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Meeting Aérien |
Bart reprend son souffle avec difficulté. Il a envie de gerber. Son estomac… menace de révéler… ce qu’il s’est avalé… chez le Grec. La femme contre lui ne tient sans doute pas particulièrement à le savoir. Une vague de sueur froide lui submerge les tempes : elles se mettent à suinter à grosses gouttes glacées. A travers ses doigts crispés sur la bouche de la femme, il s’aperçoit qu’elle bave un peu. Il relâche légèrement la pression. Pas trop : elle en profiterait sûrement pour hurler ou pour mordre. Erreur d’appréciation. Malgré sa bouche comprimée et barbouillée de rouge à lèvres, Rosie pense tout à fait à autre chose. La pression d’un corps transpirant contre le sien, d’une boucle de ceinturon contre son ventre, une respiration précipitée, un peu rauque, sur son cou. Tout cela lui inspire autre chose que l’envie de crier. Sa petite culotte en absorbe une bouffée de désir. Exudation tropicale et lèvres humides. Dans ce corps à corps presqu’intime, Bart ne peut que remarquer la violence de l’émotion de la femme. Normal, tout s’est passé si vite. Il a dû lui flanquer une sacrée frousse. Rien d’étonnant qu’elle se soit laissée un peu aller dans son slip. C’est des choses qui arrivent. Encore heureux qu’elle ne soit pas tombée dans les vapes. Elle pèse dans les soixante-dix kilos et il n’aurait pas pu amortir la chute. Nouvelle erreur d’appréciation : ce qui pourrait la faire tourner de l’œil, c’est cette terrible haleine. Ce type digère mal. Pourvu qu’il ne lui vomisse pas dessus. Et puis ces remugles de tabac froid qui s’échappent de sa chemise entrouverte. Au moins, l’odeur aigrelette de ses aisselles à elle se trouve noyée dans cette bourrasque. Ainsi, face à face, collés l’un contre l’autre et à moitié suffoquant sous un torrent de sueur, ils forment un couple inédit de danseurs de tango, lui, penché sur elle qui cambre l’échine, à ceci près qu’ils ne se tiennent pas par la taille et qu’un appareil-photo les sépare, celui de Bart, dont le zoom modifie singulièrement la rondeur volumineuse du sein gauche de sa partenaire. Sentant que la pression sur ses lèvres s’est relâchée, Rosie tente de marmonner quelque chose. "La ferme!" Le sein n’est plus qu’un gros point de capiton. Un gémissement filtre entre les doigts serrés de Bart. "Un cri, un seul et je vous brise la nuque." Bart ne s’apprécie que très moyennement dans le rôle du salaud impitoyable. Elle n’y est pour rien après tout. "Maintenant, je vais retirer ma main si vous jurez de la boucler. Sinon..." Elle fait un signe de tête. Bart décolle sa main de la bouche exsangue. Elle laisse échapper un profond soupir de soulagement en même temps que son sein reprend son arrondi habituel. Le rouge à lèvres s’est répandu sur tout le bas de son visage. Bart regrette soudain d’avoir été si brutal. "Essuyez-vous la bouche. Vous avez du rouge partout." Rosie essaye de sourire mais ses lèvres engourdies lui font mal. "Si vous voulez me violer, allez-y mais ce n’est pas la peine de me brusquer ; je n’essaierai pas de me défendre." Bart la regarde, ébahi. "Peut-être même que nous pourrions aller chez moi." Mais qu’est-ce qu’elle s’imagine, cette piquée? Elle n’a rien compris au film. Bart étouffe un rôt sonore. "Je ne vais pas vous violer. Vous êtes victime d’une prise d’otage, ma vieille, pas d’une partie de jambes en l’air. Alors contentez-vous de la boucler, d’accord ?" Un bruit de pas précipités monte de la rue, Machinalement, Bart plaque à nouveau sa main sur la bouche de Rosie. Du coup, elle est refroidie. Ce n’est jamais agréable de s’entendre dire qu’on n’a plus l’âge d’être la cible d’une agression sexuelle. De scabreuse, la position de l’arc tendu devient douloureuse. La rampe d’escalier qui tend son bassin vers l’avant risque maintenant de lui casser la colonne vertébrale en deux. Un craquement sec et c’est la fin d’une vie en fauteuil roulant. L’attente parait interminable à Rosie. Elle ne sent plus ses jambes et ses reins la font souffrir. Sa patience s’est sérieusement émoussée. "Qu’est-ce qu’on attend ? On ne va pas passer la nuit ici tout de même. - Si vous avez une meilleure idée, c’est le moment. - Je vous ai déjà dit qu’on pouvait aller chez moi. J’habite tout près." Bart se dit qu’elle a décidément de la suite dans les idées. Et des idées, elle s’en fait. Mais après tout, qu’est-ce qu’il risque à la suivre ? C’est sans doute une nympho mais sur le plan physique, elle n’a rien d’un gorille. Et puis, un mauvais pressentiment le pousse à ne pas rentrer chez lui : les types de tout à l’heure pourraient bien retrouver sa trace. Il a besoin d’un peu de calme pour réfléchir. Pourquoi ne pas passer la nuit chez elle ? Elle a beau être portée sur la chose ; elle s’apercevra vite de ce qu’il en est et il aura quelques heures devant lui pour... Soudain l’escalier s’illumine. Quelqu’un dévale l’escalier à l’étage au-dessus. Bart s’apprête à de nouveau plaquer sa main sur la bouche de la femme. "Ah non ! Suffit comme ça !" Rosie se redresse d’un coup, projette sans ménagement son agresseur dans un coin plus sombre, le saisit par la nuque et colle ses lèvres contre les siennes. Espèce de ... mais il ne la repousse pas: il vient de comprendre. Les pas ralentissent à leur hauteur, puis reprennent leur cadence pour aller se fondre dans la rumeur de la rue. Rosie s’écarte enfin de Bart, trop estomaqué pour réagir. Ce n’est pas de la suite dans les idées mais de la rage dans l’obsession. "Tout de même, vous n’étiez pas obligée d’y mettre la langue ! - Désolée. J’ai le souci du détail." Elle lui tend un mouchoir en papier. "Essuyez-vous la bouche ! Vous avez l’air d’un travelo." Elle glousse. Il en fait autant. Tiens ? Il y a des types qui se seraient vexés pour moins que ça. "Alors ? On y va ?" Tout de même, ce relant d’ail qui persiste. Vautré dans un gros fauteuil, Bart savoure un ginto bien tassé. Son estomac s’est dénoué ; il a fini par digérer le béton du Grec. Il a retiré ses bottes. Faites comme chez vous. Il ne s’est pas fait prier. Quoique, chez lui, il n’enlève ses bottes que pour se fourrer bien au chaud sous les couvertures. il se sent presqu’à l’aise dans cet appartement confortable, moquette épaisse et chauffage central. A l’aise malgré les événements de la journée. Ces types avaient vraiment l’air de lui en vouloir. Tout cela à cause d’une photo. Il faudra qu’il passe demain au labo pour faire développer la pelloche. Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dessus pour qu’ils se mettent à le courser comme ça, ces deux timbrés ? Une chose est sure : ils ne seront même pas sur la photo ; ils étaient hors cadre au moment du déclic. Non, ce qui avait attiré Bart, c’étaient ces deux hommes assis sur un banc. Un jeune, une sorte de loubard aux cheveux longs et un gros lard, engoncé dans un grand manteau noir avec un col d’astrakan. Il avait une petite toque arménienne, bizarrement posée sur le sommet de son crâne luisant. Effet bœuf garanti. Par réflexe professionnel, Bart les avait rapidement cadrés et mis en boîte. Grâce au zoom, il devait au moins être à une quinzaine de mètres d’eux ; une haie les séparait de lui. Ce qui fait qu’ils ne l’avaient pas vu tout de suite et que les deux cerbères qui se sont lancés à ses trousses avaient dû faire un petit détour, le temps pour Bart de détaler. Ce qui lui avait donné l’idée immédiate de se mettre à courir, ce n’étaient pas les deux sbires mais le doigt du gros lard, ses petits yeux pleins de haine et l’ordre bref qu’il avait aboyé : "Cassez-lui l’appareil !" S’il avait hurlé "cassez-lui la gueule !", il n’aurait pas été plus rapide. L’instinct de préservation des paparazzis doit englober leur appareil-photo. C’est, comme qui dirait… aussi difficile de le leur faucher que d’arracher son sabre à un samouraï. La comparaison s’arrête là. Bart n’a pas la vocation. Son job ne lui plaît pas plus que cela mais prendre des photos, il ne sait rien faire de mieux. Et puis, ça lui permet de se balader un peu partout... Quelques zigzags au milieu des promeneurs du jardin et il s’était retrouvé sur le boulevard, au petit trop simplement à cause de son appareil qui bringuebalait contre sa poitrine. Un coup d’œil en arrière pour s’assurer que les autres avaient laisser tomber et il s’était mis à marcher. On ne fume pas impunément deux paquets de blondes sans filtre par jour: il fallait qu’il souffle un peu. Il allait d’ailleurs s’en griller une petite quand un sifflement étrange l’avait fait sursauter. A moins de vingt centimètres de sa tête, la vitre d’un abribus s’effondrait. Il n’avait pas fallu une seconde à Bart pour comprendre qu’elle n’était pas tombée toute seule et qu’on lui avait tiré dessus. Mais la déflagration ? Ils devaient être équipés de silencieux. Merde ! On était en pleine série noire et la cible, c’était lui. Bart s’était remis à courir, la peur au ventre cette fois. Un autre sifflement, un pare-brise qui se lézarde, virage à angle droit, une rue pleine de monde, un peu de bousculade, une porte cochère entrouverte, un escalier obscur sous le porche, un corps percuté de plein fouet dans la pénombre. Emporté par son élan, il l’avait presque cassé en deux sur la rampe. Sans la voir, il avait senti qu’il était tombé sur une femme. Et pas un roseau ! Elle allait crier : il lui avait mis la main sur la bouche et il avait retenu son souffle, le cœur battant, dans une position suggestive ; pour elle, en tous cas. Bart jette un coup d’œil vers la cuisine. Elle est en train de préparer à manger. Dans la rue, elle a marché à cinq mètres devant lui. "C’est plus prudent. Des fois que j’essaierais de m’enfuir." Précaution inutile. Elle n’avait aucune intention de le semer. Lui était nettement moins sûr de ses propres intentions. Mais la voix de la prudence continuait à lui conseiller de ne pas rentrer chez lui. Le sentiment diffus d’un danger. Le souvenir de la poursuite, de la peur au ventre. La voix de la prudence ne lui disait pas pour autant de suivre cette femme. Plus tout à fait inconnue. Mais il ne savait pas trop où aller... Entre deux coups d’œil pour s’assurer que personne ne le guettait, il a eu tout le temps de la détailler. Du talon d’Achille monté sur talon aiguille à l’occiput tiré à quatre épingles. En passant par ses hanches et ses fesses auxquelles sa taille plutôt fine imprimait un roulis excessif. Il en avait presque le mal de mer mais ses yeux finissaient toujours par revenir sur les formes ondoyantes de sa croupe. Le genre de mouvements qu’on n’apprend pas en dormant avec des bigoudis sur la tête et une grosse chemise de nuit en coton. Mais ce qui étonnait le plus Bart, c’était l’absence de marque de slip. C’était une obsession à lui, ça. Mais moulée comme elle l’était dans sa jupe, il aurait dû discerner quelque chose. A croire qu’elle ne portait rien. Il avait envie de savoir. Comme ça. Par simple curiosité un peu malsaine. Par déformation professionnelle, pourrait-on dire. Elle vient de l’appeler. La cuisine est assez luxueuse. Lumière tamisée au-dessus des plaques. Plan de travail en marbre. Une jolie collection de couteaux à découper. Plutôt classe tout ça. Elle a même pensé à mettre des bougies sur la table où une quantité astronomique de tagliatelles au saumon attend déjà. "J’espère que vous aimerez. Je n’ai aucun sens des proportions. Au fait, je m’appelle Rosie. - Moi, c’est Bart. - J’ai une bouteille de Sancerre au frais. Vous n’avez rien contre, j’imagine. - Pourquoi est-ce que vous faites tout ça ? - On ne se fait pas enlever tous les jours par un maniaque." Evidemment, pris sous cet angle... Bart se sent un peu ramolli. Le gin, sans doute. Rosie lui parait plus séduisante. Plus jeune aussi. Elle doit avoir dans les quarante ans. Surtout quand elle sourit. Sans son tailleur pied de grue et ses cheveux tirés, elle dégage une féminité exubérante, il a lu ça dans un polar, une plante tropicale, un peu grasse mais franchement gironde. Sa robe décolletée noire lui va bien. Elle s’est changée sans qu’il ait pu étancher sa curiosité. Maintenant, elle porte plus qu’une simple culotte. Un machin à jarretelles, à coup sûr. Elle se donne vraiment du mal. Elle s’est même remaquillée mais pas trop. La chair de ses bras a l’air ferme et elle possède une de ces paires de doudounes. De quoi remplir deux mains grandes ouvertes. Ses tétons pointent à travers l’étoffe de manière presque gênante. C’est la seule touche d’excès dans le tableau. Bart se rend compte qu’il est en train de l’observer Rosie comme un modèle potentiel. Ce n’est pourtant pas son genre, la photo de charme. "Vous faites quoi comme boulot ? - Visiteuse médicale. - Ça consiste en quoi ? - Je présente le dernier suppositoire à la mode à des médecins qui en pincent pour mon physique. - C’est vrai qu’ils doivent bien faire passer le suppo, vos nichons." Il est allé trop loin. Il s’en veut et se raccroche à la première rambarde qui passe à portée de main. "Excusez-moi. Je ne voulais pas vous vexer. C’était une remarque en passant, une bourde, quoi !" Elle ne fait pas mine d’être fâchée. Elle n’a même pas sourcillé. "C’est exactement pour cette raison que je fais ce métier. Sans mes nichons comme vous dites, on mangerait comme des vaches maigres. - Vous cuisinez drôlement bien en tous cas. Et puis, vous savez, je dis souvent tout ce qui me passe par la tête. Ça m’attire des tas d’ennuis, d’ailleurs." Rosie réajuste le décolleté de sa robe. Entre ses seins, la fossette se fait plus profonde. "Et en ce moment, qu’est-ce qui vous passe par la tête ?" Bart taquine du bout de son couteau la nouille solitaire qui se tortille au fond de son assiette. "Je suis en train de penser que question hospitalité, j’aurais pu tomber plus mal. - Qui est-ce qui vous courait après tout à l’heure ? - Les équarrisseurs des abattoirs. - Et qu’est-ce qu’ils voulaient ? - Me taillader la gorge. - Vous ne voulez pas me répondre ? - Ce n’est pas nécessaire que vous soyez mêlée à ça. - J’y suis jusqu’au cou, non ? - C’est vrai. En fait, j’ai pris une photo que je n’aurais pas dû prendre. Deux types sur un banc avec un look photogénique. Et des gorilles armés m’ont coursé pour récupérer mon appareil. Ils m’ont tiré dessus. Je crois qu’ils m’auraient descendu s’ils avaient pu. - Vous croyez qu’ils vont vous rechercher ? - Probable. S’ils ont cherché à me trouer la peau, ils doivent avoir de bonnes raisons. - Et les hommes sur la photo ? - Je ne les connais pas. Ils formaient simplement une paire bizarre, c’est tout. Carrément insolite. Je les ai pris par réflexe. - Vous êtes photographe ? - Oui. - Pour un journal ? - Pas particulièrement. Je travaille pour une agence. - Vous faites des photos à scandale ? - Pourquoi vous dites ça ? - Je vends bien des suppositoires." Rosie se lève pour aller chercher quelque chose. Elle revient avec une petite pilule nacrée qu’elle pose sur la table. Elle la coupe en deux avec un couteau. "Prenez ça ! - Qu’est-ce que c’est ? - Du bromure. Il y a des choses qu’une otage est en droit d’éviter." Elle avale la première moitié avec le reste de son verre de vin. Il hésite. Pose finalement l’autre moitié sur le bout de sa langue. Pourquoi ne pas lui faire confiance après tout ? Si elle avait voulu le droguer, elle s’y serait prise dès le ginto. Il avale. Ça n’a pas de goût. Le temps de fumer une cigarette et il se sent beaucoup plus détendu. "Vous savez ce que j’aimerais?" L’œil de Rosie s’allume. Ses muqueuses se remettent soudain à suinter. "Je n’ai qu’une douche chez moi et je n’ai pas pris un bon bain depuis des lustres. Alors si ça ne vous dérange pas... - C’est vrai que vous embaumez pas mal des pieds." Avec les cheveux mouillés et bien peignés en arrière, Bart ressemble à un acteur de cinéma muet. Plutôt élégant dans le peignoir qu’elle lui a prêté. Elle devine les formes qu’elle a cherché à voir à travers la mousse du bain. Bien dessinées mais sans excès. Un corps attirant, pas très sportif mais élancé et souple. Il a la peau blanche des noctambules. Pas très poilu. Quand elle est entrée dans la salle de bain, il était à demi-assoupi dans la baignoire. "Je crois que vos vêtements en ont autant besoin que vous." Elle a ramassé les habits froissés. Puis elle est sortie malgré le désir de plonger ses mains sous la mousse. En l’attendant, elle a préparé deux gintos bien tassés. Les yeux de Bart cherche son paquet de cigarettes. "Derrière vous, sur l’étagère. Toutes vos affaires sont là. Le reste est dans la machine à laver. Tout sera sec pour demain." Elle attend qu’il se mette en colère. Sans crainte mais avec un peu d’excitation. Un rien perverse. Elle l’a fait sciemment. Pour le mettre dans l’embarras. Mais il ne tique pas et se contente d’allumer une cigarette. |Il la regarde dans les yeux. Elle lui fait penser à une petite peste qui, histoire de se prendre une gifle, se tiendrait debout après avoir fait une bêtise. L’air effronté du style "il osera jamais m’en coller une". Mais il n’a pas l’intention de lui faire une remarque. Le bain était délicieux et il se sent en coton. "Un autre verre ?" Ça lui parait une excellente idée. "Vous avez une drôle de manière de m’inviter à passer la nuit ici." Rosie dispose savamment sa paire de jambes en fonction de la fente de sa robe. Elle n’en est pas à son coup d’essai. C’est un truc infaillible. Son cœur va faire une embardée et son pénis avec. "Vous vous servez aussi de vos cuisses avec les toubibs ? - Seulement dans certains cas bien précis. Et pas seulement avec des toubibs." Il n’a pas envie de la blesser. Mais il n’a pas non plus envie qu’elle se fasse des illusions, qu’elle se rende ridicule. "Vous savez, je n’ai pas l’intention de vous sauter dessus. Je ne suis pas venu ici pour coucher avec vous. Je ne voudrais pas que... - Ecoutez. Je n’ai pas que ça en tête. Je pensais qu’on aurait pu bavarder." Elle a tout de même du mal à dissimuler son agacement. Il perle à chacun de ses mots mais elle se maîtrise. Si elle ne semble pas lui retourner les sens, lui, par contre, lui plaît de plus en plus. Cette façon de lui résister. Mi-génée, mi-nonchalante. C’est décidément un drôle de garçon. Elle se sait attirante ; beaucoup d’hommes l’ont désirée et la désireront encore. Parce qu’ils devinent à travers sont corps plein de reliefs tous les plaisirs qu’elle peut leur offrir. Et elle aime qu’ils la regardent ainsi. Sans trop de détours. Elle n’a pas un physique de vampe. Mais un corps bien réel qui fait monter la pression artérielle dès qu’il a décidé de suggérer. Mais avec lui, ça n’a pas l’air de prendre. Il la regarde, la détaille mais elle ne voit rien luire dans son oeil. Il ne cherche pas à lui résister : il n’est tout simplement pas tenté. Et ça l’agace. La rend nerveuse. D’autant qu’elle attend le déclic. Le signe qui lui dira qu’elle peut y aller, qu’il fondra sous ses doigts et cherchera maladroitement à lui enlever sa robe. Mais rien ne se passe. C’est son troisième verre. Elle est un peu ivre. Son regard chavire en douceur. Et pourtant elle n’ose pas s’approcher de lui, prendre sa tête entre ses mains pour la coller contre sa poitrine. Elle tente tout à distance, ne renonce pas à le séduire malgré la conversation qui tourne en rond. Mais l’heure tourne. Demain, il faut qu’elle travaille. Elle a aussi besoin d’une bonne nuit de sommeil. Maudits suppositoires. Bart s’est mis au lit en peignoir de bain. Parce qu’il n’a pas eu le culot de demander un pyjama à Rosie. Et il regrette. Car il s’aperçoit vite que dormir dans un lit avec un peignoir... Une ombre vient de passer dans un rai de lumière. Sans rien sur elle. C’est une acharnée. Elle a tout essayé. Enfin presque tout. Ça aurait dû marcher. Avec un autre, ça aurait marché. En un sens, elle le méritait. Son déploiement de charme, naturel, pas trop provoquant mais sans retenue factice non plus lui a fait un drôle d’effet. Pas celui escompté pourtant : il était plutôt embarrassé. Désolée presque. Elle se donnait tant de mal. Elle devait être crevée, prête à aller se coucher mais elle continuait encore à essayer de le séduire. La bouteille de gin y était passée. Ils étaient tous les deux passablement pétés. Ils s’étaient finalement bien marrés. Si, à bout d’arguments subtils, elle s’était jetée sur lui, il ne se serait pas défendu. Il avait une dette envers elle et ce n’était pas une manière désagréable de s’en acquitter. Un corps chaud, débordant de désir, contre le sien. Il se laisserait faire. il verrait bien comment son corps à lui réagirait. Qui sait ? Elle devait savoir s’y prendre. Et puis, en fin de compte, elle a fini par lâcher que bon... elle allait avoir une journée chargée le lendemain, qu’il allait falloir se mettre au lit, qu’il n’y en avait qu’un seul, le sien, mais qu’il était assez grand pour deux sauf s’il préférait le sofa, c’était moins confortable mais, bon... s’il y tenait vraiment, il y avait une couette dans le placard. Puis elle a baillé qu’elle allait prendre une douche. Dormir sur le sofa, cela paraissait logique. Sans complications. Mais Bart avait fini par se faire à l’idée qu’elle allait passer directement à l’attaque. Et maintenant qu’elle renonçait, il se sentait confusément frustré. Bien sûr, il ne lui aurait pas été possible de lui faire des avances. Il était bien de trop maladroit pour ça. Mais à présent qu’elle laissait la porte de sa chambre ouverte. Il n’avait qu’à se laisser glisser sous les draps et puis attendre. Dans le noir, sous la couette, elle oserait sans doute. Bart entend le frottement de sa peau sur le coton. Elle doit s’approcher, lisse et ondulante comme un boa contrictor. Elle hésite. Il écoute sa respiration près de son oreille. Qu’est-ce qu’elle attend ? Est-ce qu’elle s’est endormie, assommée par le gin ? Et puis d’un coup, elle glisse sur lui, l’enlace. Il étouffe mais il reste médusé, paralysé par les trois anneaux autour de son torse. Sa tête se met à tourner. Les bras et les jambes de l’autre nympho s’agitent dans tous les sens mais au ralenti. Bart ne sent plus son corps engourdi et loin de lui. Il sent le durillon de son pubis à elle s’affairer autour du double nœud de la ceinture du peignoir. Des lèvres brûlantes circulent sur les siennes, une langue humide lui visite l’intérieur de la bouche. Il manque d’air mais il n’arrive plus à faire le plein d’oxygène. "Ze vais te fizeler comme un zauzizon et ze vais te manger." C’est la voix de Kaa, le serpent du Livre de la Jungle. Il doit halluciner. Qu’est-ce qui lui prend ? Il est au lit avec une femme qui cherche à le baiser et le voilà embarqué dans un délire d’asphyxie. C’est peut-être la demi-pilule. Mélangée au gin, elle a peut-être des effets à retardement imprévisibles. S’il avait gobé l’autre moitié, il serait sans doute en ce moment même en train de jouer le rôle du boa entre les cuisses de sa partenaire. "Laisse-moi défaire ta ceinture." Ce n’est plus la voix de Kaa mais un souffle haletant au creux de son oreille. si près que les mots lui chatouillent le tympan. "Tu ne le regretteras pas. Fais-moi confiance." Elle glisse déjà vers le nœud du problème. "Vaudrait mieux pas. Vous allez être déçue. " Elle ne se laisse pas démontée. S’obstine. - Tu me connais mal. - Vous ne me connaissez pas non plus." L’activité neuronale de Rosie, jusque-là en pilotage automatique, opère un looping... "Qu’est-ce que tu veux dire ? - Simplement que... eh bien, voilà... les femmes... enfin, c’est pas mon truc." ... suivi d’un piqué en vrille. Elle se rejette sur le dos. Son univers bascule. Dans l’imprévu. Elle laisse échapper un petit rire nerveux. Quelle conne de ne pas y avoir penser plus tôt ! D’habitude, avec elle, les hommes n’ont qu’une idée en tête. Une seule et bien fixe. Elle sait à quoi s’en tenir et elle s’y tient. Avec des variantes bien sûr, plus ou moins réussies. Mais elle n’a jamais à offrir le petit déjeuner. Les muscles anonymes s’évanouissent dans la nuit, sans rien laisser derrière eux, si ce n’est un petit courant d’air froid entre ses cuisses. Et puis parfois l’écho agréable de ces cinq membres sans visage résonne entre ses hanches jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Parfois seulement. Mais vu que ce n’est pas inscrit comme le nez au milieu de la figure... elle n’a toujours pu savoir avant. Avec lui, elle n’a vraiment rien vu venir. Elle ne s’est pas doutée une seconde que... "Tu peux te tromper. - Non, j'en suis sûr. Ne le prenez pas personnellement. J’arrive pas à jouir avec une femme." Ne pas le prendre personnellement. Facile à dire. C’est vrai qu’elle aurait dû s’en douter dès l’escalier. Il n’a pas profité de la situation pour lui palper les seins ou les fesses. Elle se reproche de s’être laissée bernée à ce point. Avec l’effet de surprise et le téléobjectif comme circonstances atténuantes. C’est tout de même la première fois qu’elle sert d’otage. Ça ne peut pas aller sans quelques fausses notes. Mais voilà qu’elle est au lit avec un ange de cire molle qui n’a rien trouvé de mieux que de faire un double nœud à sa ceinture. Et du coup, tout le désir maintenu sous pression dans son ventre s’échappe en un soupir interminable de cocotte minute déprimée, caresse, encore tiède, ses pointes de seins ramollies pour venir, presque froid, faire frémir les boucles de sa toison fauve avant de provoquer, entre les plis de ses cuisses l’impression désagréable d’un petit courant glacé. Merde ! "Vous ne vous attendiez pas à cela ?" C’est le moins qu’on puisse dire. Mais elle se tait. Elle n’a pas envie de plaisanter. Elle n’a jamais eu si froid entre les cuisses. Son cœur est ailleurs. Elle a appris ça avec le temps. Avec les hommes. L’amour, elle le laisse aux autres. Elle a trop trinqué de ce côté. Mais ce soir, elle ne sait pas ce qui arrive. Son univers a basculé dans l’inconnu. Elle se sent humiliée, pas par lui, il a plutôt cherché à lui éviter ça, non, elle se sent humiliée par la vie. Giflée à toute volée, en pleine fierté. Elle est incapable de réagir. Aussi quand le corps nu de Bart l’attire vers lui et qu’il lui murmure : "Si ça peut vous aider à dormir", elle ne fait rien pour l’en empêcher. Longtemps après, Rosie rallume la lampe. Les paupières de Bart se crispent sous un torrent de cauchemars. Elle lui prend la tête avec délicatesse et presse son visage contre son sein. Les cheveux secs, il a l’air d’un gamin. L’âge d’être son fils. Et dire qu’elle n’est jamais venue ainsi, aussi fort. Elle s’est laissé allée sous ses doigts de velours jusqu’à ce qu’un gant de fer lui mette la chair à vif tout en la plongeant dans une source d’eau chaude bouillonnante. Prise au dépourvu, elle est montée au septième ciel dans un éclair. Ça lui a semblé durer des heures jusqu’à ce qu’elle se retrouve blotti contre Bart qui lui souriait, disloquée, en charpies, dans de beaux draps, flous et moelleux. Contre toute attente et jusqu’au cou. Dans la main d’un éphèbe qui préfère le vestiaire des hommes aux douches des filles. Demain, elle se lèverait sans le réveiller, elle partirait en lui laissant ses vêtements repassés sur une chaise et un petit déjeuner dans la cuisine. Peut-être même un mot. Pour l’instant, éteindre la lumière et dormir contre lui. Profiter de la nuit. Sans même espérer qu’il pourrait y en avoir d’autres. Meeting aérien Bart reprend son souffle avec difficulté. Il a envie de gerber. Son estomac… menace de révéler… ce qu’il s’est avalé… chez le Grec. La femme contre lui ne tient sans doute pas particulièrement à le savoir. Une vague de sueur froide lui submerge les tempes : elles se mettent à suinter à grosses gouttes glacées. A travers ses doigts crispés sur la bouche de la femme, il s’aperçoit qu’elle bave un peu. Il relâche légèrement la pression. Pas trop : elle en profiterait sûrement pour hurler ou pour mordre. Erreur d’appréciation. Malgré sa bouche comprimée et barbouillée de rouge à lèvres, Rosie pense tout à fait à autre chose. La pression d’un corps transpirant contre le sien, d’une boucle de ceinturon contre son ventre, une respiration précipitée, un peu rauque, sur son cou. Tout cela lui inspire autre chose que l’envie de crier. Sa petite culotte en absorbe une bouffée de désir. Exudation tropicale et lèvres humides. Dans ce corps à corps presqu’intime, Bart ne peut que remarquer la violence de l’émotion de la femme. Normal, tout s’est passé si vite. Il a dû lui flanquer une sacrée frousse. Rien d’étonnant qu’elle se soit laissée un peu aller dans son slip. C’est des choses qui arrivent. Encore heureux qu’elle ne soit pas tombée dans les vapes. Elle pèse dans les soixante-dix kilos et il n’aurait pas pu amortir la chute. Nouvelle erreur d’appréciation : ce qui pourrait la faire tourner de l’œil, c’est cette terrible haleine. Ce type digère mal. Pourvu qu’il ne lui vomisse pas dessus. Et puis ces remugles de tabac froid qui s’échappent de sa chemise entrouverte. Au moins, l’odeur aigrelette de ses aisselles à elle se trouve noyée dans cette bourrasque. Ainsi, face à face, collés l’un contre l’autre et à moitié suffoquant sous un torrent de sueur, ils forment un couple inédit de danseurs de tango, lui, penché sur elle qui cambre l’échine, à ceci près qu’ils ne se tiennent pas par la taille et qu’un appareil-photo les sépare, celui de Bart, dont le zoom modifie singulièrement la rondeur volumineuse du sein gauche de sa partenaire. Sentant que la pression sur ses lèvres s’est relâchée, Rosie tente de marmonner quelque chose. "La ferme!" Le sein n’est plus qu’un gros point de capiton. Un gémissement filtre entre les doigts serrés de Bart. "Un cri, un seul et je vous brise la nuque." Bart ne s’apprécie que très moyennement dans le rôle du salaud impitoyable. Elle n’y est pour rien après tout. "Maintenant, je vais retirer ma main si vous jurez de la boucler. Sinon..." Elle fait un signe de tête. Bart décolle sa main de la bouche exsangue. Elle laisse échapper un profond soupir de soulagement en même temps que son sein reprend son arrondi habituel. Le rouge à lèvres s’est répandu sur tout le bas de son visage. Bart regrette soudain d’avoir été si brutal. "Essuyez-vous la bouche. Vous avez du rouge partout." Rosie essaye de sourire mais ses lèvres engourdies lui font mal. "Si vous voulez me violer, allez-y mais ce n’est pas la peine de me brusquer ; je n’essaierai pas de me défendre." Bart la regarde, ébahi. "Peut-être même que nous pourrions aller chez moi." Mais qu’est-ce qu’elle s’imagine, cette piquée? Elle n’a rien compris au film. Bart étouffe un rôt sonore. "Je ne vais pas vous violer. Vous êtes victime d’une prise d’otage, ma vieille, pas d’une partie de jambes en l’air. Alors contentez-vous de la boucler, d’accord ?" Un bruit de pas précipités monte de la rue, Machinalement, Bart plaque à nouveau sa main sur la bouche de Rosie. Du coup, elle est refroidie. Ce n’est jamais agréable de s’entendre dire qu’on n’a plus l’âge d’être la cible d’une agression sexuelle. De scabreuse, la position de l’arc tendu devient douloureuse. La rampe d’escalier qui tend son bassin vers l’avant risque maintenant de lui casser la colonne vertébrale en deux. Un craquement sec et c’est la fin d’une vie en fauteuil roulant. L’attente parait interminable à Rosie. Elle ne sent plus ses jambes et ses reins la font souffrir. Sa patience s’est sérieusement émoussée. "Qu’est-ce qu’on attend ? On ne va pas passer la nuit ici tout de même. - Si vous avez une meilleure idée, c’est le moment. - Je vous ai déjà dit qu’on pouvait aller chez moi. J’habite tout près." Bart se dit qu’elle a décidément de la suite dans les idées. Et des idées, elle s’en fait. Mais après tout, qu’est-ce qu’il risque à la suivre ? C’est sans doute une nympho mais sur le plan physique, elle n’a rien d’un gorille. Et puis, un mauvais pressentiment le pousse à ne pas rentrer chez lui : les types de tout à l’heure pourraient bien retrouver sa trace. Il a besoin d’un peu de calme pour réfléchir. Pourquoi ne pas passer la nuit chez elle ? Elle a beau être portée sur la chose ; elle s’apercevra vite de ce qu’il en est et il aura quelques heures devant lui pour... Soudain l’escalier s’illumine. Quelqu’un dévale l’escalier à l’étage au-dessus. Bart s’apprête à de nouveau plaquer sa main sur la bouche de la femme. "Ah non ! Suffit comme ça !" Rosie se redresse d’un coup, projette sans ménagement son agresseur dans un coin plus sombre, le saisit par la nuque et colle ses lèvres contre les siennes. Espèce de ... mais il ne la repousse pas: il vient de comprendre. Les pas ralentissent à leur hauteur, puis reprennent leur cadence pour aller se fondre dans la rumeur de la rue. Rosie s’écarte enfin de Bart, trop estomaqué pour réagir. Ce n’est pas de la suite dans les idées mais de la rage dans l’obsession. "Tout de même, vous n’étiez pas obligée d’y mettre la langue ! - Désolée. J’ai le souci du détail." Elle lui tend un mouchoir en papier. "Essuyez-vous la bouche ! Vous avez l’air d’un travelo." Elle glousse. Il en fait autant. Tiens ? Il y a des types qui se seraient vexés pour moins que ça. "Alors ? On y va ?" Tout de même, ce relant d’ail qui persiste. Vautré dans un gros fauteuil, Bart savoure un ginto bien tassé. Son estomac s’est dénoué ; il a fini par digérer le béton du Grec. Il a retiré ses bottes. Faites comme chez vous. Il ne s’est pas fait prier. Quoique, chez lui, il n’enlève ses bottes que pour se fourrer bien au chaud sous les couvertures. il se sent presqu’à l’aise dans cet appartement confortable, moquette épaisse et chauffage central. A l’aise malgré les événements de la journée. Ces types avaient vraiment l’air de lui en vouloir. Tout cela à cause d’une photo. Il faudra qu’il passe demain au labo pour faire développer la pelloche. Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dessus pour qu’ils se mettent à le courser comme ça, ces deux timbrés ? Une chose est sure : ils ne seront même pas sur la photo ; ils étaient hors cadre au moment du déclic. Non, ce qui avait attiré Bart, c’étaient ces deux hommes assis sur un banc. Un jeune, une sorte de loubard aux cheveux longs et un gros lard, engoncé dans un grand manteau noir avec un col d’astrakan. Il avait une petite toque arménienne, bizarrement posée sur le sommet de son crâne luisant. Effet bœuf garanti. Par réflexe professionnel, Bart les avait rapidement cadrés et mis en boîte. Grâce au zoom, il devait au moins être à une quinzaine de mètres d’eux ; une haie les séparait de lui. Ce qui fait qu’ils ne l’avaient pas vu tout de suite et que les deux cerbères qui se sont lancés à ses trousses avaient dû faire un petit détour, le temps pour Bart de détaler. Ce qui lui avait donné l’idée immédiate de se mettre à courir, ce n’étaient pas les deux sbires mais le doigt du gros lard, ses petits yeux pleins de haine et l’ordre bref qu’il avait aboyé : "Cassez-lui l’appareil !" S’il avait hurlé "cassez-lui la gueule !", il n’aurait pas été plus rapide. L’instinct de préservation des paparazzis doit englober leur appareil-photo. C’est, comme qui dirait… aussi difficile de le leur faucher que d’arracher son sabre à un samouraï. La comparaison s’arrête là. Bart n’a pas la vocation. Son job ne lui plaît pas plus que cela mais prendre des photos, il ne sait rien faire de mieux. Et puis, ça lui permet de se balader un peu partout... Quelques zigzags au milieu des promeneurs du jardin et il s’était retrouvé sur le boulevard, au petit trop simplement à cause de son appareil qui bringuebalait contre sa poitrine. Un coup d’œil en arrière pour s’assurer que les autres avaient laisser tomber et il s’était mis à marcher. On ne fume pas impunément deux paquets de blondes sans filtre par jour: il fallait qu’il souffle un peu. Il allait d’ailleurs s’en griller une petite quand un sifflement étrange l’avait fait sursauter. A moins de vingt centimètres de sa tête, la vitre d’un abribus s’effondrait. Il n’avait pas fallu une seconde à Bart pour comprendre qu’elle n’était pas tombée toute seule et qu’on lui avait tiré dessus. Mais la déflagration ? Ils devaient être équipés de silencieux. Merde ! On était en pleine série noire et la cible, c’était lui. Bart s’était remis à courir, la peur au ventre cette fois. Un autre sifflement, un pare-brise qui se lézarde, virage à angle droit, une rue pleine de monde, un peu de bousculade, une porte cochère entrouverte, un escalier obscur sous le porche, un corps percuté de plein fouet dans la pénombre. Emporté par son élan, il l’avait presque cassé en deux sur la rampe. Sans la voir, il avait senti qu’il était tombé sur une femme. Et pas un roseau ! Elle allait crier : il lui avait mis la main sur la bouche et il avait retenu son souffle, le cœur battant, dans une position suggestive ; pour elle, en tous cas. Bart jette un coup d’œil vers la cuisine. Elle est en train de préparer à manger. Dans la rue, elle a marché à cinq mètres devant lui. "C’est plus prudent. Des fois que j’essaierais de m’enfuir." Précaution inutile. Elle n’avait aucune intention de le semer. Lui était nettement moins sûr de ses propres intentions. Mais la voix de la prudence continuait à lui conseiller de ne pas rentrer chez lui. Le sentiment diffus d’un danger. Le souvenir de la poursuite, de la peur au ventre. La voix de la prudence ne lui disait pas pour autant de suivre cette femme. Plus tout à fait inconnue. Mais il ne savait pas trop où aller... Entre deux coups d’œil pour s’assurer que personne ne le guettait, il a eu tout le temps de la détailler. Du talon d’Achille monté sur talon aiguille à l’occiput tiré à quatre épingles. En passant par ses hanches et ses fesses auxquelles sa taille plutôt fine imprimait un roulis excessif. Il en avait presque le mal de mer mais ses yeux finissaient toujours par revenir sur les formes ondoyantes de sa croupe. Le genre de mouvements qu’on n’apprend pas en dormant avec des bigoudis sur la tête et une grosse chemise de nuit en coton. Mais ce qui étonnait le plus Bart, c’était l’absence de marque de slip. C’était une obsession à lui, ça. Mais moulée comme elle l’était dans sa jupe, il aurait dû discerner quelque chose. A croire qu’elle ne portait rien. Il avait envie de savoir. Comme ça. Par simple curiosité un peu malsaine. Par déformation professionnelle, pourrait-on dire. Elle vient de l’appeler. La cuisine est assez luxueuse. Lumière tamisée au-dessus des plaques. Plan de travail en marbre. Une jolie collection de couteaux à découper. Plutôt classe tout ça. Elle a même pensé à mettre des bougies sur la table où une quantité astronomique de tagliatelles au saumon attend déjà. "J’espère que vous aimerez. Je n’ai aucun sens des proportions. Au fait, je m’appelle Rosie. - Moi, c’est Bart. - J’ai une bouteille de Sancerre au frais. Vous n’avez rien contre, j’imagine. - Pourquoi est-ce que vous faites tout ça ? - On ne se fait pas enlever tous les jours par un maniaque." Evidemment, pris sous cet angle... Bart se sent un peu ramolli. Le gin, sans doute. Rosie lui parait plus séduisante. Plus jeune aussi. Elle doit avoir dans les quarante ans. Surtout quand elle sourit. Sans son tailleur pied de grue et ses cheveux tirés, elle dégage une féminité exubérante, il a lu ça dans un polar, une plante tropicale, un peu grasse mais franchement gironde. Sa robe décolletée noire lui va bien. Elle s’est changée sans qu’il ait pu étancher sa curiosité. Maintenant, elle porte plus qu’une simple culotte. Un machin à jarretelles, à coup sûr. Elle se donne vraiment du mal. Elle s’est même remaquillée mais pas trop. La chair de ses bras a l’air ferme et elle possède une de ces paires de doudounes. De quoi remplir deux mains grandes ouvertes. Ses tétons pointent à travers l’étoffe de manière presque gênante. C’est la seule touche d’excès dans le tableau. Bart se rend compte qu’il est en train de l’observer Rosie comme un modèle potentiel. Ce n’est pourtant pas son genre, la photo de charme. "Vous faites quoi comme boulot ? - Visiteuse médicale. - Ça consiste en quoi ? - Je présente le dernier suppositoire à la mode à des médecins qui en pincent pour mon physique. - C’est vrai qu’ils doivent bien faire passer le suppo, vos nichons." Il est allé trop loin. Il s’en veut et se raccroche à la première rambarde qui passe à portée de main. "Excusez-moi. Je ne voulais pas vous vexer. C’était une remarque en passant, une bourde, quoi !" Elle ne fait pas mine d’être fâchée. Elle n’a même pas sourcillé. "C’est exactement pour cette raison que je fais ce métier. Sans mes nichons comme vous dites, on mangerait comme des vaches maigres. - Vous cuisinez drôlement bien en tous cas. Et puis, vous savez, je dis souvent tout ce qui me passe par la tête. Ça m’attire des tas d’ennuis, d’ailleurs." Rosie réajuste le décolleté de sa robe. Entre ses seins, la fossette se fait plus profonde. "Et en ce moment, qu’est-ce qui vous passe par la tête ?" Bart taquine du bout de son couteau la nouille solitaire qui se tortille au fond de son assiette. "Je suis en train de penser que question hospitalité, j’aurais pu tomber plus mal. - Qui est-ce qui vous courait après tout à l’heure ? - Les équarrisseurs des abattoirs. - Et qu’est-ce qu’ils voulaient ? - Me taillader la gorge. - Vous ne voulez pas me répondre ? - Ce n’est pas nécessaire que vous soyez mêlée à ça. - J’y suis jusqu’au cou, non ? - C’est vrai. En fait, j’ai pris une photo que je n’aurais pas dû prendre. Deux types sur un banc avec un look photogénique. Et des gorilles armés m’ont coursé pour récupérer mon appareil. Ils m’ont tiré dessus. Je crois qu’ils m’auraient descendu s’ils avaient pu. - Vous croyez qu’ils vont vous rechercher ? - Probable. S’ils ont cherché à me trouer la peau, ils doivent avoir de bonnes raisons. - Et les hommes sur la photo ? - Je ne les connais pas. Ils formaient simplement une paire bizarre, c’est tout. Carrément insolite. Je les ai pris par réflexe. - Vous êtes photographe ? - Oui. - Pour un journal ? - Pas particulièrement. Je travaille pour une agence. - Vous faites des photos à scandale ? - Pourquoi vous dites ça ? - Je vends bien des suppositoires." Rosie se lève pour aller chercher quelque chose. Elle revient avec une petite pilule nacrée qu’elle pose sur la table. Elle la coupe en deux avec un couteau. "Prenez ça ! - Qu’est-ce que c’est ? - Du bromure. Il y a des choses qu’une otage est en droit d’éviter." Elle avale la première moitié avec le reste de son verre de vin. Il hésite. Pose finalement l’autre moitié sur le bout de sa langue. Pourquoi ne pas lui faire confiance après tout ? Si elle avait voulu le droguer, elle s’y serait prise dès le ginto. Il avale. Ça n’a pas de goût. Le temps de fumer une cigarette et il se sent beaucoup plus détendu. "Vous savez ce que j’aimerais?" L’œil de Rosie s’allume. Ses muqueuses se remettent soudain à suinter. "Je n’ai qu’une douche chez moi et je n’ai pas pris un bon bain depuis des lustres. Alors si ça ne vous dérange pas... - C’est vrai que vous embaumez pas mal des pieds." Avec les cheveux mouillés et bien peignés en arrière, Bart ressemble à un acteur de cinéma muet. Plutôt élégant dans le peignoir qu’elle lui a prêté. Elle devine les formes qu’elle a cherché à voir à travers la mousse du bain. Bien dessinées mais sans excès. Un corps attirant, pas très sportif mais élancé et souple. Il a la peau blanche des noctambules. Pas très poilu. Quand elle est entrée dans la salle de bain, il était à demi-assoupi dans la baignoire. "Je crois que vos vêtements en ont autant besoin que vous." Elle a ramassé les habits froissés. Puis elle est sortie malgré le désir de plonger ses mains sous la mousse. En l’attendant, elle a préparé deux gintos bien tassés. Les yeux de Bart cherche son paquet de cigarettes. "Derrière vous, sur l’étagère. Toutes vos affaires sont là. Le reste est dans la machine à laver. Tout sera sec pour demain." Elle attend qu’il se mette en colère. Sans crainte mais avec un peu d’excitation. Un rien perverse. Elle l’a fait sciemment. Pour le mettre dans l’embarras. Mais il ne tique pas et se contente d’allumer une cigarette. |Il la regarde dans les yeux. Elle lui fait penser à une petite peste qui, histoire de se prendre une gifle, se tiendrait debout après avoir fait une bêtise. L’air effronté du style "il osera jamais m’en coller une". Mais il n’a pas l’intention de lui faire une remarque. Le bain était délicieux et il se sent en coton. "Un autre verre ?" Ça lui parait une excellente idée. "Vous avez une drôle de manière de m’inviter à passer la nuit ici." Rosie dispose savamment sa paire de jambes en fonction de la fente de sa robe. Elle n’en est pas à son coup d’essai. C’est un truc infaillible. Son cœur va faire une embardée et son pénis avec. "Vous vous servez aussi de vos cuisses avec les toubibs ? - Seulement dans certains cas bien précis. Et pas seulement avec des toubibs." Il n’a pas envie de la blesser. Mais il n’a pas non plus envie qu’elle se fasse des illusions, qu’elle se rende ridicule. "Vous savez, je n’ai pas l’intention de vous sauter dessus. Je ne suis pas venu ici pour coucher avec vous. Je ne voudrais pas que... - Ecoutez. Je n’ai pas que ça en tête. Je pensais qu’on aurait pu bavarder." Elle a tout de même du mal à dissimuler son agacement. Il perle à chacun de ses mots mais elle se maîtrise. Si elle ne semble pas lui retourner les sens, lui, par contre, lui plaît de plus en plus. Cette façon de lui résister. Mi-génée, mi-nonchalante. C’est décidément un drôle de garçon. Elle se sait attirante ; beaucoup d’hommes l’ont désirée et la désireront encore. Parce qu’ils devinent à travers sont corps plein de reliefs tous les plaisirs qu’elle peut leur offrir. Et elle aime qu’ils la regardent ainsi. Sans trop de détours. Elle n’a pas un physique de vampe. Mais un corps bien réel qui fait monter la pression artérielle dès qu’il a décidé de suggérer. Mais avec lui, ça n’a pas l’air de prendre. Il la regarde, la détaille mais elle ne voit rien luire dans son oeil. Il ne cherche pas à lui résister : il n’est tout simplement pas tenté. Et ça l’agace. La rend nerveuse. D’autant qu’elle attend le déclic. Le signe qui lui dira qu’elle peut y aller, qu’il fondra sous ses doigts et cherchera maladroitement à lui enlever sa robe. Mais rien ne se passe. C’est son troisième verre. Elle est un peu ivre. Son regard chavire en douceur. Et pourtant elle n’ose pas s’approcher de lui, prendre sa tête entre ses mains pour la coller contre sa poitrine. Elle tente tout à distance, ne renonce pas à le séduire malgré la conversation qui tourne en rond. Mais l’heure tourne. Demain, il faut qu’elle travaille. Elle a aussi besoin d’une bonne nuit de sommeil. Maudits suppositoires. Bart s’est mis au lit en peignoir de bain. Parce qu’il n’a pas eu le culot de demander un pyjama à Rosie. Et il regrette. Car il s’aperçoit vite que dormir dans un lit avec un peignoir... Une ombre vient de passer dans un rai de lumière. Sans rien sur elle. C’est une acharnée. Elle a tout essayé. Enfin presque tout. Ça aurait dû marcher. Avec un autre, ça aurait marché. En un sens, elle le méritait. Son déploiement de charme, naturel, pas trop provoquant mais sans retenue factice non plus lui a fait un drôle d’effet. Pas celui escompté pourtant : il était plutôt embarrassé. Désolée presque. Elle se donnait tant de mal. Elle devait être crevée, prête à aller se coucher mais elle continuait encore à essayer de le séduire. La bouteille de gin y était passée. Ils étaient tous les deux passablement pétés. Ils s’étaient finalement bien marrés. Si, à bout d’arguments subtils, elle s’était jetée sur lui, il ne se serait pas défendu. Il avait une dette envers elle et ce n’était pas une manière désagréable de s’en acquitter. Un corps chaud, débordant de désir, contre le sien. Il se laisserait faire. il verrait bien comment son corps à lui réagirait. Qui sait ? Elle devait savoir s’y prendre. Et puis, en fin de compte, elle a fini par lâcher que bon... elle allait avoir une journée chargée le lendemain, qu’il allait falloir se mettre au lit, qu’il n’y en avait qu’un seul, le sien, mais qu’il était assez grand pour deux sauf s’il préférait le sofa, c’était moins confortable mais, bon... s’il y tenait vraiment, il y avait une couette dans le placard. Puis elle a baillé qu’elle allait prendre une douche. Dormir sur le sofa, cela paraissait logique. Sans complications. Mais Bart avait fini par se faire à l’idée qu’elle allait passer directement à l’attaque. Et maintenant qu’elle renonçait, il se sentait confusément frustré. Bien sûr, il ne lui aurait pas été possible de lui faire des avances. Il était bien de trop maladroit pour ça. Mais à présent qu’elle laissait la porte de sa chambre ouverte. Il n’avait qu’à se laisser glisser sous les draps et puis attendre. Dans le noir, sous la couette, elle oserait sans doute. Bart entend le frottement de sa peau sur le coton. Elle doit s’approcher, lisse et ondulante comme un boa contrictor. Elle hésite. Il écoute sa respiration près de son oreille. Qu’est-ce qu’elle attend ? Est-ce qu’elle s’est endormie, assommée par le gin ? Et puis d’un coup, elle glisse sur lui, l’enlace. Il étouffe mais il reste médusé, paralysé par les trois anneaux autour de son torse. Sa tête se met à tourner. Les bras et les jambes de l’autre nympho s’agitent dans tous les sens mais au ralenti. Bart ne sent plus son corps engourdi et loin de lui. Il sent le durillon de son pubis à elle s’affairer autour du double nœud de la ceinture du peignoir. Des lèvres brûlantes circulent sur les siennes, une langue humide lui visite l’intérieur de la bouche. Il manque d’air mais il n’arrive plus à faire le plein d’oxygène. "Ze vais te fizeler comme un zauzizon et ze vais te manger." C’est la voix de Kaa, le serpent du Livre de la Jungle. Il doit halluciner. Qu’est-ce qui lui prend ? Il est au lit avec une femme qui cherche à le baiser et le voilà embarqué dans un délire d’asphyxie. C’est peut-être la demi-pilule. Mélangée au gin, elle a peut-être des effets à retardement imprévisibles. S’il avait gobé l’autre moitié, il serait sans doute en ce moment même en train de jouer le rôle du boa entre les cuisses de sa partenaire. "Laisse-moi défaire ta ceinture." Ce n’est plus la voix de Kaa mais un souffle haletant au creux de son oreille. si près que les mots lui chatouillent le tympan. "Tu ne le regretteras pas. Fais-moi confiance." Elle glisse déjà vers le nœud du problème. "Vaudrait mieux pas. Vous allez être déçue. " Elle ne se laisse pas démontée. S’obstine. - Tu me connais mal. - Vous ne me connaissez pas non plus." L’activité neuronale de Rosie, jusque-là en pilotage automatique, opère un looping... "Qu’est-ce que tu veux dire ? - Simplement que... eh bien, voilà... les femmes... enfin, c’est pas mon truc." ... suivi d’un piqué en vrille. Elle se rejette sur le dos. Son univers bascule. Dans l’imprévu. Elle laisse échapper un petit rire nerveux. Quelle conne de ne pas y avoir penser plus tôt ! D’habitude, avec elle, les hommes n’ont qu’une idée en tête. Une seule et bien fixe. Elle sait à quoi s’en tenir et elle s’y tient. Avec des variantes bien sûr, plus ou moins réussies. Mais elle n’a jamais à offrir le petit déjeuner. Les muscles anonymes s’évanouissent dans la nuit, sans rien laisser derrière eux, si ce n’est un petit courant d’air froid entre ses cuisses. Et puis parfois l’écho agréable de ces cinq membres sans visage résonne entre ses hanches jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Parfois seulement. Mais vu que ce n’est pas inscrit comme le nez au milieu de la figure... elle n’a toujours pu savoir avant. Avec lui, elle n’a vraiment rien vu venir. Elle ne s’est pas doutée une seconde que... "Tu peux te tromper. - Non, j'en suis sûr. Ne le prenez pas personnellement. J’arrive pas à jouir avec une femme." Ne pas le prendre personnellement. Facile à dire. C’est vrai qu’elle aurait dû s’en douter dès l’escalier. Il n’a pas profité de la situation pour lui palper les seins ou les fesses. Elle se reproche de s’être laissée bernée à ce point. Avec l’effet de surprise et le téléobjectif comme circonstances atténuantes. C’est tout de même la première fois qu’elle sert d’otage. Ça ne peut pas aller sans quelques fausses notes. Mais voilà qu’elle est au lit avec un ange de cire molle qui n’a rien trouvé de mieux que de faire un double nœud à sa ceinture. Et du coup, tout le désir maintenu sous pression dans son ventre s’échappe en un soupir interminable de cocotte minute déprimée, caresse, encore tiède, ses pointes de seins ramollies pour venir, presque froid, faire frémir les boucles de sa toison fauve avant de provoquer, entre les plis de ses cuisses l’impression désagréable d’un petit courant glacé. Merde ! "Vous ne vous attendiez pas à cela ?" C’est le moins qu’on puisse dire. Mais elle se tait. Elle n’a pas envie de plaisanter. Elle n’a jamais eu si froid entre les cuisses. Son cœur est ailleurs. Elle a appris ça avec le temps. Avec les hommes. L’amour, elle le laisse aux autres. Elle a trop trinqué de ce côté. Mais ce soir, elle ne sait pas ce qui arrive. Son univers a basculé dans l’inconnu. Elle se sent humiliée, pas par lui, il a plutôt cherché à lui éviter ça, non, elle se sent humiliée par la vie. Giflée à toute volée, en pleine fierté. Elle est incapable de réagir. Aussi quand le corps nu de Bart l’attire vers lui et qu’il lui murmure : "Si ça peut vous aider à dormir", elle ne fait rien pour l’en empêcher. Longtemps après, Rosie rallume la lampe. Les paupières de Bart se crispent sous un torrent de cauchemars. Elle lui prend la tête avec délicatesse et presse son visage contre son sein. Les cheveux secs, il a l’air d’un gamin. L’âge d’être son fils. Et dire qu’elle n’est jamais venue ainsi, aussi fort. Elle s’est laissé allée sous ses doigts de velours jusqu’à ce qu’un gant de fer lui mette la chair à vif tout en la plongeant dans une source d’eau chaude bouillonnante. Prise au dépourvu, elle est montée au septième ciel dans un éclair. Ça lui a semblé durer des heures jusqu’à ce qu’elle se retrouve blotti contre Bart qui lui souriait, disloquée, en charpies, dans de beaux draps, flous et moelleux. Contre toute attente et jusqu’au cou. Dans la main d’un éphèbe qui préfère le vestiaire des hommes aux douches des filles. Demain, elle se lèverait sans le réveiller, elle partirait en lui laissant ses vêtements repassés sur une chaise et un petit déjeuner dans la cuisine. Peut-être même un mot. Pour l’instant, éteindre la lumière et dormir contre lui. Profiter de la nuit. Sans même espérer qu’il pourrait y en avoir d’autres. Christophe Martin |
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