Une lecture de CLAUDE LE NOCHERMortefond est un village perdu dans la campagne vosgienne. C’est là que Prosper Lepicq choisit de séjourner en ce mois de décembre, afin de s’y reposer. Installé à l’auberge Kopf, il est vite adopté par les habitants. Ce parisien s’est bien gardé de préciser qu’il était avocat et détective, ayant mené quelques enquêtes avec la police. Lepicq a sympathisé avec Gaspard Cornusse, artisan photographe, et sa ravissante fille Catherine. Il apprécie autant le curé que l’instituteur anticlérical Villard. Il rencontre le baron Roland, héritier du manoir local, revenu à Mortefond après une vie pleine d’aventure. Dans ce village hors du temps, une grande part de l’activité est consacré à l’artisanat du jouet. Pour la nuit de Noël, on prépare la grande fête de “Il était une fois”. Chacun se grime en héros de contes de fées ou en personnage légendaire, pour une soirée réunissant toute la population. À Mortefond, l’église Saint-Nicolas abrite un trésor. Le doigt bagué du saint, un doigt en or qui vaut une fortune. Selon la légende, qui n’intéresse plus guère que les gamins du village, il existerait un bras complet, tout en or et incrusté de pierres précieuses, disparu lors de la Révolution Française. Sur une stèle du cimetière, une formule sibylline est censée indiquer où se cache l’objet précieux: “Interroge Lucifer et son saint, tu trouveras le bras d’or”. On laisse ce mystère aux enfants, l’important étant que le curé et son sacristain Kappell veillent sur le doigt bagué au presbytère. Voici qu’arrive la nuit de Noël, à laquelle Prosper Lepicq participe gaiement comme les autres. Durant la messe, à l’extérieur de l’église Saint-Nicolas, l’instituteur Villard fait chanter “L’Internationale” à sa chorale d’élèves. Petit jeu anticlérical habituel, qui amuse tout le monde. Pendant ce temps, déguisé en Père Noël, le photographe Cornusse fait le tour du village, distribuant les cadeaux, buvant sa dose d’alcool fort à chaque étape. Le banquet annuel de “Il était une fois” a commencé. Observant la belle Catherine courtisée par le vieux baron Roland, l’instituteur est bien triste car il ne peut rivaliser. Soudain, des enfants alertent la population: “On a assassiné le Père Noël”. On le retrouve poignardé, gisant dans la neige. L’instinct de détective de Prosper Lepicq le pousse à prendre l’affaire en mains. On ramène chez lui le cadavre de Gaspard Cornusse. Lepicq comprend rapidement qu’il y a erreur sur la personne. En effet, ce n’est pas le photographe qu’on a tué. Il s’agit du Dr Ricomet, médecin peu aimé des villageois. Néanmoins, il faut éliciter les faits. Pourquoi était-il habillé en Père Noël ? Si Cornusse est toujours vivant, le doigt en or a été volé cette nuit au presbytère. Lepicq enquête, flairant l’ambiance… Belle adaptation en BD du roman de Pierre Véry, publié en 1934. Il n’est pas si aisé de transcrire le mystère empreint de poésie et d’humour, tel qu’imaginé par cet auteur. Sur ce point, le scénario est ici très habile. En effet, nous entrons dans ce village lors de la nuit de Noël, puis un flash-back nous permet de faire mieux connaissance avec les protagonistes, avant que le détective “intellectif” s’occupe de découvrir la vérité. “Un meurtre ne laisse pas que des empreintes de pas et des tâches de sang, il imprègne l’espace tout autour de son aura malfaisante… Maintenant, il s’agissait pour moi de lire l’invisible.” Deux petites remarques concernant le dessin. Si le décor est réussi et les scènes nocturnes convaincantes, les personnages apparaissent un peu “figés” alors que l’action est mouvementée. Quant à l’allure de Lepicq, on peut le trouver bien juvénile (il a trente-six ans dans les romans de Pierre Véry). Malgré ces détails relatifs, l’ensemble est plutôt réussi, et même fort sympathique. Si le roman est depuis quelques années présenté dans des éditions destinées au jeune public, cette BD s’adresse à toutes les générations.
CLAUDE LE NOCHER |
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