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Mauvais Joueur |
La file avançait lentement mais inexorablement vers la chambre à gaz. Plus loin, un train déversait une nouvelle cargaison de déportés. Les chiens claquaient des mâchoires sur les talons des retardataires tandis que des haut-parleurs déversaient un flot de consignes en allemand d’un ton monocorde. Rolf, dont l’uniforme noir apparaissait encore par endroits sous la poussière qui le maculait, avançait en traînant les pieds. Ce serait bientôt son tour de « prendre une douche ». Il trébucha sur une pierre et s’étala de tout son long. Celui qui le suivait s’empressa de l’aider à se relever avant que les gardes-chiourmes ne lâchent leurs molosses sur lui. Il ne put réprimer un frisson de dégoût quand le Rabbin lui glissa quelques paroles d’encouragement en yiddish en lui serrant amicalement l’épaule. Soutenu par un untermenschen ! Lui ! Rolf Stümper ! Lui qui il n’y a pas si longtemps avait été choisi, meilleur parmi les meilleurs, comme symbole de la pureté de la race ! Son manque total d’humour, et l’angoisse qui lui tenaillait le ventre, l’empêchèrent de goûter tout le sel de la situation. Des pensées se bousculaient dans sa tête parmi lesquelles se mêlaient pêle-mêle la croupe rebondie de la fille du Maréchal qu’il voulait impressionner pour mieux la séduire, la terrasse du nid d’aigle lieu du drame, et surtout, surtout … les petits pions d’ivoire rectangulaires qui avaient causé sa perte. Le meilleur, il l’était incontestablement. Il fallait l’être pour gagner in extremis la partie de scrabble en plaçant « Juif » sur un "mot compte triple" au dernier coup. Adolf n’avait pas apprécié. |
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