Une lecture de CLAUDE LE NOCHER Anonyme dans la foule de la grande ville, Boris Bélaire est un célibataire, sans âge précis. Malgré son traitement médical, il est fatigué car il dort mal. Réveillé en plein milieu de la nuit, soit il reste au lit en attendant le matin, soit il se lève pour regarder la télévision. “Je ne sais plus très bien où j'en suis. J'ai l'impression de m'enfoncer chaque jour un peu plus” conclut ce dépressif. Il pense que ce n'est pas son psy, le docteur Carkan, qui pourra l'aider davantage. Alors, autant arrêter définitivement la thérapie, qu'il suit depuis dix ans. “Je vous conseille de ne pas trop vous isoler” dit le psy. Il recommande à Boris Bélaire une officine qui pourrait lui apporter un soutien. Le patient n'apparaît pas enthousiaste. Réfugié dans son appartement verrouillé, Bélaire somnole devant la télévision qui diffuse une série américaine indigeste. On sonne à sa porte : ça le dérange au point d'attiser sa vive paranoïa. Ce n'est pourtant que le livreur de chez Rapido Pizza, qui apporte ce qu'il a commandé. Bélaire reste à l'abri, entrouvrant à peine sa porte, attendant le départ du jeune homme pour récupérer ses pizzas. S'il les consomme, ce sera en absorbant aussi des médicaments. Bélaire finit par se résoudre à contacter Magic Dream Box, juste dans le but de se renseigner. À l'accueil, l'employée applique un processus bien rôdé. Bélaire est reçu sans tarder par le directeur de ce “centre de soins”. Bélaire étale les raisons qui l'ont rendu dépressif. Il estime que la vie actuelle est devenue difficile. À commencer par les conditions de travail, la pression permanente sur les salariés. “...Et puis les rapports humains ont aussi beaucoup changé. Les gens se comportent comme des automates, comme s'ils avaient perdu leur âme. Ils semblent inaccessibles, indifférents, centrés sur eux-mêmes.” Palabres narcissiques, violence au quotidien, harcèlement commercial, c'est un monde cynique et terrifiant que le nôtre. Un monde de fou, qui pousse à devenir misanthrope. Dans un premier temps, le directeur le confie à de splendides créatures qui peuvent compenser son besoin d'amour. Ce n'est pas ce qu'attend Boris Bélaire ? Alors, on lui fait vivre une autre expérience… Dans un premier album intitulé “Vacadab” (Éd.Le Moule-à-gaufres), Lomig racontait les pérégrinations d'un jeune commercial dans un monde de requins, où comment réussir sans perdre ses illusions. Lomig traitait les ridicules de la société en expert, entre drôlerie et férocité, avec par exemple les portraits du chef de bureau inhumain, ou de la copine qui ne veut rien savoir de vos ennuis. Il poursuit son exploration satirique de la société, avec ce deuxième album chez le même éditeur lorrain. La vie du 21e siècle nous rend-elle plus paranoïaques ? Plus solitaires face à un quotidien qui peut nous sembler artificiel, conditionné par des questions sans réponses ? Chacun développe-t-il davantage son égocentrisme que par le passé ? C'est, en tout cas, ce qu'en pense Boris Bélaire. S'hypnotiser devant sa télé ne l'aide probablement pas à remonter la pente, à améliorer son état moral. Dans une société qui glorifie sa compétitivité, il ferait figure de parasite sans dignité, peut-être même de rebelle... Cet album en noir et blanc joue beaucoup sur le gris, évoquant la sinistrose qui aboutit au “lâcher prise” de Bélaire, personnage perturbé. Il ne s'agit pas d'un scénario criminel, mais le regard social se rapproche de celui du roman noir. Une BD intéressante, une histoire à découvrir.
CLAUDE LE NOCHER |
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