|
|
La Nuit Du Sectivore |
Marseille - an 2007 Je me doutais bien qu’ils feraient tout leur possible – et même davantage – pour quitter Marseille… qu’ils se sentaient mal à l’aise entre les murs de cette cité trop lumineuse pour leurs yeux fatigués. Une sorte de claustrophobie, la crainte de s’attacher à un lieu où la transpiration dessine sur la peau des rigoles imitant les fleuves ou des chemins détournés sur une carte. Peut-être une certaine paranoïa les poussait-ils à s’imaginer enracinés dans une routine coupable, peut-être se sentaient-ils, pour une obscure (?) raison, incapables de faire volte face, et devaient-ils réfléchir longtemps avant de prendre une décision définitive. Mes jours au sein de cette ville brûlante étaient comptés : ce n’était pas une intuition, c’était une certitude. Évidemment, ils se sont bien gardés de me demander mon avis : ils ont toujours eu pour habitude de faire leurs coups en douce ! Ils ne sont guère imprévisibles, c’est là leur erreur, leur principal défaut… Je ne suis jamais dupe de leurs manigances, je devine l’élaboration de leurs plans comme si je lisais dans leur esprit conjoint (deux pensées en osmose). C’est un don du ciel, oui, sûrement pas un héritage congénital. Un pouvoir sur eux, le seul ; de près ou de loin, un lien télépathique me rattache à eux. Est-ce donc cela que l’on nomme assez arbitrairement les liens du sang ? Cet attachement génétique passe-t-il avant tout par les brumes du cerveau, avant d’aller se perdre dans le cœur, après être passé par des artères d’une fluidité à faire pâlir bison futé en personne ? Mais que peut-on exiger lorsqu’on sort à peine de l’œuf, hein ? Est-ce qu’un poussin règne sur un poulailler sans avoir fait ses preuves auparavant… sans quelques plumes fièrement dressées sur le croupion ? Le bec désespérément scellé, j’étais condamné à attendre des jours meilleurs, et l’obéissance se transformerait alors en mauvais souvenir. Hélas, ma première barbe n’apparaîtrait sans doute pas de sitôt ; un duvet étrangement doré atténuait la couleur de ma peau, sur mon menton, mes joues, mes jambes et mes avant-bras. Une sorte de contraste anatomique qu’un simple coup de rasoir effacerait. La patience, synonyme d’espoir, est la qualité première des gosses. La bonne excuse, implacable et fondamentale, s’est imposée sans que ces fourbes congénitaux aient eu le temps de manigancer un mauvais coup… de jouer une partition médiocre qui les aurait impliqués directement au sein de la cacophonie familiale. Je pense toutefois que leur conscience (ils en ont donc une, ouf !) en fut quelque peu soulagée. Le sort en était jeté, et les dés pipés d’avance. Je n’étais pas en âge de refuser de les suivre, pas encore. Mes parents – puisqu’il s’agit d’eux, n’est-ce pas ? – craignent le soleil autant que la lèpre ; la pâleur est leur foi, leur panache, leur fierté. Peut-être sont-ils noctambules, dormant le jour à l’abri des rayons malfaisants du Lustre de Feu – ils n’osent même pas prononcer son nom, ces givrés ! –, parcourant de nuit les rues surpeuplées de désœuvrés, d’insomniaques et de joyeux fêtards. A moins qu’ils ne soient naturellement albinos et n’aient jamais jugé bon de me l’avouer, comme si c’était la pire des tares. Ou bien (heureusement plus improbable) appartiennent-ils à cette secte très à la mode actuellement, et qui fait des ravages au sein des déconnectés de la vie, des paumés : La Geste des Sélénites. Des gens qui auraient surpris (le conditionnel s’impose, même si les preuves sont accablantes) ces marginaux lors d’une promenade romantique, avec l’image d’un ciel luisant d’astres étincelants symbolisant le « toit des amoureux » en fond d’écran, ont déclaré avoir eu l’impression de croiser des ectoplasmes, des ombres enfarinées. Oui, la plupart étaient des couples, dont cette vision spectrale avait interrompu les aveux prometteurs et les roucoulades précédant le premier baiser programmé, semble-t-il, un peu prématurément. Ce sera pour une autre fois, mais, à l’avenir, au contact de ces zombis de la nuit, le contexte aura hélas pris une teinte beaucoup plus nuancée, une saveur moins délectable. A vous dégoûter des balades à la belle étoile et des câlins à l’abri des regards importuns ! Certains, vêtus d’une toge immaculée, couraient dans tous les sens, paraît-il, zigzaguant entre les arbres et les véhicules garés ; d’autres proféraient des anathèmes à la face des passants affolés. On entendait surtout un individu grand, sec, dégingandé, particulièrement virulent, qui figurait toujours en bonne place sur les procès verbaux de la police. Son visage blafard rappelait le masque d’une momie ou d’un fantôme. Il prêchait de sa voix de stentor, haut perchée, trop forte pour être celle d’un prophète ; il lui manquait la calme assurance de l’homme sage, serein, persuasif. Tout le contraire d’une voix molle. C’était certainement lui le meneur, le grand gourou… tel qu’aurait pu l’être Moïse s’il avait choisi le côté obscur de la force. Las, les flics écoutaient les plaignants ou les témoins d’une oreille distraite, en arborant une grimace dubitative, toujours la même. Il est de notoriété publique que les tapages nocturnes n’intéressent pas vraiment les défenseurs de la loi et des contribuables (veuves et orphelins confondus), n’est-ce pas ? « Vous voulez décrocher la lune ? Peine perdue, vous vous fatiguez pour rien, nul ne peut l’atteindre. Quant au Dieu des Flambeaux, il tombera bien tout seul ! Et vous serez dessous… plusieurs milliards d’entre vous. Ou bien sera-t-il aspiré par le néant. Les ténèbres mangeront l’Œil de Braise, l’éclipse éternelle le guette ; ses paupières se fermeront à jamais, comme si on les avait cousues. Le Cyclope au Regard de Napalm sera éborgné, aveuglé de façon à permettre la prolifération des membres de notre clan. De notre race. Et nous serons là, tous les Fils des Sélénites, pour chanter les louanges de la Dame de Glace – ô Lune Divine… ô notre Déesse de l’Ombre… ô Sirène Céleste… ô notre Reine Grise mais si Lumineuse… ô Universelle Mère ! – et ainsi bannir votre arrogance, votre audace. Notre lignée appartient déjà à votre descendance : nous sommes les Elus. La Sphère d’Incandescence s’affaiblira, s’éteindra ; son trône chancelle déjà, instable, déséquilibré. Il est grand temps que la Fille de la Nuit – ô Lune Divine… ô notre Déesse de l’Ombre… ô Sirène Céleste… ô notre Reine Grise mais si Lumineuse… ô Universelle Mère ! – règne enfin, et jusqu’à la fin des temps ! Gloria ! Gloria ! ». Il s’exprimait par énigmes, mais on sentait bien qu’un mot, un seul, était banni de son vocabulaire. Sans doute lui brûlait-il la langue et les lèvres, transformant ses dents en autant de bûchers éparpillés sur ses gencives, plaines rosâtres où les incendies s’allument à chaque syllabe proférée. Sa voix tonnait, martelait la quiétude, percutait les façades des immeubles à la manière de boules de pétanque lancées par un géant lapidant la ville, pour la déguiser en champ d’éboulis, en ruines. Obscur plaisir, ma foi… Il proclamait cela froidement, et votre échine se glaçait comme si l’hiver était déjà là, omniprésent, décalé. Les paroles qu’il déclamait étaient bien trop puériles pour sortir de la bouche d’un prophète authentique. Il n’avait rien d’un prédicateur ce type, non rien ! Les plus jeunes de cette étrange horde de fanatiques se jetaient des bouts de craie blanche à la figure, gardant les colorées pour l’ébauche picturale urbaine, et souriaient niaisement tels des hallucinés ou des drogués. Sans le moindre effort intellectuel, on pouvait aisément les imaginer avec des cartouchières en bandoulière et des « craies hurlantes » remplaçant les balles au profil de requin. De stupides révolutionnaires de pacotille, de foire… Une meute de mômes grand-guignolesques ! Auparavant, ils avaient taggué les murs et les voitures, brisant net leur moyen d’expression ; des moignons de craie jonchaient le sol, comme des petits cailloux ou des morceaux de sucre (des douilles ?). Ces étranges sauvageons poussaient parfois les cantonniers à collectionner les heures supplémentaires, et il n’était pas rare de les voir encore bosser à l’heure de l’apéro. Des patrons de bar plus sympas que d’autres leur amenaient leur « carburant » sur place, et les verres de Pastis se sirotaient sur le bord d’un trottoir ou carrément dans le caniveau, le balai à la main ou posé contre une poubelle. Lorsqu’ils jugeaient le véhicule à traiter trop « incolore », ces sales mioches se contentaient de rayer la surface de la carrosserie ; cela produisait un son crissant tel celui produit par une griffe lacérant un bonhomme de verre. On se plaquait les mains sur les oreilles ; la nuit silencieuse devenait alors un véritable carcan pour les tympans, et pour les animaux, qui désertaient les lieux sans tarder. Les somnolents nocturnes iraient s’assoupir ailleurs, les prédateurs partiraient chasser sur un territoire moins bruyant, moins hostile (?), car les proies tant convoitées ont viscéralement peur du bruit, n’est-ce pas ? Non parce qu’elles craignent de ne pouvoir s’endormir roulées en boule, mais parce qu’inconsciemment les victimes se regroupent toujours sous la bannière de la peur et de la soumission, exactement à l’endroit où les prédateurs les attendent, attitude masochiste caractérisant les contrastes et les paradoxes de la nature. Comme les clients zélés d’une banque, qui s’exposent délibérément aux spécialistes des hold-up d’envergure, alors que les larcins sont prévisibles. Il vaut mieux rester chez soi et téléphoner ; au moins on ne dévalisera pas votre sang froid pour confectionner des surgelés. La fidélité ne paie pas toujours, non. Autrefois, il régnait en ces lieux un silence à couper au couteau. Paradoxalement tranchant. On déambulait dans les rues ou sur le littoral sans mot dire, en écoutant le chant muet des étoiles ou le tendre clapotis de la mer. Ce qui était surprenant également, c’est que le jeu de ces vandales juvéniles ne déclenchait jamais des fous rires inhérents à leur tranche d’âge. Et ce petit cinéma enfantin – enfantin mais dangereux – se déroulait sur l’écran en relief d’une immense salle à ciel ouvert ; on aurait dit un drive-in d’un autre monde, où les acteurs se trouvent sur le pavé et non en point de mire des spectateurs. A la faveur d’un lampadaire, on n’entrevoyait qu’un rictus bête se dessinant sur la figure blême de ces gnomes intemporels. Ce n’étaient même pas des traits qui se dérident sur une face enjouée sous l’effet d’une bonne partie de rigolade, c’était l’affreuse grimace d’une immonde gargouille issue d’un conte maléfique. Il n’y avait pas d’hilarité dans leurs cris et leurs moqueries sarcastiques, et c’est ce qui effrayait le plus les noctambules croisés au gré de leurs pérégrinations soi-disant artistiques. C’était presque une jouissance sournoise, une réaction inhumaine, froide, cynique. Des vieillards de dix ans, oui. Au sein de l’hystérie collective, les adultes semblaient ne pas éprouver le besoin de badigeonner les murs avec de la peinture… à moins qu’ils n’aient pas les finances nécessaires pour s’offrir ce « moyen d’expression » plutôt coloré, et surtout plus encombrant que celui réservé aux minots démoniaques. En d’autres occasions, tout cela aurait pu paraître hautement pittoresque. Un carnaval nocturne regroupant des ombres lunaires. Sur les façades, élaborée à la va-vite par des petits doigts nerveux et malhabiles qui manient la craie comme un bourreau agite une dague sous la carotide d’un traître ou d’un ennemi, c’était toujours la même ébauche : une grande fresque représentant un ciel multicolore, avec un soleil d’un jaune criard, intense, chutant tel un météorite sur un plancher des vaches d’un vert profond. Et ça défilait devant les murs, les voitures, les arbres, les camions, en rangs serrés, comme des collégiens devant un tableau noir, cherchant à flatter leur prof de dessin, chassant la bonne note, la moyenne idéale… sauf que là, l’esquisse était toujours la même, et le support de l’œuvre de texture et de couleurs changeantes. Sur de la toile émeri, allez gribouiller avec une plume trempée dans de l’encre gris anthracite la mer un jour d’orage ou le ciel de minuit, le résultat ne sera que suggestif, et le bruit rappellera celui de la craie dérapant sur une surface dure – le plaisir et la satisfaction du devoir (?) accompli. Ils s’acharnaient en aveugles devant leur chevalet factice, peintres de l’imaginaire, de l’absurde et de la folie faussement créatrice. Ils portaient tous un masque de porcelaine surmonté de deux croissants de lune ; on aurait dit quatre minuscules cornes dardées vers la voûte céleste. Beaucoup avaient les cheveux saupoudrés de paillettes brillantes, phosphorescentes. Quelques-uns – sûrement les mieux placés dans la hiérarchie – arboraient une cape qui battait dans leur dos à la manière d’un pavillon par grand vent : Mandrake et Batman tout droit sortis de comics surannés. Au premier abord, et même s’ils s’en défendent, mes parents (aïe !) donnent plutôt l’impression d’être victimes d’une allergie inconnue, sans doute psychosomatique. Une attaque épidermique, oui. Une infime rougeur quelque part, et c’est du pain béni pour les dermatologues. L’épidémie dermique est en route, pas moyen d’en détourner le cheminement inexorable. Ils s’enduisent de la tête aux pieds d’ambre solaire, de crèmes soi-disant magiques, abusent d’onguents. Des couches et des couches. Ils considèrent ces pommades apaisantes – ils appellent ça des « parasols cutanés » – comme s’il s’agissait de créations divines. Evidemment, puisqu’elles luttent contre le feu ! Quand il les voit arriver, le pharmacien affiche au coin des lèvres un sourire narquois qui en dit long sur son état d’esprit. Il a déjà une main ouvrant le tiroir-caisse. Je les surprends souvent en train de se talquer avant de s’habiller : surtout maman, qui poudre sans cesse son corps aux formes encore harmonieuses. Parfois, ils font trempette des heures durant dans notre baignoire remplie de lait jusqu’à déborder ; immergés jusqu’au front, on les croirait postés en embuscade, prédateurs de surface, prêts à surprendre des proies « échouées » là dans le but de s’abreuver, et leurs cheveux affleurent tels des nénuphars sur un étang maudit. A d’autres moments, ils mijotent dans de l’eau de Javel, évitant soigneusement d’impliquer les parties sensibles ou honteuses de leur anatomie, et je crains de les voir se métamorphoser en ectoplasmes, en ombres enfarinées. Je me demande s’ils ne sont pas un peu racistes. C’est inquiétant, je sais, mais je m’en accommode. En plus de leur phobie pour le Lustre de Feu et ses rayons malfaisants, le bruit et la pollution les dérangent, les souillent, et Marseille n’est pas vraiment l’endroit rêvé pour que de tels « malades » puissent s’épanouir ! Comme un sauna d’où l’on sort cramoisi, fripé, transformé en momie… et fermement décidé à ne plus y retourner se dessécher. On se sera fait rôtir jusqu’à l’os, et la mue revêtira un aspect de pelade généralisée, avant que l’érosion ne fouisse dans votre chair afin de mettre votre squelette à la torture, menaçant votre charpente. ? Quelque part en Bretagne – 2009 Changement d’atmosphère, de météo… Après le décès de mon grand-oncle, Julius Katana, les responsables de ma présence sur cette terre ont hérité de sa vieille ferme en Bretagne, du côté de Plovan, à deux pas du littoral. Ils avaient le plus grand mal à prononcer le mot interdit (interdit par quoi, par qui…), je les imitais en refusant d’émettre le moindre intitulé les nommant, et dire ou écrire mes parents m’écorchait le palais, la langue et les lèvres, comme si je vomissais du verre pilé, réveillait d’étranges douleurs dans mon poignet, stylo en main. Le terme escaladait mon larynx puis, juste avant d’être expulsé à l’air libre, faisait demi-tour telle une bête aveuglée par un trop long séjour loin de la surface et fuyant la lumière. Il allumait un incendie dans ma bouche, m’étouffant, dégringolait dans ma gorge tel un gros caillou dévalant un toboggan ; il mettait mes phalanges à la torture, mes doigts fumaient, tétanisés par un feu interne. Soleil (Lustre de Feu) : tabou volcanique ! Parents (Victimes du Lustre de Feu) : syllabes pyromanes ! Je ne leur avais jamais démontré une quelconque affection, et ça ne semblait pas vraiment les déranger, ni même les perturber. C’était le moment ou jamais de penser qu’une cigogne s’était égarée dans un ciel d’orage avant de me lâcher dans ce foyer (?)… Ce dont je ne me privais guère ; j’aimais m’imaginer dans la peau d’un lest tombé des nuages, pour leur permettre de rejoindre le cosmos plus rapidement, plus légèrement. Grand-tonton Katana connut, paraît-il, une mort atroce, suspecte, auréolée d’un mystère sanglant qui défraya la chronique locale et alimenta les ragots. Il fut question de suicide, car on l’avait retrouvé assis juste devant la télé, à moins de deux mètres, les bras ballants, les jambes allongées devant lui, la tête penchée sur son épaule gauche, un sabre japonais réservé aux Samouraïs planté dans l’abdomen, selon le rituel du hara-kiri. La police avait émis des doutes à cause de la télévision éteinte. Pourquoi Julius Katana aurait-il pris la peine de se planter devant cet écran sans vie, pour se donner ensuite la mort ? Et d’une manière si… pittoresque. Il n’y avait aucune empreinte étrangère sur le manche de l’arme fatale, ni nulle part ailleurs ; aucune trace de lutte, rien de probant. Le flou total ! Et puis, il faut bien reconnaître qu’il est plutôt malaisé de se triturer les entrailles le cul posé sur une chaise. Les flics avaient même vérifié, par acquis de conscience professionnelle, quelle chaîne avait été captée la dernière fois que la télé fut allumée. Une cassette était engagée dans le magnétoscope : elle était vierge. Est-ce bien normal d’engager une cassette vierge dans le magnéto, sans rien programmer, juste avant de se suicider ? L’inspecteur Flamand, qui avait mené l’enquête, afficha une bonhomie baroque en déclarant : « Je m’attendais plutôt à découvrir une vidéo du style Les 7 Samouraïs ou Soleil Rouge… Ah ! Ah ! Ah ! ». Son rire percutant ébranla les murs. Il était bien le seul à profiter de la situation pour imposer son humour basique habituel… et ses connaissances cinématographiques. On classa très vite l’affaire faute de preuves, sans même contacter la famille du défunt – tout au moins l’enfant, Richard Maraval, n’avait pas été immédiatement prévenu par ses parents. C’est le notaire qui se chargea d’annoncer officiellement la mauvaise nouvelle, pour des raisons de succession. Grand-tonton avait jadis travaillé sur des plates-formes pétrolières au Japon, et il avait ramené du pays du Soleil-Levant, non seulement cette arme redoutable, mais également l’idée d’un pseudonyme se rattachant à elle, ainsi que d’étranges pratiques ancestrales inhérentes à cette culture. Son véritable nom était Julius Maraval ; oui, Maraval, comme nous. Donc, sans avoir levé le petit doigt, nous sommes devenus les nouveaux propriétaires de cet asile héréditaire transformé en abattoir, et, contrairement aux autres, cette tragédie ne me laissa pas de glace. Ils étaient tellement heureux d’être là qu’ils faisaient abstraction du motif de notre venue et du contexte. De toute façon, Julius n’était pas un fan du lèche-bottes familial et il n’était descendu qu’à une unique reprise à Marseille, daignant nous rencontrer à cette occasion. Le but de sa visite ne m’avait jamais interpellé, et j’acceptai l’événement sans sourciller, en gosse sage et discret. Soumis. Tout le contraire de ce que je suis réellement ! Depuis que je suis en âge de comprendre la portée de la consanguinité, c’est la seule fois où je l’ai vu en chair et en os… et en vie. Je l’avais trouvé secret, froid, distant, d’une allure assez noble, et cela ne confirmait pas ses états de service. Il devait être quelqu’un d’important, un grand chef dans sa partie. Un ingénieur des forages pétroliers, je crois… Désormais, cette baraque nous tendait ses bras tentaculaires, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’enfant se présentait mal. Sans parler de ces horribles corbeaux, leurs plumes noires agitées par un vent de curiosité malsaine, qui nous survolaient en dessinant dans l’espace des arabesques d’avions chasseurs en quête de cibles au sol. De véritables cocottes en papier volantes comme trempées dans de l’encre de Chine ou du goudron, avec un bec s’apparentant à une mine de crayon. Ils (elles ?) émettaient des cris rauques très menaçants ; certains, perchés sur des barrières ou des fils de fer barbelés, claquaient du bec, effrayant les mouettes. Et pas que les mouettes… Jadis, à l’endroit même où aujourd’hui se dresse Pretty Home, bien avant la guerre de 14-18, des marins anglais avaient fait bâtir par des mercenaires un bordel qui les occuperait agréablement après leurs longs périples de par le monde, sur des mers inhospitalières. Les Bretons du cru avaient mis la main à la pâte et avaient été grassement payés en nature : les plus jolies filles de La Clauzinette furent, pour ces « héros de la truelle », gratuites pendant un certain temps. C’est à l’issue de la seconde guerre mondiale que cette maison close campagnarde fut rasée, et que les fondations furent récupérées pour construire une ferme. Certains auraient aimé y voir pousser une taverne où on aurait servi le cidre et la bière à foison, mais pour des raisons stratégiques le maire de Plovan s’y opposa… On le réélit pour le remercier d’avoir mis son veto ! Quelques années plus tard, des pêcheurs y avaient élu domicile, en famille, avant que Julius ne les déloge, moyennant finances, de leur havre de paix empoissonné pour, dans un premier temps, le restaurer, ensuite le maquiller en petit ermitage, en nid douillet. En lieu de retraite. Il l’avait incroyablement bien retapé et donc rebaptisé Pretty Home ; maintenant ça sentait bon le bois propre et ciré, et les relents de hareng ou de morue s’étaient évaporés dans les limbes d’un passé olfactif. Mon père et ma mère (gros effort !) n’ont pas hésité une seule seconde : ils se sont précipités sous ce toit paradoxalement plus clément, oubliant le suicide de Grand-tonton, ses conséquences, l’ombre néfaste qu’il laisserait planer entre les murs. Ils m’entraînaient dans leur sillage sans me demander mon avis, en égoïstes, sans doute programmés pour demeurer sourds aux protestations que je me suis bien gardé de leur imposer. Ils auraient été trop contents, et je me refusais à leur apporter cette satisfaction béate. Les coups d’épée dans l’eau ne sont pas mon fort, ni ma faiblesse ; je préfère trancher dans le vif du sujet ! C’était une cynique aubaine, le geste d’une macabre providence, un destin subitement favorable alors que leur patience s’étiolait, leur espoir empruntant des allures de renoncement : grâce à un deuil ils quittaient un territoire de canicule, pour rejoindre dans la foulée un pays de grisaille. La nuit en plein jour, un domaine sans… lustre. Julius Katana était le plus solitaire de tous les vieux loups de mer du coin, à tel point que le monde extérieur ne représentait plus pour lui qu’un immense bouillon de culture. Ce n’était pas un marin, non, pas l’un de ces marins qui a besoin, de retour sur le plancher des vaches après avoir fréquenté ces fameuses mers inhospitalières et abusé de leur roulis anarchique et sauvage, de visiter un endroit que la moralité réprouve, pour y soulager de trop longues semaines de solitude intime. Même ses proches étaient considérés comme des parasites, des choses vaguement inutiles qui s’octroient le droit d’empiéter sur votre territoire, sur votre vie privée, de s‘immiscer dans votre cœur afin de mieux le manipuler. Oui, d’authentiques microbes sur pattes piétinant nerveusement les plates-bandes les plus personnelles, les plus précieuses de votre jardin secret. La curiosité dévorait le monde et cet appétit l’agaçait, lui donnait envie, par réciprocité, de mordre à pleines dents dans cette mauvaise habitude, ce tic insolent. Certains vous bouffent votre oxygène tandis que vous fumez, tranquillement allongé dans un hamac, et vous songez tout de suite que le tabac est plus inoffensif que leurs palabres, leurs conseils. D’autres, uniquement pour donner des leçons qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes car ils en sont bien incapables, se permettent de vous interdire de mettre votre pipe à la bouche, sous prétexte que ça ronge les poumons ou provoque des gerçures aux lèvres. Et le sel, vous croyez que c’est un cadeau pour les bronches et la peau, hein ? Cet homme semblait aigri ; il avait dû mourir puceau, à n’en pas douter ! En tout cas, c’était le bruit qui courait dans la région à son sujet – aigri, pas puceau. Mais il se moquait royalement de l’opinion des autres, vomissait les a priori et les ragots ; il prenait un malin plaisir, au contraire, à les alimenter. Plus qu’un paradoxe, afficher une sale image de soi-même est un vice, un luxe d’ermite. Il se murmurait qu’il taquinait, durant ses périodes de repos, la plume et le papier. Alors que dehors, la plate-forme pétrolière sur laquelle il bossait, grand sourcier de l’or noir, reposait comme une île de ferraille sur une mer de nuit, dont la couleur, dans la journée, imitait l’acier. Je n’appris que beaucoup plus tard que sa venue à Marseille fut conditionnée par une rencontre avec un éditeur local qui désirait publier ses aventures de « marin fixe ». Les Editions Jets d’Encre étaient spécialisées dans les récits de haute mer, et Grand-tonton, même s’il était plus un épouvantail qu’un oiseau de malheur, avait vécu dans son immobilité professionnelle toute relative des scènes hautement intéressantes sur un plan strictement littéraire. Dans ces eaux lointaines, il était monnaie courante d’être attaqué par des pirates nippons, et parfois même, des ouvriers tombés à la baille étaient secourus par des dauphins, tandis que d’autres se métamorphosaient en goûter pour les requins attirés par le sang et tenaillés par la famine des grand fonds. Alors, des combats dignes de la Rome antique, entre squales et delphinidés, les gladiateurs des fosses marines, s’engageaient pour la survie de certains humains, et le spectacle valait son pesant d’or… A d’autres moments, ce sont des familles entières de malheureux îliens qui se déplaçaient jusque-là, juchées sur des barques mitées, sans la moindre rame, avec pour seul moyen de propulsion leurs deux mains usées jusqu’à l’os, pour vendre le corps de leurs enfants, filles ou garçons, et ils étaient bien vite refoulés. Un jour pourtant, le père d’une geisha d’opérette, à qui on venait de faire comprendre qu’il était aussi indésirable que sa gamine, l’agressa, tentant de lui planter un katana dans la carotide. L’homme récalcitrant fut maîtrisé à grand peine, puis rejeté à la mer, mais Julius avait conservé le sabre, qu’il trouva fort à son goût. La présence de cette arme inestimable dans les mains d’un pauvre hère offrit une image totalement surréaliste de la scène. Toutefois, ces ersatz de filles de joie que l’on propose à leur corps défendant à des étrangers qui se retrouvent loin de leur culture, de leur femme, de leurs repères, et ressentent sans doute un manque légitime de chair fraîche, de câlins, sont plus les victimes d’un système basé sur la facilité que des êtres réellement méprisables. Ainsi on obtenait dix minutes de plaisir pour le prix d’un bol de riz. Plus tard, sans doute, à la mort de leurs parents, deviendraient-elles de bonnes épouses, des mères de famille… De plus, le règlement interdisait que des gens non habilités, et dont la signature ne figure pas au bas d’un contrat spécifique, puissent mettre un pied sur la plate-forme… et encore moins lorsqu’il s‘agissait de commerçants du sexe. Parfois, on prenait une douche torrentielle d’eau de source, alors qu’on attendait avec impatience une bonne giclée d’or noir, et il n’était pas rare de voir partir dans les airs des grenouilles, des rats ou des couleuvres, qui retombaient aussitôt sur les ponts du derrick, où ils rebondissaient tels des jouets en caoutchouc que l’on achète d’habitude à l’occasion d’une fête, d’un carnaval, ou d’une bonne blague à apprécier avec ses propres gosses. Les tempêtes, également, étaient si terribles, si virulentes, qu’on éprouvait très vite le besoin de fixer ce combat contre les éléments déchaînés dans un carnet de bord, la plume à la main, en exagérant à peine sur les détails de l’affrontement, qui arboraient un côté décoiffant digne d’un cataclysme de fin du monde. La mine du stylo grinçait sur la feuille encore humide de l’eau du ciel accrochée par grappes de gouttes aux vêtements de l’auteur… Les doux dingues de la bande espéraient l’arrivée tonitruante de Godzilla, l’attaque d’un calmar géant, un combat de pieuvres, une course d’hippocampes – on ferait des paris –, le ravitaillement en repas princiers et divins nectars par un sous-marin bourré comme une huître, voir un baleinier coulé par un cachalot vindicatif (le pied !), recevoir l’aimable visite de Neptune (ou Poséidon) en personne… en vain ! Sans parler du chant exotique des sirènes nippones, qui vous déshabillaient puis vous violaient par le seul charme de leurs intonations (la Callas et ses clones), divas lascives poussant la note jusqu’à l’extase. Dès lors votre peau se hérissait de poils dressés tels des clous qui, par la suite, se planteraient, malgré la solide consistance, dans la poutre métallique où l’on vous avait au préalable attaché. Et l’invasion des bigorneaux était, paraît-il, imminente, presque souhaitée. Ils escaladeraient la charpente de fer rouillée grâce à leurs pseudopodes mutants, laissant derrière eux des traces corrosives qui mettraient à mal le squelette oxydable du derrick. Et pourquoi pas un parachutage de sumos, afin de tester la fiabilité de la membrure métallique… Toutefois, on craignait par-dessus tout qu’un kamikaze surgi de nulle part ne fonde sur nous, à l’issue d’une chute en piqué savamment programmée, après que nous eussions croisé, juste avant l’impact, le regard halluciné du pilote, où se reflétaient la drogue du fanatisme et la haine du soldat de la mort… La peur ne figurait pas sur la liste des émotions captées en une fraction de seconde sur la face bestiale et grimaçante du Jap ! Mais non, rien de tout cela ne venait distraire les doux rêveurs de la tristesse routinière que ce sale boulot décalquait dans leur esprit. Chacun se sentait très seul, et les autres n’étaient que des ombres actives, des présences incertaines… On aurait dit une île déserte où, à la suite d’un naufrage, les rescapés auraient été condamnés par un sortilège à devenir invisibles et muets. Un pantin nommé destin avait mal choisi le lieu du sinistre, et on les avait punis comme si c’étaient eux qui manipulaient les ficelles de cette marionnette désarticulée. Ces hommes du large vivaient sur une mine flottante, travaillaient six mois par an comme des forçats du pétrole, et devaient s’en accommoder par tous les moyens que l’imagination mettait à leur disposition. La plupart des déçus poussaient même le zèle jusqu’à mimer leur désappointement à la manière du théâtre nô… A la veillée, dans les cabines, à la faveur d’un lumignon discret, on tenait des journaux intimes où ceux qui ne possédaient aucun talent de conteur gribouillaient des mots indistincts, des phrases sans suite... Cela créait dans les coursives une atmosphère de complot, de mutinerie. Oui, plus tard, ces moignons de littérature jetés à la hâte sur le papier réveilleraient en eux des souvenirs agréables ou à refouler très vite au fin fond de leur conscience. Mais ça n’avait aucune importance, ça suffisait à leur bonheur, c’était leur minimum vital. Pour l’instant, ils existaient par la plume, et le bruit de la pointe Bic courant sur le papier quadrillé leur rappelait le bon vieux temps de l’école, lorsqu’ils notaient fébrilement les cours de l’institutrice, en jetant un œil discret sur sa jupe, pour vérifier si elle n’était pas un peu remontée sur ses cuisses, histoire d’entr’apercevoir l’étoffe blanche tant convoitée. Ses jambes, parfois, étaient si joliment croisées que les doigts tremblaient, provocant des crissements suspects de la plume sur le bureau, car évidemment, à force de regarder ailleurs, on oubliait d’aller à la ligne… Sur la plate-forme, chacun s’exprimait avec son niveau d’instruction, son pouvoir de création, son désir de survivre. Pendant que Julius Maraval – car à l’époque il n’était pas encore Julius Katana – enregistrait mentalement ce qui allait devenir LE DERRICK DU DIABLE ou Les Mémoires d’un Ingénieur des Forages Pétroliers, les autres se forgeaient par l’écrit un blindage mental. Une sorte d’exutoire, oui. Ici plus qu’ailleurs, la solitude est la mère des fantasmes ! Mais l’isolement aide un homme à dessiner sa vie… Des marins et des pêcheurs, mais aussi des touristes, des fans de romans exotiques, prenaient grand plaisir à lire ces péripéties maritimes rencontrées tout là-bas, chez les « Jaunes », dans cet autre monde qui attire les aventuriers et donne aux pleutres l’envie d’améliorer leur record en aviron. Ceux qui ne sortaient en mer que pour pêcher la daurade, la friture, ou la soupe de poissons de roche, et les pilotes des navettes desservant les îles du Château d’If ou du Frioul à partir du Vieux-Port, s’affalaient sur leur lit, leur turbin rangé au rayon des souvenirs quotidiens, et entamaient LE DERRICK DU DIABLE, par Julius Katana. Alors ils rêvaient d’horizons prédateurs et de poursuites effrénées sur des vagues démontées, où la nature se tenait en embuscade, prête à bondir sur tout ce qui bouge, engloutissant des songes mouillés et crachant des fantasmes sous-marins. Le pseudonyme lui avait été imposé par la maison d’édition ; il s’y était habitué et l’avait tout naturellement fait sien. La lecture était le genre de curiosité que Grand-tonton ne jugeait pas déplacée. L’envie de découvrir au pays du Soleil Levant, sur la mer du Japon, l’intimité aventureuse d’un héros de surface, comme d’un plongeur téméraire recherchant un trésor sans égal coincé dans les cales d’un vieux galion espagnol, ne revêtait rien de dérangeant : cela symbolisait un désir légitime d’évasion par la pensée. Les lecteurs feraient abstraction de l’individu, pour ne s’intéresser qu’à la géographie des lieux et aux péripéties s’y déroulant. Qui irait demander à un personnage de roman en train de combattre un dragon s’il habite dans le donjon impénétrable d’un château ou dans un moulin à vent… La belle image, ma foi ! Nous avons emménagé en plein été, au mois d’août. Même en Bretagne, en cette période de l’année, les averses sont utopiques ; néanmoins, des nuages voyagent parfois au-dessus des têtes à l’heure où, ailleurs, le soleil (Le Lustre de Feu, faut-il le rappeler) crache son napalm sur les peaux offertes en sacrifice sur les plages de l’autodafé. Donc, nous n’avions pas changé de roche à la bonne saison, et devions nous acclimater à tout prix – enfin, pas moi… eux ! Il ne pleuvait pas, la belle affaire ! Nous avions quitté Marseille en catastrophe, car une vague de canicule était annoncée, et le nord-ouest de la France allait certainement, d’après la météo, être épargné par ce fléau pyromane. Nous n’avions plus aucune raison de rester dans le midi, et attendre l’automne eût été une manière de reculer pour mieux sauter. De plus, grands dieux, il fallait préparer la rentrée des classes… du collège plus précisément. Ce jour-là, le soleil, la plus fidèle au poste des sentinelles, était relativement faible mais bien présent, allumant des petits foyers d’incendie sur la peau et vous faisant baisser le regard si vous osiez le braver d’un coup d’œil furtif après avoir ôté vos lunettes. Vous étiez alors forcé de marcher en admirant le sol, aveuglé, au risque de percuter quelqu’un, un poteau, une poubelle, une chaise si vous passiez devant un bar, ou de rater le spectacle alléchant d’une jolie poupée se déhanchant d’une façon provocante au moment de vous croiser, court vêtue. Il y avait plus de roulis sur les trottoirs qu’au sommet des vagues. La mer frisait le calme plat… une mer d‘huile, comme on dit à Marseille, du côté de la Canebière. La lumière était voilée mais suffisante pour apporter des frissons d’angoisse aux allergiques de l’épiderme. Pretty Home était situé à deux pas d’une plage et les cris des vacanciers nous parvenaient après avoir survolé les dunes tel un grand oiseau de feu s’ébrouant en cadence, les plumes en éventail. La maison n’était pas effrayante, mais on sentait bien que c’était un lieu propice aux énigmes non résolues, aux mystères non élucidés. Sherlock Holmes n’était jamais passé par ici, ça se devinait. Trop d’incertitudes donnaient aux murs le profil d‘un écran de cinéma où s’était joué un mauvais film. Des tableaux représentant des barques échouées et des naufrages étaient accrochés aux murs ; la tapisserie était tachée par endroits, et on pouvait aisément imaginer que les œuvres picturales (des croûtes ?) avaient laissé s’écouler de l’eau par les fuites de la patine temporelle. Les chambres et la salle de bains se trouvaient à l’étage, et au fond du couloir, un simple escabeau de bois vermoulu, posé là à la manière d’un totem d’un autre âge, comme s’il devait demeurer indéracinable, s’élevait mollement jusqu’à un réduit blotti sous la partie basse du toit de chaume – l’entrée se trouvait à un mètre-cinquante au-dessus du sol du palier. Partant de là, une échelle de fer, dont tous les barreaux étaient mangés par la rouille, montait jusqu’à un cagibi qui s’ouvrait enfin, après que l’on eût grimpé une poignée de marches coulées dans du béton à prise rapide avec des galets et des coquillages, sur le grenier, au sommet de l’ancienne ferme retapée. Tout ceci annonçait une sacrée escalade ; pas tout à fait périlleuse, mais assez risquée pour de vieilles jambes ! L’idée de passer de l’étage au grenier évoquait une sorte de parcours du combattant, une fuite vers le haut dans un labyrinthe vertical, un puits truffé de pièges forcément mesquins. On s’attendait à être happé au passage par des mains baladeuses sorties du mur, comme dans le film de Jean Cocteau, La Belle et la Bête (un film magique). Par contre, dans l’autre sens, la cave, facile d’accès, était réduite au strict minimum, et des bouteilles de vin y côtoyaient une vieille bicyclette datant de la seconde guerre mondiale et un gouvernail bouffé par les termites. Sur un pan de mur étaient tout de même accrochés la photo d’un matelot sortant d’un bordel et le portrait dessiné au fusain d’une figure de proue ressemblant étrangement à la Callas. En respirant bien fort, des relents de mer s’imposaient encore dans la pièce humide. Sans doute l’entrée d’un tunnel était-elle dissimulée au fond d’une malle ou derrière une armoire. Un boyau de terre creusé jusqu’à la plage la plus proche (peut-être celle où les aoûtiens s’époumonent)… et mon Grand-tonton, tout honteux de s’être exhibé en slip de bain à l’aller, devait réintégrer ses pénates en empruntant cet itinéraire masqué de taupe vagabonde. Toutes les étagères de la cuisine étaient bourrées de victuailles, et notamment de boîtes de sardines plus posées là, à la va-vite, que véritablement rangées, comme un jeu de cubes en équilibre instable, après qu’un enfant l’ait extirpé de son paquet-cadeau et étalé devant lui pour mieux l’admirer. On avait presque envie de s’emparer d’un projectile et de le jeter sur ces « cibles alimentaires » afin de les déquiller de leur piédestal. Ce vase ferait l’affaire, ou ce cendrier… et patatras ! Ouvrir un placard brusquement, c’était l’assurance de voir dégringoler sur soi un banc de sardines ou de maquereaux. L’objet qui me fascina le plus au premier abord fut la télévision, et je ne me privai point de vérifier s’il ne traînait pas dans la pièce une trace du suicide… une tâche de sang mal effacée. Non, rien, il n’y avait rien de suspect sur le parquet fraîchement et soigneusement ciré. Toutes les portes de la baraque étaient ouvertes ou « pénétrables », sauf celle du grenier ; et, comme par hasard, je jetai mon dévolu sur LUI ! Le sésame était introuvable et je crois bien qu’il fallait défoncer le battant pour investir cette caverne d’Ali Baba qui devait plus ressembler à un dépôt d’antiquaire bien européen qu’à un coffre recelant des trésors orientaux. Parfois, cette maison semblait un navire planté dans le sol, tel un iceberg, la proue enfoncée bille en tête. Comme si une vague gigantesque (une vague, ou Neptune en personne ?) l’avait soulevée dans ses bras liquides puis lancée sur le continent, au hasard, et qu’elle s’était fichée en terre, en bout de trajectoire, dans la campagne bretonne, à deux pas du littoral. On avait envie de vérifier si autour de Pretty Home nul indice tracé à la peinture rouge ne symbolisait le centre d’une cible. Si Julius était une taupe, moi, le p’tit Francis, Cissou pour les intimes, Francis Maraval pour l’Administration et le livret de famille (un ange passe), je devais être une fouine, un renard… Plus tard, on allait me surnommer à juste titre Maraval Fox. Les jours passèrent, ponctués çà et là de plages de temps mouillées. Se pointa alors la rentrée des classes… Au collège, je fis la connaissance d’un garçon plus ou moins pickpocket. Un petit blondinet avec de drôles de taches de rousseur. Marius Flamand : Flamand avec un « d », pas comme l’échassier rose de Camargue. Cet oiseau bizarroïde semble toujours attendre le bus, avec sa patte relevée et son bec qui fait de l’auto-stop. Un véritable petit chenapan de serrurier, ce Marius, qui était plus doué pour les manipulations interdites, les larcins à la sauvette, que pour la restitution des objets perdus. Plus cambrioleur que gentleman, l’Arsène Lupin en short ample et chaussettes montantes, grand pourfendeur des pucelles embourgeoisées et des boutonneux congénitaux ! Nous devînmes très vite amis, un lien étrange nous unissant... C’est lui qui, par la suite, me baptisa Maraval Fox ; ce pseudonyme me plaisait bien, oui. Maraval Fox et Marius Flamand, le tandem de détectives le plus branché, le plus déjanté de la terre : le renard et l’échassier (enfin, presque). A cet âge, il suffit d’être dégourdi pour passer pour un sauveur, un redresseur de tort ; les timides sont forcément des coupables, à la fois victimes et prédateurs. On admire toujours les grandes gueules et méprise les muets, on bade les voyous (surtout les filles) et fuit les « saints », les cadors de la note 20. C’était chouette… nos exploits amusaient les gamines, les faisaient glousser lorsqu’elles se réunissaient dans un coin du préau, à l’heure de la récré, et à la sortie des classes, alors qu’elles chuchotaient à l’oreille de leur mère : « Tu vois ces deux garçons, maman… ce sont nos deux nouveaux héros ! Ils pourchassent nos tourmenteurs, les harcèlent jusqu’à ce qu’ils se rendent, les mains en l’air, et nous restituent ce qu’ils nous ont volé ». Et ces braves mamans souriaient tendrement, non sans se dire que c’était tout de même un peu tôt pour être séduite par des chevaliers servants de cet acabit. Mais elles était passées par-là elles aussi, et ce n’était pas un temps si éloigné que ça ! Marius, c’était le cancre de la classe, toujours en bonne position pour quitter les lieux, toujours le dernier à répondre présent. Assis bien au chaud, surtout l’hiver, à l’abri du regard espiègle et scrutateur de ses camarades mais, telle une proie, bien calé dans la ligne de visée du maître (?) des lieux. Le chiffre zéro l’obsédait avec tant de force qu’il collectionnait les devoirs bâclés dans toutes les matières… Une fois, le prof de dessin lui avait donné 1 sur 20 : pour le papier, avait-il déclaré d’une manière ironique et convenue – c’était là une réflexion bien connue, une scie, un vrai tube d’enseignant –, et Marius lui avait rétorqué que la prochaine fois il dessinerait sur le bureau. La note avait immédiatement atteint le néant ; le zéro pointé s’était substitué au minimum scolaire. Marius était content et fier de son exploit… pictural. C’était une réaction de peintre en bâtiment ça, pas d’artiste en herbe ! Une autre fois, en cours de français, il avait conclu sa dissertation sur une phrase absolument anticonstitutionnelle, et le prof, dont la moumoute avait fait des loopings, l’avait pris à parti en public : « Mon père est flic, personne n’est parfait, et je lui ai pardonné parce que c’est mon père… Vous n’avez pas honte, monsieur Flamand ? ». Monsieur Flamand avait répondu un « non ! » retentissant. J’ai tout de suite pensé qu’il était sincère, et surtout, profondément réaliste ; son objectivité l’honorait et confirmait la sympathie que j’éprouvais à son endroit. Plus que de la sympathie, de l’estime. Comme j’aurais aimé avoir un frère pareil ! Tout le monde avait bien ri, sauf monsieur Chassagne, qui ponctua sa diatribe d’un zéro non moins retentissant, joliment ovale. Le thème du devoir était : A-t-on le droit de juger ses parents ? Et pourquoi… Quel sera la répercussion d’une telle attitude sur la moralité au sein de la cellule familiale ? Marius, c’était le fils de l’inspecteur Flamand, qui enquêta tout récemment sur le suicide de Grand-tonton. Marius, c’était un Marseillais, comme moi ; son père avait été nommé en Bretagne l’année précédente, après qu’il eût officiellement souhaité changer d’air, et il avait tout de suite demandé à être chargé de cette affaire, afin sans doute, le reconnut-il, de prouver sa valeur sur un terrain nouveau. A découvrir, puis conquérir. C’est tout de même lui qui avait, pour une obscure raison – sentimentale ou météorologique ? – que Marius ignorait, demandé sa mutation dans cette région humide et frileuse. Il n’avait pas été parachuté là par hasard. Que de fleurs lui avait-on fait ! « Dis donc, vieux, quel paradoxe tu es, toi ! Ton nom, il fait plutôt belge que marseillais, et pourtant tu viens d’une ville plus proche de la Camargue que de la Belgique… » ; « Et oui, mon pote, que veux-tu… je connais des nanas très féminines qui n’ont jamais envisagé d’être hétéro ! ». Cette boutade n’avait aucun rapport avec ma réflexion amusée, mais c’était toujours ainsi avec Marius : on parlait et riait de tout et de rien et on trouvait toujours des parallèles aux contextes les plus saugrenus, parfois même les plus opposés. Il raisonnait comme un homme adulte. C’est aussi ça la démocratie, la tolérance : dire n’importe quoi et se croire important, exister dans la superficialité, être fils de flic et agir en ladre. Marius, je l’imaginais avec soixante ans de plus, et je croyais reconnaître en lui l’image de Grand-tonton Julius Katana. Et moi, j’étais fils de quoi ?! D’ombres enfarinées ? Peut-être d’un couple de victimes de l’albinisme (ils étaient blonds et palots, mais ça ne prouve rien, hein ?)… Ou d’hypocondriaques… J’ai très vite compris que Julius Katana était la personne que j’eusse aimé devenir si je devais grandir un jour… Un jour… Un jour, alors que mes parents (allez, encore un petit effort !) s’étaient absentés, j’ai invité mon copain Marius à l’ancienne ferme : il a ouvert la porte du grenier en un tour de main, avec un trombone. Un vrai musicien ! Nous en plaisantâmes. Je lui ai offert quelques billes, une photo de femme nue, pour le remercier, et je ne lui en ai même pas voulu de les avoir acceptées. Puis il est parti… comme un voleur. Mon Dieu, qui allait refermer la porte ? Il fallait espérer que les autres n’avaient pas remarqué que le grenier était… hermétique. Je crois qu’ils ont plutôt visité la cave. Ensuite, je ne sais trop pourquoi, Marius ne m’a plus jamais reparlé, provocant un certain émoi chez nos plus ardentes fans, déstabilisant les profs. A la récréation, il s’esquivait telle une ombre coupable ; dès que je l’approchais, il devenait aussi fuyant qu’un courant d’air. Il s’était transformé en coup de vent, en fantôme… Je crois qu’il avait honte de m’avoir prouvé son amitié en acceptant de violer l’antre secret (mystique, oui) de Pretty Home. Il était un surdoué, un virtuose de la serrure forcée, mais n’avait pas supporté de devoir afficher son vice et son talent très particulier devant son pote. Ce fut la première hypothèse qui me passa par la tête… une hypothèse réconfortante. Mais pourquoi avait-il accepté de venir alors ? Je l’avais pourtant prévenu du forfait à accomplir pour m’être agréable… il savait que j’avais besoin qu’il me rende ce petit service. Il a dû se sentir en territoire étranger, et peut-être, en son for intérieur, était-il un gros timide, ou un modeste cyclothymique lorsqu’il était en présence d’un vrai pote. Tel un puceau perdant de sa superbe au moment de conclure avec sa chérie, après tant de promesses et de mots doux échangés. Il n’était pas ainsi avec les filles et les profs, il était même tout le contraire : d’une rare insolence, provocateur. J’ai pénétré dans le sanctuaire d’un pas mal assuré, presque chancelant, me retournant sans cesse, histoire de vérifier si mon ombre ne s’était pas subitement dressée sur ses jambes molles, un couteau à la main, et prête à m’occire. Je ne pus que constater tristement l’absence soudaine de mon pote Marius. J’avais le vertige, comme si je me trouvais au bord d’un précipice et que l’appel d’air réclamait mon envol suicidaire. Sur un bureau poussiéreux étaient empilés des dossiers, des esquisses, des œuvres en gestation, inachevées. Sur un classeur fermé avec une ceinture de pantalon ayant certainement appartenu à Grand-tonton, au moyen d’un feutre rouge, avait été griffonné à la hâte : POUR MON P’TIT FRANCIS, QUI A LE POUVOIR D’ESPERER ET LE DEVOIR D’Y CROIRE Juste au-dessous était scotchée une feuille de papier supportant un texte manuscrit à l’encre noire, et ce qui j’y lis me glaça le sang. L’écriture était claire ; on la lisait sans effort de concentration. Certaines syllabes, parfois, sont indiscernables et poussent votre cerveau à combler les creux ; mais là, c’était un style délié, les ronds étaient parfaits, la ponctuation figurait en bonne place et facilitait la lecture, imposant un rythme agréable. Une authentique écriture d’idéaliste… et une prose d’auteur de qualité ! Paradoxalement, le vertige s’estompa, et avec lui le besoin d’épier mes arrières… L’ombre avait dû se trucider toute seule (en langage humain on appelait ça suicide), car je ne la sentais plus guetter mon dos, comme si une bosse suspecte allait agrandir la cible que je représentais. A moins qu’elle n’ait fait elle aussi demi-tour au dernier moment, retournant au pays des ombres, dans l’imaginaire des angoissés… Salut, mon Cissou, je sais que c’est TOI… ce ne peut être que TOI ! Tu ne me connais pas ou mal, mais moi je sais qui tu es… Je suis ton père, le vrai ; l’autre, ton père de substitution, t’a adopté. Ce sont tes faux parents qui ont eu l’idée de me faire passer pour l’unique tonton de la famille : TON grand-tonton ! Je n’ai aucun lien de consanguinité avec eux. Tu es une pièce rapportée, mon p’tit Francis. Et ne vois là rien de péjoratif, non, absolument rien ! Tu es également une sorte d’énigme vivante. Je me croyais impuissant depuis plusieurs années, mais j’ai rencontré une femme… Elle était si jeune, si désirable que j’ai oublié que j’étais vieux. Elle m’a rendu ma virilité, mon désir était si fort que le miracle a eu lieu. Oui, tu es arrivé en âge de comprendre les choses du sexe, mon Cissou… ou du moins, de les ressentir. Alors sache que tu es un mirage d’enfant, car je n’étais pas qu’impuissant, j’étais également stérile. La totale, quoi. Oh, je sais ce que tu vas penser… qu’elle m’a trompé… et bien non, elle est bien trop croyante pour mentir ! Et puis, tu me ressembles tellement, à tous les points de vue. Si tu ouvres ce dossier, tu pénètres au sein de la vérité crue. Je te propose une visite guidée – que dis-je une visite… un voyage ! – qui te donnera à penser que tu as déjà frôlé la mort et que celle-ci t’a donné rendez-vous ici. Un gosse de vieux est prédestiné à la rencontrer avant les autres… dans les yeux de son père. Mais je sais qu’elle va te poser un lapin. Par contre, si un vagabond vient à passer par-là, je lui conseille vivement de craquer une allumette et d’oublier tout ça ! Quelques cendres valent mieux qu’une multitude de cauchemars qui vous consument le sommeil avant de vous bouffer la vie, dessinant des cernes profondes et charbonneuses sous vos yeux devenus subitement vitreux. Et là, la mort aura été fidèle au rendez-vous… Ouvre donc ce classeur, mon P’tit Francis : pour commencer, je vais te parler de Merlu-le-Vieux, le savant fou que nous avons sauvé du naufrage sur le derrick du Diable, ensuite viendra l’heure du « Sectivore ». ? flash back SOS, Posidonia en perdition… SOS… à vous… à l’écoute… La tempête semblait enragée, ce jour-là, comme piquée au vif par une dépression houleuse. On aurait dit qu’elle cherchait à essorer la mer en en aspirant les vagues d’une seule bouchée. Les appels de détresse continuaient à nous parvenir, nous tenant en éveil ; l’officier de quart, un ami, avait le visage tendu, tous ses sens en alerte. Il suait à grosses gouttes. Nous aussi. Le SOS émanait d’un gros navire de fret passant au large qui, visiblement, avait été mal renseigné par la météo marine locale. A moins que la cargaison fût si précieuse qu’il faille à tout prix la livrer à bon port, contre vents et marées... quitte à fréquenter d’un peu trop près la fin du monde. Nous étions là, témoins impuissants de ce naufrage, espérant que les secours arriveraient à temps pour sortir de la baille un maximum de marins et d’affréteurs. Car il était utopique de songer un seul instant à éviter l’engloutissement du navire. Notre unique consolation était due au fait que la mer était bien trop agitée pour receler des squales en maraude. SOS, Posidonia en perdition… SOS… à vous… à l’écoute… Le lendemain, cinq hommes nouveaux avaient rejoint la plate-forme pétrolière, dont quatre particulièrement éprouvés, les autres ayant sombré corps et âme durant la nuit avec le Posidonia. Et parmi eux, le professeur Miroslav Balnakar alias Merlu-le-Vieux… il fuyait le Japon clandestinement à bord du cargo sinistré. C’était un savant fou, un génie de la génétique qui s’était retiré très tôt de la circulation. Le gouvernement japonais l’avait fait mander, après qu’il eût pris connaissance des compétences de cet individu atypique, d’une rare débrouillardise et précédé par une solide réputation, afin de « traiter » des animaux un peu spéciaux : les loups ! Ses origines gréco-albanaises – même si son nom n’en atteste pas forcément – et sa nouvelle vie passée à pêcher le merlu dans les eaux territoriales françaises lui avaient valu d’abord une réputation douteuse de travailleur au noir, ensuite un surnom totalement ridicule. Avant d’être engagé chez les Nippons – certains diront… de force – pour cette mission ultra-secrète et d’intérêt public, il vivotait à Marseille, bossant (au noir ?) à la Criée aux poissons, où sa courte mais inestimable expérience dans ce domaine était très prisée par les patrons pêcheurs. Il avait subitement cessé ses activités scientifiques dans sa branche car son don très particulier lui avait amené plus d’ennuis que d’argent et de reconnaissance. Beaucoup de gouvernements s’étaient disputés ses services – et pas toujours dans le bon sens – avant qu’il ne décidât de se retirer du… marché. L’opération, qui n’avait aucun nom de code et dont la plupart des décisionnaires jugeaient l’approche mégalomaniaque, utopique, et scientifiquement aussi obsolète qu’amorale, était financée par un célèbre milliardaire suisse. Celui-ci avait, en son temps, défrayé la chronique avec le rapt sans demande de rançon de sa fille par une secte actuellement très à la mode en Europe, et menaçant même les rivages du Pays du Soleil Levant : La Geste des Sélénites. A aucun moment il n’avait été question de fugue, puisque l’on avait retrouvé sur les lieux de l’enlèvement un bout de papier froissé sur lequel était dessinée une fresque bien connue des services de nettoiement et de police européens : une fresque dénonçant un paysage d’apocalypse. Et puis, lorsqu’on est la fille chérie d’un magnat du pétrole, fuit-on sous des cieux moins cléments, même par amour pour un roturier, hein ? Ces histoires n’existent que pour les gosses, quand un cinéaste talentueux se penche sur leur cas dans le but de rendre leur avenir positif, optimiste, ou d’imposer à leur présent un instant de rêve intemporel. Plus tard, dans les librairies, aux rayons consacrés aux ados, ce sont des collections entières spécialisées dans l’utopie amoureuse qui s’y collent. Non, nous ne sommes pas encore immergés dans de l’eau de rose jusqu’au cou, comme si on prenait un bain purificateur… non, pas encore… Mais notre nombril appelle déjà à l’aide ; à moitié submergé, il émet de minuscules bulles remontant à la surface tels des SOS traduits en langage morse. Les sélénites, ces déconnectés de la vie, prônaient le règne totalitaire de la lune et prédisaient même l’extinction dans un avenir proche de notre principale source d’énergie : le soleil. De plus, il était interdit de prononcer son nom ; on avait juste le droit d’évoquer son image : le Lustre de Feu. L’homme, dont personne ne connaissait le véritable patronyme, se faisait appeler « Le Sectivore », car il s’était octroyé le droit et le pouvoir de lutter contre les sectes en général, et celle-ci en particulier… pour des raisons… disons… familiales. Il n’avait toujours pas déniché sa fille, et comptait bien mettre à profit cette mission secrète pour la récupérer enfin. L’idée générale était la suivante : puisque les autorités n’agissaient pas, on allait créer une race d’hommes qui se transformeraient après minuit en loups garous, des sortes de gremlins affichant figure humaine jusqu’aux douze coups fatidiques. Puis le masque tomberait, et ce qui s’était caché derrière mériterait de figurer aux côtés des crânes de dinosaures carnassiers trônant dans les vitrines des musées paléontologiques, avec leurs dents tranchantes, démesurées, et leurs orbites creuses reflétant le néant de la mort. D’authentiques bêtes féroces qui se chargeraient de terroriser et d’éliminer les Sélénites, ces criminels de la nuit qui, sous une apparence bon enfant, se permettaient de détruire des cervelles innocentes… surtout des gamins. Aucune poursuite ne serait engagée contre ces prédateurs issus d’un mauvais film de cinéma de quartier ou d’un roman suranné de Stephen King ; tout juste les journalistes en feraient-ils leurs choux gras en titrant : « La guerre des monstres de minuit est déclarée ! ». Et quelques lignes plus bas, comme d’habitude, en caractères plus petits, les premiers commentaires excessivement imagés, d’un lyrisme déplacé, maladroit : « Déjà, sur le front de la pleine lune, les premiers combats font rage, avec, en fond d’écran, les clins d’œil des étoiles voyeuses, et en fond sonore, le chant sourd des galaxies lointaines… ». Quelle poursuite peut-on engager contre des ombres aux griffes et aux crocs assassins s’escamotant à l’appel de l’aube naissante, ou faute de victimes, de proies… D’ennemis ! Il y aurait du Sélénite au menu. Les rues se transformeraient alors en abattoir à ciel ouvert, et les urgences ne pourraient même plus assurer la survie des gisants, tandis que les cantonniers solliciteraient mille fois plus la serpillière que le balai, pour effacer les scories sanguinolentes du champ de bataille improvisé ! Les noctambules, les insomniaques, les amoureux du clair de lune et les joyeux fêtards n’oseraient même plus sortir après 21 heures, de peur de devoir dire adieu prématurément à la vie et à la voûte céleste, chapiteau de ce cirque de fin du monde où se jouait un bien macabre spectacle. Seuls quelques ivrognes, inconscients du danger ou se suicidant à leur manière (l’occasion, celle qui fait le larron, était bonne à saisir), ajouteraient à l’ordinaire des prédateurs « transformistes »… Les villes deviendraient de véritables camps retranchés où on espionnerait l’extérieur bien à l’abri derrière ses volets ; on y aurait pratiqué une petite ouverture au moyen d’une perceuse, pour jeter un coup d’œil furtif sur le champ de bataille. L’odeur du sang serait insupportable, elle se glisserait par la brèche, par petites secousses, comme un courant d’air par jour de grand vent, en rampant dans le petit boyau sculpté à même le bois du battant. Mais bon, on se trouvait aux premières loges pour contempler ces animaux féroces qui n’avaient existé jusqu’à ce jour que dans l’imagination des auteurs de romans et films gore, et c’était bien là l’essentiel ! Les chiens hurleraient à la mort, se joignant à la cacophonie ambiante, sensibilisés par les relents de carnage… Au sein même de son organisme, le milliardaire avait été surnommé le gourou garou, mais il ne supportait pas ce pseudonyme ridicule et insultant, lui préférant avantageusement le « Sectivore » ! Tout bascula le jour où la mafia nippone apprit les détails du chantier. Le magnat du pétrole disparut mystérieusement, sans laisser la moindre trace, et le professeur Balnakar dut fuir en catastrophe de la manière que tu sais, mon P’tit Francis… Il ne restait plus au gouvernement japonais qu’à s’écraser, craignant de raviver de vieux démons en protestant officiellement. Mais voilà que, quelques années plus tard, le destin allait recoller les morceaux du puzzle éparpillé. Le professeur et moi avions rejoint l’Europe, nous perdant de vue. La retraite me tendait les bras, sans flambeaux ni trompettes, du côté d’un paradis fiscal, et Merlu-le-Vieux devait taquiner la truite ou le bar (un loup pas du tout garou, celui-là !) sur la paisible planète des tueurs de temps déguisés en pêcheurs… J’appris qu’en France des parents peu scrupuleux avaient adopté des gosses dans le but de les initier à la secte des Sélénites. Il se murmurait que leur requête avait été loyalement motivée par la stérilité de l’un des deux conjoints. Mais c’était une fausse info, que des journalistes avaient véhiculée pour se venger de certains scoops ayant été interdits à la diffusion concernant d’autres sectes… Le monde chavirait, battait de l’aile, tournait de l’œil. On jetait de la nourriture frelatée à la cantonade, pour appâter le lectorat. Les médias, à cause des récents événements, avaient revêtu la panoplie de représentants en boniments, de manipulateurs, comme jadis d’illustres magazines people donnaient de l’épaisseur existentielle à de sombres nullités, métamorphosant des crétins et des pétasses en de pseudos artistes de talent, des mochetés en beautés fatales… Un jour, alors que j’étais rentré en France, je fis la connaissance d’un mec qui se prétendait le fils de Merlu-le-Vieux. C’était un flic, un inspecteur plus précisément. Je me baladais sur une digue de la Joliette, à deux pas du Vieux-Port, à Marseille, en attendant l’heure de mon rendez-vous avec mon éditeur, à l’occasion de la parution de mon roman Le Derrick du Diable, quand l’homme, assez grand, sec, me rejoignit d’un pas alerte. Il était vêtu d’un veston que n’eût point renié Hercule Poirot lui-même. En 2007, c’était plus que ringard. Une étoffe savamment cousue voyageait dans le passé et croisait ma route, et dans cette étoffe, un meurtrier aux allures de flic d’opérette m’annonçait un incroyable anathème, une condamnation irréversible. Son timbre était grave, cuivré ; une voix de baryton, nerveuse. Ce qu’il me raconta me laissa pantois, médusé. Je le pris tout d’abord pour un fou, un fou surgi de l’espace-temps, mais, bien vite, son discours devint tristement cohérent, cruellement logique. Cet homme, investi d’une sorte de travail d’épuration, éliminait tous les témoins de la mission secrète du Japon, et, sur un coup de tête, avait décidé de me donner une chance de réchapper au règlement de compte programmé de longue date par une entité supérieure. Chance que j’aurais saisie à bras-le-corps si, dans la foulée, je n’avais dû remettre entre les mains du grand patron des éditions Jets d’Encre la formule magique qui allait dévoiler, de par sa substance, la preuve irréfutable que j’en savais vraiment trop, et que je comptais faire partager ces révélations à un relativement vaste panel de lecteurs. Je suis visé, il est prévu que je meure, et on va sans doute maquiller le forfait en suicide. Je subodore que Merlu-le-vieux s’est fait aussi transparent qu’un fantôme dans le brouillard par temps de pluie. Sans doute se sera-t-il retiré sur une île déserte où même les crabes doivent passer par la douane pour avoir le droit de sortir de l’eau. J’avoue qu’apprendre par la bouche d’un flic que je suis une cible, sa victime toute désignée, qu’il est également un tueur et qu’un contrat plane sur ma tête, remplaçant l’auréole de mon ange gardien, ça m’a laissé songeur. On est en droit d’être surpris, choqué, non ? De se poser des questions qui n’attendent même pas de réponses autres que saugrenues. Ceci dit, je crois sincèrement que la mort ne me fait pas peur ; pas plus que la donner semble effrayer ce mec en costume de théâtre proustien. Il se nomme Flamand, avec un « d », Pascal Flamand. Lui aussi est stérile, lui aussi a adopté un gosse, un gosse prénommé Marius. Je crois que tous les gens qui ont un rapport, proche ou lointain, avec cette mission sont devenus stériles ; d’autres, comme moi par exemple, ont au contraire retrouvé leur pouvoir de géniteur… Je crois même que le grand gourou de la Geste des Sélénites est ce Flamand en personne… et il a certainement demandé à être nommé ici, à Plovan, pour venir m’éliminer d’une façon très propre, sans laisser d’empreintes suspectes. Il maquillera ça en suicide, j’en suis sûr. Je le sens parce que ça sent mauvais. Fais très attention à toi, P’tit Francis ! Tes parents adoptifs ne sont pas des sectaires, ils sont atteints d’un mal incurable, d’une épidémie dermique qui les empêche de supporter les rayons de soleil sur la peau. De mettre de l’huile sur le feu. Ils sont plus à plaindre qu’à blâmer ; la maladie les a rendus égoïstes, mais ils t’aiment énormément, même s’ils le montrent mal. Je pense que tu as le pouvoir de lire dans les pensées de certains individus, comme moi… Là-bas, j’ai été irradié par des rayons interdits qui m’ont apporté des dons précieux : la fécondité et la télépathie. Je n’aurais jamais dû ouvrir la valise que le professeur Miroslav Balnakar avait emportée avec lui malgré le naufrage : elle contenait des produits défendus. On ignorera toujours son geste de ramener de là-bas cette mallette diabolique. Je crois que je me transforme petit à petit en monstre de minuit, et Flamand me craint pour ça. J’ai non seulement recouvré une virilité conséquente pour mon âge, mais en plus, mes poils blancs virent au noir et mes dents grandissent. Je suis bon pour le casting de la version moderne du Petit Chaperon Rouge ! Je mets en danger la secte de merde de ce type ! Et si tu lis ça, tu seras également en danger, Cissou… Je suis persuadé qu’une télépathie post-mortem nous unira. Et tu sais quoi, fiston ? Je crois que Flamand, en m’avertissant, se condamne à sa manière. Une lassitude pesante l’attire vers le fond ; il lui faut s’en délester, ça urge. Qu’il vidange sa conscience… indirectement, se confesse. Dis, petit, une dernière info pour la route, un aveu : ta mère, je crois que c’était la fille du « Sectivore »… mais chut ! Ma mémoire reste très sélective. J’en souris. Maintenant va, c’est toi qui vois… Le destin a suffisamment abusé de ta vie ! ? retour au présent Je n’ai même pas sursauté lorsque j’ai refermé le classeur et que l’écho répéta mon geste à l’unisson. Je n’imaginais même pas que le grenier fût assez grand pour créer un tel phénomène de duplication d’un son. Toutes ces révélations m’avaient saoulé, secoué, et c’est avec un certain soulagement et un goût amer dans la bouche que je mis un terme à cette lecture intime. De toute façon, il n’y avait plus rien à découvrir ; la dernière phrase se trouvait perchée au sommet d’une feuille blanche qui tombait en avalanche immaculée sur un néant d’encre. Rien ne donnait à penser que le texte s’était interrompu faute de main pour tenir la plume. Il n’y aurait pas d’épilogue développé ! Mon père (c’est la première fois que je l’appelais ainsi) avait opéré avec précision, en chirurgien du verbe, sans s’égarer dans un dédale de phrases confuses. Tout juste, par endroits, avait-il laissé transparaître un flou, nullement artistique, que je pouvais interpréter, traduire par de la pudeur… Toutefois, pas de doute, il m’eût été plus doux de me réveiller en constatant que j’avais rêvé tout ça. J’aurais déjà oublié ce que j’avais vécu par la prose étalée, alignée, avant de tomber dans les bras mous et poisseux de la somnolence, ou alors, la lecture se serait achevée sur des pointillés causés par le décès subit de l’auteur. Peut-être la suite du Derrick du Diable, réclamée par l’éditeur car le précédent titre avait cassé la baraque d’une façon inattendue, inespérée, et entamée alors que la vie s’apprêtait à fuir. Cette histoire me semblait tellement rocambolesque qu’elle ne pouvait être qu’authentique, et je pouvais désormais citer « mes parents » sans avoir l’air de me consumer de l’intérieur… Mais apprendre qu’ils n’étaient pas adeptes de cette secte de givrés m’apportait un réconfort profond, inestimable. Les vrais traîtres n’étaient pas au sein de ma nouvelle famille, mais dans mon proche entourage. Marius… Un bruit derrière moi, je me retourne. Alors je me rends compte que je suis debout, que j’ai lu débout. J’étais dans un état second, donc il me faut rejoindre le premier, l’état de conscience. Des pas : on escalade plusieurs marches, quelques barreaux ; ça grince, craque. J’entends la respiration rauque de celui qui grimpe sans précipitation. On sent bien qu’il est sûr de lui, que son approche n’est pas masquée par une fausse agitation. Il va quelque part, sait comment y aller, qui y trouver… Il connaît les lieux, se doute que la cible n’a aucun moyen de s’échapper, sinon en traversant les murs. Avant même qu’il n’entre je devine le nom du prédateur. C’est comme si je l’attendais. L’inspecteur Flamand se pointe à l’entrée du grenier, un harpon à la main. Celui-ci est chargé, un trident est pointé sur ma poitrine, où mon cœur, l’espace d’un soupir, cesse de battre, pour repartir de plus belle, frénétique. La sueur au front, je contemple l’arme. Ce doit être la sienne, ici, je n’en ai vue aucune de la sorte. Marius est donc allé chercher son père pour l’avertir que j’étais au courant de tout. Il a dû, avant de s’enfuir tel un voleur, lire les premières lignes sur le papier scotché sur le classeur. Il s’est éclipsé dans le but de prévenir son père, de lui dire que l’heure était venue de… D’éliminer le dernier maillon gênant à portée de main, car Merlu-le-Vieux courait toujours, oui, mais loin de tout, n’est-ce pas ? Alors là, tout se déroula très vite, comme dans un mauvais film où le réalisateur est pressé d’en finir. Une course poursuite s’engage dans le dos de l’inspecteur Flamand. On dirait que c’est à celui qui arrivera le premier pour assister à ma mise à mort. Soudain, entrent dans mon champ de vision des flics, mes parents, Marius, et un vieil homme que je reconnais tout de suite, Merlu-le-Vieux. Des cris fusent, des avertissements, les policiers braquent Flamand, mais l’homme réagit, tire au jugé dans leur direction. J’entends quelqu’un hurler « Tous à terre ! ». Un coup de feu retentit, un corps s’effondre, à mes pieds ; le harpon rebondit sur ma jambe droite, la flèche a disparu. Je relève la tête. Un attroupement. Mes parents… transpercés, cloués l’un à l’autre par la flèche, comme une brochette. Ils agonisent déjà. C’est le vieil homme qui a tiré… avec un revolver de marque japonaise. Je suppose que le nom est imprononçable. Si un jour j’écris mes mémoires, je l’appellerai le Banzai à crosse jaune. Dix minutes plus tard, Pretty Home était devenu un véritable camp retranché. Des infirmiers s’engueulaient avec des flics, qui s’égosillaient. Tout le monde paraissait insatisfait par le rythme des opérations. Seul le médecin légiste ne s’énervait pas, affichant une sérénité de bon aloi ; ses clients ne risquaient pas de s’enfuir, eux. Les flics emmenèrent Merlu-le-Vieux, qui devait avoir promis à mon père de veiller sur moi. Mission accomplie ! Mes parents, bientôt, seront allongés dans une boîte, à la morgue. Bon Dieu, tout était allé si vite ! Trente secondes, une minute peut-être… pas plus. Je n’ai pu retenir un sourire à l’évocation de mes parents soudés comme jamais par un lien… perforant. Je n’ai pas osé regarder le sang s’étaler en fines rigoles sur le plancher, je me suis contenté de le sentir. Je crois bien avoir perdu mon don télépathique ce jour-là précisément, en réaction aux péripéties vécues et endurées dans un relatif calme apparent. Le destin se chargeait de m’endurcir ; ça promettait pour l’avenir ! ? EPILOGUE Vingt années ont passé. Je suis marié maintenant. Mais je n’aurais pas dû. Ma femme ne travaille pas, elle passe son temps à se faire bronzer à la plage du Prado, à Marseille. Nous avons rejoint ma ville natale immédiatement après nous être unis pour le meilleur et pour le pire, en Bretagne. Le meilleur, c’est mon boulot, je suis auteur de best-sellers ; le pire, c’est le soleil, ma femme en consomme une quantité astronomique. Elle part le matin, rentre le soir. Elle saute le repas de midi, parfois emmène avec elle une salade. Je me demande si elle ne la donne pas à manger aux crabes. Vingt années ont passé, et les lois ont enfin changé : les sectes sont formellement interdites en Europe. La Geste des Sélénites s’est dissoute ; sans gourou, pas d’existence spirituelle possible. Vingt années… Un samedi matin, on sonne : je vais ouvrir. Un représentant ou un truc dans le genre. Je n’ai même pas le temps de lui dire que je n’ai besoin de rien qu’il me débite sa tirade, ses boniments. « Vous voulez vous offrir le soleil sur un plateau d’airain ? Aucun problème, embrassez la Caste des Enfants de Phaéton, et il vivra dans votre miroir, réfléchissant votre besoin de métissage épidermique… Adhérez, monsieur, adhérez, nous pouvons vous offrir l’Eternité Lumineuse ! Non, non, nous ne sommes pas une secte ; notre parti politique a vu le jour quand… Mon pied bien placé a coupé court à cette folie. Mais tout le monde n’est pas comme moi dans ce pays. Je n’ai jamais revu ma femme… FIN A Cathy, sans qui les rapports humains sur le Net seraient tristes à mourir ; à Cathy, qui sait me lire et m’apprécier ; à Cathy, un amour de femme… |
Depuis sa mise en ligne vous avez été 465 visiteurs à consulter cette page Vos commentaires
|