Une lecture de CLAUDE LE NOCHER Dans la presqu'île bretonne de Crozon, en novembre 1963. C'est le jour où John Fitzgerald Kennedy est assassiné à Dallas, que Rachid Barak arrive à Saint-Fiacre. Le jeune Kabyle loue une chambre à l'hôtel sur le port. L'endroit est fréquenté par une bande de copains, dont le meneur est Kilian Mériadec, le fils du maire de Crozon. La guerre d'Algérie est terminée, mais certains gardeNT une vive rancœur contre les adversaires d'hier. Tel Yannick Le Bec, dont le frère aîné a été tué trois ans plus tôt lors de cette guerre. Son père est encore plus féroce, détestant sans distinction les Américains, les Arabes et les gauchos. Âgée de dix-neuf ans, sœur de Yannick, Maelle est coiffeuse. Se pensant irrésistible, Kilian Mériadec espère finir par la séduire. Pour frimer, Kilian provoque un incident, s'attaquant à Rachid. Si le fils du maire compte ainsi plaire à Maelle, c'est raté. Elle prend plutôt la défense du jeune Kabyle. Ce qui, plus tard dans la soirée, lui vaudra une violente réaction de son père. Rachid s'embarque comme marin-pêcheur. Il n'est pas moins courageux qu'un autre. Pendant son temps libre, il rencontre ponctuellement Maelle. Rachid prend bientôt pension chez Jil Turnal, un anarchiste autonomiste. À cette époque, le mouvement régionaliste n'en est encore qu'à ses balbutiements. Certains militants rêvent d'imiter les Irlandais de l'IRA ou les Algériens du FLN, d'entamer une lutte armée. Fatalement, Turnal est en conflit avec l'arriviste maire Mériadec. Une sincère histoire d'amour débute entre Maelle et Rachid. En décembre 1980 à Paris. Âgé de seize ans, Armel rend visite à Liz Gerrard. Cette dame Anglaise alla habiter en Bretagne, avant la 2eGuerre mondiale. Ce qui lui valut certains ennuis à la Libération, d'ailleurs. Armel vient de la part de Chantal Masson, coiffeuse qui fut une amie de Maelle. Si l'adolescent porte un prénom breton, difficile de ne pas noter son physique typé d'Arabe. Armel souhaite connaître ses origines. Liz Gerrard peut l'aider, en lui confiant le carnet où Maelle racontait les évènements de sa vie... Stéphane Heurteau n'est pas un néophyte en bédé. Il est en particulier le coauteur, avec Corbet, de Fanch Karadec “l'enquêteur breton”, série publiée aux Éditions Vagabondages. Le premier tome “Le mystère Saint-Yves” a été récompensé par le Prix Polar Cognac de la meilleure série BD en 2010. Le tome 2 “L'affaire malouine” est paru en 2012. Heurteau a publié ces dernières années plusieurs autres ouvrages. C'est chez Coop-Breizh que paraît (en deux tomes) sa nouvelle bédé, en noir et blanc. La préface de l'album est signée par le chanteur berbère Idir. “Sant-Fieg” est la traduction de Saint-Fiacre en breton. Certes, le décor est en grande partie celui de la presqu'île de Crozon, vers la pointe de la Bretagne, mais le sujet est beaucoup plus universel. Les rivalités et les drames entraînent souvent de lourds secrets, sur lesquels on peut s'interroger bien des années plus tard. C'est le cas du jeune Armel, en quête d'identité. L'auteur a voulu inscrire cette intrigue dans un cadre plus large. Il restitue la période allant de fin 1963 à 1981. Les débuts de chapitres situent quelques faits marquants mondiaux de l'année évoquée, nous permettant d'imaginer le contexte. La mort de John Lennon ou de Jim Morrison (et de bien d'autres célébrités) restent en quelque sorte des jalons, en effet. Pour l'aspect breton, sont retracés les prémices fictionnels de ce qui deviendra le FLB, mouvement autonomiste aux initiatives parfois discutables. Le thème principal porte sur les différences raciales aux relents colonialistes, en un temps où la Guerre d'Algérie reste proche. On n'est pas si sûr que les états d'esprits aient tellement évolué depuis. Ce premier tome s'avère très réussi, laissant augurer d'une seconde partie (consacrée à Armel) qui révèlera encore d'autres vérités sur ce petit monde.
CLAUDE LE NOCHER |
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