soigneusement décrits, démontrés. Un régime totalitaire qui broie inéluctablement ceux qui aspirent à la liberté par des individus sans scrupules qui appliquent les consignes, par idéologie, jalousie, par convoitise ou tout simplement englué dans une paranoïa qui leur fait voir des traîtres partout. Vu de l'extérieur, de France par exemple, le régime stalinien était porté aux nues par des embrigadés portant des œillères. De nos jours encore ils les ont conservées ne voulant pas admettre qu'ils ont pu être trompés ou s'être trompés. Des œillères qu'ils ne veulent surtout pas soulever ayant peut-être peur de découvrir les effets néfastes d'une telle politique, préférant vivre dans leur utopie.

Un roman émouvant, poignant, dur, âpre, sans concession et qui peut déranger certaines certitudes.

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