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JACOB M. APPEL |
Une Vie ExemplaireAux éditions DE LA MARTINIEREVisitez leur site |
861Lectures depuisLe mercredi 1 Novembre 2017
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Une lecture de |
À trente-quatre ans, le cardiologue Jeremy Balint est le plus jeune chef de service de l’hôpital méthodiste de Laurendale, dans le New Jersey. Marié à Amanda depuis neuf ans, ils ont deux filles, Jessie et Phoebe. Balint affiche une droiture de “citoyen exemplaire : travailleur, honnête, fidèle. Il privilégiait l’intérêt de ses patients, suscitait la fierté de sa mère et de son beau-père, s’efforçait de montrer le bon exemple à ses enfants.” Jusqu’au jour où surgit le problème Warren Sugarman. Ce dernier est un confrère, chirurgien ayant à peu près le même âge que Balint, très compétent dans son métier. Divorcé de Gloria, père d’un jeune fils, Sugarman fait preuve d’une certaine désinvolture dans la vie. Le plus grave pour Balint, c’est qu’il a vérifié que son épouse Amanda et Sugarman sont amants. Si tuer son rival devient une obsession pour le cardiologue, il ne veut pas passer à l’acte dans l’urgence. Pas seulement parce qu’il vient d’avoir le coup de foudre pour la fille d’un de ses patients, Dalila Navare. Certes, le père de celle-ci sera traité en VIP à l’hôpital dès la moindre alerte, mais une greffe d’organe est improbable. Non, l’essentiel pour Balint est de concocter un plan sans commettre d’erreur, de préparer un crime parfait. Il achète du ruban vert pour signer ses futurs meurtres. Grâce au programme socio-médical lancé par un ami rabbin, Balint pourra disposer de temps pour tuer sans se justifier. C’est après des vacances familiales en Floride qu’il prévoit d’agir. Sa première cible est un vieux couple, des octogénaires qu’il étrangle sans prendre de grands risques. Gloria, l’ex-femme de Sugarman, est toujours furieuse envers son mari, dont la réputation de coureur de jupons n’est pas usurpée. Proche du couple Balint, elle ne masque pas sa colère : “Je te jure, je le tuerais si je savais comment échapper à la police, déclara Gloria. J’aimerais vraiment tuer ce connard.” Le chirurgien compte quelques ennemis, constate Balint. Sa deuxième cible est un ado en surpoids croisé par hasard. Sauf qu’il s’agit du fils d’une puissante politicienne, qui met le paquet pour qu’on trouve l’assassin. Les morceaux de ruban vert posés près des victimes donnent l’idée aux médias de baptiser l’Étrangleur à l’Émeraude ce nouveau tueur en série. Aux yeux de Balint, c’est conforme à son plan, ça oriente les policiers sur les traces d’un traditionnel serial killer. Mais des impondérables se produisent. Un accident dans la piscine personnelle des Balint entraîne de problématiques conséquences. Cela impacte la bonne image du cardiologue, en particulier. Par ailleurs, leur désagréable voisine Bonnie Kluger semble avoir l’œil sur les faits et gestes de Balint. Côté enquête, l’arrestation d’un suspect peut compromettre la suite du plan. En revanche, tout se déroule bien entre lui et Dalila, avec laquelle il devient de plus en plus intime. Il est temps de poursuivre son œuvre, en éliminant une récente veuve de cinquante-huit ans. D’autre écueils l’attendent probablement… (Extrait) “Un dernier obstacle se mettait en travers de son chemin : une peur lancinante de céder à la panique à la dernière minute. Une fois sa cible choisie, les mains autour de son cou, qu’adviendrait-il si le courage venait à lui manquer ? On dit qu’un tiers des soldats n’utilise pas son arme lors du combat. Son premier passage à l’acte était le plus risqué, car il n’avait aucun moyen de deviner si un vieux démon de moralité bien enfoui en lui n’allait pas retenir sa main à la dernière seconde. Cependant, au plus profond de lui, Balint sentait qu’il saurait résister à la pression. Adolescent, en vacances à Cormorant Beach, il avait sauvé la vie d’une promeneuse emportée par une déferlante en plongeant tout habillé dans la tourmente – il avait fait ses preuves. On pourrait arguer qu’il avait pour la circonstance plutôt ‘sauvé’ que ‘supprimé’ une vie, mais tout cela n’était qu’une histoire de point de vue.” Il n’est pas si rare que des individus ordinaires envient "l’intelligence" des criminels, qu’ils imaginent que les assassins et les tueurs en série soient des héros du Mal admirables. Un fantasme de "crime parfait" occultant le fait que ces meurtriers ont souvent été arrêtés, et qu’il y avait autant de chance que d’instinct dans leur parcours clandestin. Échapper à la justice, à la traque policière, en jouant au caméléon pour rester anonyme, c’est juste du cache-cache provisoire avant de se faire prendre. Par ailleurs, le mythe de l’élaboration d’un plan sans défaut, donc du crime impuni, reste ancré dans certains esprits. L’assassin qui pense à absolument tout, envisageant jusqu’à d’improbables hypothèses, n’oubliant aucune précaution, quel talent ! Pas la moindre faille, vraiment ? Ce serait étonnant, pour ne pas dire ‘impossible’. Même doté d’un QI supérieur, même poussant le cynisme à son extrême, même si l’on est d’une lucidité insensible de nature, ça n’est guère réaliste. Ici, Jacob M.Appel vise à illustrer la démarche et le quotidien d’un assassin présentant "le masque de la bonne santé mentale" (le titre original). En effet, Balint n’est nullement un monstre, ni un marginal vagabondant d’un crime à l’autre en passant entre les mailles du filet. C’est un trentenaire "socialement inséré", formule hypocrite puisqu’elle préjuge de l’honnêteté de quelqu’un. Ce médecin spécialiste, offrant de son temps pour une œuvre caritative, marié et attentif père de famille, correspond idéalement aux codes de vie des États-Unis. Irréprochable, et même bientôt récompensé pour ses qualités. Certains points modèrent légèrement notre enthousiasme de lecteur. Certes, les infos nous ont montré de respectables citoyens américains se transformant en tueurs de masse, ou commettant diverses sortes de meurtres sans la moindre pitié. Dans la situation de Balint, cocufié par son épouse et un collègue, la vengeance sournoise en jouant au tueur en série précautionneux est-elle de circonstance ? Chez un être équilibré, l’adultère nous paraît un déclencheur assez faible, et le modus operandi un peu disproportionné. Néanmoins, au fil de l’histoire, on suit avec intérêt l’évolution du projet meurtrier. Qui n’a rien de linéaire, car surgissent des complications semblables à celles de la vraie vie. Ainsi, ne pas laisser d’indices afin d’éviter de se faire prendre n’est plus l’unique difficulté. Aller jusqu’au but final, même sans précipitation, est-ce encore possible ? Çà et là, quelques passages souriants et un brin de tendresse émaillent le récit. “Une vie exemplaire” est un bon roman à suspense, un polar plaisant avec sa part de psychologie dans les réactions de l’assassin, et une dose d’amoralité. |