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BRIGITTE AUBERT |
La Ville Des Serpents D’eauAux éditions SEUILVisitez leur site |
3005Lectures depuisLe vendredi 15 Septembre 2012
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Une lecture de |
Ennatown est une petite ville d’Amérique du Nord au cœur d’un hiver neigeux, à la veille de Noël. Treize ans plus tôt, cette localité fut secoué par une affaire qui n’a jamais été éclaircie. Six fillettes âgées de cinq à sept ans furent kidnappées. On retrouva les corps éventrés de cinq d’entres elles dans un étang de la région, victimes de celui qu’on surnomma Le Noyeur. Vera Miles n’est jamais réapparue. Déjà buveur à l’époque, son père ne s’en est jamais remis, se réfugiant toujours plus dans l’alcoolisme. C’est avec la mort de Susan Lawson que se termina cette série de disparition. L’ancien shérif Blankett n’identifia jamais ce “Nautonier des Enfers”. En réalité, Susan n’est pas morte. Depuis treize ans, elle est prisonnière, esclave de celui qu’elle doit appeler Daddy. Aucun espoir pour elle qu’on détecte jamais cet endroit où Susan est enfermée. Le monstre lui a fait un enfant, Amy, gamine muette qui a maintenant cinq ans. Vince Limonta, trente-neuf ans, est un ancien flic de New York, exclu de la police à cause d’une bavure. Il s’est réfugié depuis six mois à Ennatown, sa ville natale. Le prêtre Roland O’Brien lui a offert un job de jardinier. Vince a retrouvé ici un autre malchanceux ami, Michael McDaniel. Ce Noir de vingt-six ans fut un rappeur renommé sous le pseudo de Snake T., avant qu’un “accident” ne l’handicape définitivement. Le jeune et ambitieux journaliste Luke Bradford ayant ressorti l’histoire des fillettes enlevées, Snake T. incite Vince à s’y intéresser, à décrypter ce qu’il appelle la “criminographie” de l’affaire. Tandis que la bonne société multiconfessionnelle de la ville commence à célébrer les festivités de Noël, le père Roland est victime d’une crise cardiaque. On venait de lui apprendre qu’une des gamines mortes treize ans plus tôt était sa fille. Dans le même temps, un grand Noir accompagné d’une fillette rôde en ville, en quête de nourriture. La petite Amy est parvenue à s’enfuir de chez Daddy. Elle a trouvé protection auprès de Black Dog, un SDF Noir qui campe dans la forêt. Ce géant illettré est bien incapable de lire le message de Susan que la gamine muette lui montre. Débile léger, un peu kleptomane, Black Dog veille à ce que la petite n’ait pas froid et puisse manger. Quand un trio d’alcoolos vient le provoquer à son campement, Back Dog se défend, causant une victime avant de déguerpir avec Amy. La police locale est rapidement sur les lieux, ainsi que Vince Limonta. Le shérif Friedman se pense à la hauteur pour résoudre le problème, assisté de l’agent Patterson et du ranger Wayne Moore, Iroquois d’origine. Ce n’est pas du côté de Summit Camp, camping devenu bidonville pour marginaux, qu’on trouvera des réponses. Alors que le shérif organise une battue pour traquer Black Dog, Le Noyeur y participe. Se méfiant de Vince, il compte bien retrouver et éliminer Amy… Voilà vingt ans que Brigitte Aubert a publié son premier roman, “Les quatre fils du Dr March”. C’est “La mort des bois” en 1996, Grand prix de Littérature policière, qui lui apporta une belle consécration. Depuis, elle a écrit bon nombre de noirs polars et de romans-jeunesse. Par ailleurs, elle est l’auteure (chez 10-18) d’une série de suspenses historiques ayant pour héros le reporter Louis Denfert, des romans dans l’esprit feuilletoniste de l’époque évoquée. Début 2012, elle a publié le jubilatoire “Freaky friday” dans la collection Vendredi 13, Éditions La Branche. Ce petit aperçu de son œuvre est destiné à souligner que c’est une romancière chevronnée, et même plutôt inspirée. Elle a concocté ici un conte de Noël d’une délicieuse tonalité caustique. Une brochette de personnage tous affligés de tares ou de défauts marqués, dont un criminel possédant une facette obscure et une autre moins antipathique. L’establishment local s’avère caricatural à souhaits, ce qui introduit une forme d’humour décalé. Les scènes avec Black Dog et la fragile Amy sont, naturellement, les plus savoureuses. Enquête et chasse à l’homme s’entremêlent habilement. Un récit qui respecte une certaine unité de temps, dans un décor neigeux où l’on ne distingue plus vraiment la nuit du jour. Péripéties à foison, pour un excitant suspense. Encore un roman très réussi de Brigitte Aubert.
Si un grand nombre de lecteurs potentiels établissent leur opinion sur un roman grâce à une couverture attractive ou à une quatrième de couverture plus ou moins intéressante, le chaland sera plus souvent happé par les premières lignes de l’ouvrage. Celles-ci sont souvent prédominantes dans l’achat éventuel. Aussi je ne peux résister au plaisir de vous en dévoiler ces phrases qui incitent par leur force à se plonger dans cette histoire touchante et émouvante : Je suis morte il y a treize ans. J’avais six ans. On m’a retrouvée noyée dans le lac, sous la glace, pas très loin de la maison. Les poches de ma robe étaient bourrées de pierres. Les poissons avaient dévoré mes doigts et mon visage. On m’a identifiée à ma taille et à mes vêtements. Mon joli anorak rose et mon sac à dos Scooby-Doo. On m’a enterrée un après-midi de janvier. Il neigeait. Sur ma tombe il y a gravé « Susan Lawson 1992-1998 A notre cher petit ange ». Quand le cercueil est descendu dans le trou, ma mère s’est mise à hurler. Mon père s’est évanoui. Intriguant, non ?
En ce 23 décembre, la parution d’un article écrit par un jeune journaliste aux dents longues ravive de douloureux souvenirs aux habitants de la petite ville d’Ennatown. Treize ans auparavant la jeune Susan Lawson disparaissait. Elle était âgée de six ans. Son corps avait été retrouvé quelques mois plus tard sous les eaux gelées du lac Winnipek, et n’avait pu être identifiée que grâce aux vêtements qu’elle portait. C’était la cinquième victime de celui qui avait été surnommé Le Noyeur. Seule une des petites kidnappées n’était jamais réapparue. Elles avaient toutes entre cinq et sept ans. Snake T. est plongé dans la lecture de l’article lorsque Vince le rejoint. Snake T., vingt-six ans, est un ancien rappeur mis sur la touche à cause d’une bagarre pour une vilaine histoire de jalousie. Bilan, une balle dans le dos, et une incapacité à se déhancher, courir et même marcher sans ses béquilles. Fini la gloire et retour au pays comme un simple fils de marchand de pizzas. Vince est plus alerte, la quarantaine démolie quand même par l’alcool. Une carrière brisée à cause de son intempérance et d’une bavure, une balle perdue qui a étoilé la tête d’un gamin qui n’avait rien fait de mal sauf d’être dans la ligne de tir du policier dont la main tremblait alors qu’il coursait un revendeur de drogue soupçonné de crime de sang. Pour lui aussi, fini les galons de lieutenant et retour au bercail. Limogeage en règle. Il travaille depuis peu à l’entretien du cimetière, là où est enterré son père, afin d’aider le père Roland qui n’est plus en très bonne santé. Il est essaie de ne plus boire, mais… Il n’est pas le seul à avoir sombré dans l’alcoolisme. Pour des raisons différentes que lui, par exemple les parents des gamines disparues. Les pères qu’il rencontre au hasard des allées dans le cimetière. Quoi que certains peuvent se reprocher d’avoir sur la conscience la disparition de leur enfant, ayant accompagné leur fille jusqu’à l’arrêt du car mais ne pas avoir attendu le passage de celui-ci pressé d’aller se rincer la glotte. Dans une cave, végète depuis des années, treize exactement, Susan Lawson. Elle n’est pas décédée et a donné naissance à une petite fille Amy, âgée aujourd’hui de cinq ans. Daddy, c’est ainsi que le ravisseur exige qu’il soit appelé, leur fournit comme victuailles du porridge (pouah la bouillie d’avoine) et des croquettes pour chien. Susan à dix-neuf ans n’est plus qu’une ombre, perdant ses dents et ses cheveux par poignées (les cheveux pas les dents). Amy est muette, mais elle a appris à lire dans les bouquins et les livres d’images que Daddy leur ramène parfois. Susan sait qu’elle n’en a pour plus longtemps, aussi elle veut qu’Amy puisse prend son envol. Elle arrive à dévisser une grille qui donne sur une sorte de boyau par lequel Amy doit pouvoir s’échapper, porteuse d’un morceau de papier, un appel à l’aide. En ce vingt-trois décembre, à deux jours de Noël où les préparatifs vont bon train, tous ne pensent pas à boire et à festoyer. Black Dog par exemple, qui ne sait ni lire, à part quelques mots, ni écrire, ancien militaire pas très futé (non, ce n’est pas un pléonasme). Il vit dans les futaies de l’immense parc d’Ennatown. Il se débrouille pour survivre, trainant derrière lui un charriot dans lequel il dépose ses maigres affaires et ce qu’il récolte dans les poubelles. Dans sa tête trottinent en boucles ses pensées relatives à sa période militaire et ses amis, peu à vrai dire, aujourd’hui défunts. Il recueille la petite Amy, qu’il appelle Army, n’ayant pas compris ce qu’elle a écrit, et la prend sous sa protection. Ils se rendent en ville à la recherche de nourriture et Black Dog pense pouvoir endiguer leur faim avec des parts de pizza jetées par le père de Snake T. Amy tend son morceau de papier à une dame mais celle-ci ne comprend pas son geste et le temps qu’elle cherche ses lunettes, le couple Black Dog et Amy s’enfuient. Ils ont peur de se faire choper. Snake T. aperçoit Black Dog qui s’enfuit avec la gamine accrochée à lui mais le temps qu’il réalise, ils sont loin, hors de portée. Ce pourrait-il qu’il vient d’assister à un nouvel enlèvement ? L’article qu’il a lu peu avant laisse penser à ce genre d’événement. D’autres personnages ont entrevu ce drôle de couple, ont déduit la même chose et une sorte de paranoïa s’installe dans la petite ville. Le Noyeur a-t-il refait surface ? Ennatown, à l’origine Ennaton, le serpent d’eau en langage Seneca, la peuplade indienne qui vivait sur cette terre avant d’être quasiment rayée de la carte, Ennatown est une petite ville de quatre mille deux cents âmes et huit églises. Les habitants sont pour la plupart relativement aisés, mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont heureux. Certains boivent, d’autres cherchent des compensations charnelles en dehors du lit conjugal. La population blanche prédomine, et quelqu’un comme Black Dog ne passe pas inaperçu. Et peu à peu le traumatisme lié aux enlèvements et aux meurtres qui se sont déroulés treize ans auparavant se réveille. Brigitte Aubert décrit une galerie de personnages troublants, qui reflètent une certaine mentalité rurale américaine, sans être pour autant caricaturaux. Des passages émouvants s’insèrent dans les descriptions des faits et gestes des différents protagonistes, dans leurs actes et leurs pensées. Pour certains d’entre eux, cette quête d’une petite fille enlevée ou supposée kidnappée, peuvent amener à une rédemption. D’autres englués dans leur idées strictes empreintes de religiosité ou de morgue professorale, se fourvoient. A chacun de ses romans, Brigitte Aubert renouvelle son style et son inspiration et La ville des serpents d’eau est ne déroge pas à ces qualités. Et puis il faut souligner les petits effets, qui touchent le lecteur, comme lorsque l’auteur narre les découvertes d’Amy. Amy ne connait rien du monde seulement par les livres d’images que Daddy amenait parfois et elle est contente de pouvoir employer (dans sa tête) des mots face à ce qu’elle découvre. Et Brigitte Aubert pour mieux nous faire partager les impressions d’Amy écrit ses mots en majuscule. |
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