Nnork une nouvelle de ADRIEN


Nnork

par

ADRIEN

Avant-propos :
Je tiens à préciser que les couleurs de peau précisées ne veulent rien dire, il ne faut pas y voir une volonté qui pourrait être raciste, c’est juste un caractère physique, au même titre que le nez et les cheveux. Je voudrais également que le lecteur, pour les scènes de masse, s’imagine une foule colorée et contrastée, vous savez, comme ces images de la Coupe du monde ’98 ou bien l’idée que l’on se fait du Brésil. Une foule pour laquelle l’idée même de racisme serait inconcevable.
Quoi qu’il en soit, je vous souhaite une bonne lecture.

Les chapitres importants :
Le Cul-de-lave
Genèse flambante
Étincelle
Réunion au sommet
Le dôme en orbite
Ennemi salvateur
Remerciements


Le Cul-de-lave

- Oh Mih ! Magne-toi ! On part !
C’était le contremaître qui l’appelait pour l’embarquement dans la navette pour Nnork. Après deux semaines de travail sur la plate-forme d’extraction c’était enfin la relève. Une nouvelle équipe de quatre-vingts hommes venait pour deux semaines, ensuite celle de Mih reviendrait et ainsi de suite... L’équipe A alternait immuablement avec la B. Mih était constamment en retard pour les départs de retour à la ville, contrairement aux autres il aimait la plate-forme, perdue au milieu de la Mer de lave. Il lui arrivait même d’envier les équipes de la Protection, qui restaient deux mois de suite sur la plate-forme. À chaque retour Mih était en retard car il faisait un tour sur la terrasse de repos, et admirait les bulles de lave qui éclataient, les nuages rougeâtres et les phénix qui volaient au loin, et contre lesquels la Protection devait parfois lutter.
Cette fois-ci Mih n’avait pas failli à la coutume et son contremaître venait, comme à chaque fois, de le tirer de son spleen lié au retour. Finie la Mer de lave il fallait retrouver la fumée nnorkaise de la Trinité. Le jeune ouvrier qu’était Mih posa son sac sous son siège, clippa sa ceinture et jeta un regard par le hublot poussiéreux. Dans deux semaines il serait de retour, pensait-il. Un signal sonore retentit, la navette décolla de la plate-forme offshore, surnommée « le Cul-de-lave ». Dans six heures on serait à Nnork et sa crasse.
Mih jeta un coup d’œil à son voisin : C’était le gros Kin’Pi, bonhomme antipathique selon Mih. Leur haine était réciproque, mais du côté de Kin’Pi il s’agissait plus d’une indifférence. Le hublot offrait une bien meilleure vue, le jeune homme put apercevoir lors du décollage le pipe-line qui transportait vers Nnork la lave pompée. Mih observait la lave en fusion, des bulles éclataient , au loin giclaient des geysers, lieu de naissance des oiseaux de feu : les phénix. Kin’Pi mangeait une barre énergétique à l’arôme porc en mastiquant bruyamment et en rotant, comme d’habitude il était rougeaud.
Le signal sonore annonçant l’atterrissage retentit. Grâce à la manœuvre d’approche Mih vit les cheminées de la Trinité rejetant leur sombre fumée, la fin du pipe-line qui sortait de la Mer de lave en montant la falaise et coupant la ville en deux parties jusqu’à la cheminée numéro deux. Enfin il put voir, creusée dans la falaise, la piste et les hangars à navettes, où l’attendait sûrement sa jeune épouse enceinte, la belle Elii à la peau mate et aux longues tresses. Elle était la raison qui retenait Mih d’intégrer les forces de la Protection.
La navette se posa en tressautant et fut aussitôt remorquée vers un hangar où se tenaient les familles des ouvriers. Une fois la passerelle mise en place tous descendirent embrasser leurs proches. Arrivé en bas de la rampe Mih vit sa femme lui sauter au cou, ensuite il ne vit plus rien mais il sentit, il sentit les innombrables baisers sur les joues, le front, la bouche, dans le cou...
- Tu m’as manquée dit-elle, pourquoi on peut pas s’appeler ? Hein ?
- Tu sais bien qu’il n’y a pas de ligne depuis le Cul d’lave.
Puis, caressant le ventre rond d’Elii :
- Comment vous allez tous les deux ?
- Bien, surtout lui, il commence à bouger...
Le couple sourit et s’embrassa. Main dans la main ils prirent le chemin de la surface, après quelques marches ils sentirent le vent de l’extérieur, virent les cheminées dantesques de la Trinité, trois cheminées qui crachaient toujours leur fumée noire et salissante mais aussi indispensables à la ville que l’eau l’est à la vie. Mih et Elii avaient un bon kilomètre à parcourir pour arriver chez eux. Dans la rue la foule était dense, de nombreux étalages de toutes sortes se présentaient à elle. Les rues n’étaient jamais bien larges à Nnork et les places plutôt rares, c’est pourquoi ces marchands gênaient le passage. Les deux époux ne se parlaient pas, ils étaient pressés de rentrer au plus vite dans le cocon protecteur de leur foyer.
Leur appartement était situé au quatrième étage d’un petit immeuble qui en comptait cinq. Une fois installé devant un bon repas, le couple se parla longuement, tous deux se racontèrent leurs quinze jours passés séparément, Mih une réparation à cinquante mètres sous la lave pendant cinquante heures, Elii ses déboires dans la ferme hydroponique numéro sept, notamment lors des visites du service de l’Inspection, Mih son amour pour la lave rougeoyante et ondulante, Elii sa haine pour les dirigeants nnorkais et sa certitude que les choses ne pouvaient durer ainsi...
Ils parlaient ils parlaient et ils finirent les carottes caoutchouteuses qui constituaient ce repas. Mih pressa alors le bouton qui faisait sortir le lit du mur et s’y allongea ensuite en embrassant Elii. Malgré son ventre ils parvinrent à faire l’amour et à chaque retour, précisa la future maman, c’était là que c’était le meilleure.

Indifférence totale

Le Professeur Ago prit la parole devant les principaux dignitaires de Nnork, sa mine grave ne présageait rien de bon quant à la teneur de ses propos :
- L’origine des phénix est mystérieuse, on sait qu’ils naissent probablement dans les geysers de la Mer de lave mais en revanche on ne sait rien ni de leur régime alimentaire ni de leur mode de reproduction. Néanmoins, ces oiseaux ont beau être une énigme en tant que l’un des rares exemples de faune sur la planète Moltenlava, ils n’en restent pas moins une dangereuse menace pour Nnork, la plate-forme de pompage, les navettes de liaison et les quelques expéditions envoyées en vue d’une colonisation d’autres terres. En effet, lorsqu’un groupe de ces oiseaux devient trop important (plusieurs centaines) les phénix, tout comme les légendaires lemmings dont on raconte les histoires aux enfants, s’annihilent mutuellement en se projetant les uns contre les autres et ce afin d’exploser, leur corps recelant des matières très instables. Malheureusement ces suicides collectifs, exécutés en vue d’éviter la surpopulation, se font parfois contre un corps étranger. On ne compte plus les attaques sur Nnork ou la plate-forme, les navettes éventrées...
Un petit homme chauve au nez crochu et à la voix rocailleuse lui coupa la parole d’un ton sec, c’était le responsable de la Protection :
- Vous oubliez que les Nnorkais savent se défendre, des batteries de DCA et des canons à leurre équipent la plate-forme et la ville, cette dernière ayant en plus les boîtes pièges dans lesquelles les phénix vont mystérieusement s’exploser. Ainsi la sécurité est maintenue partout, et je peux le prouver avec plusieurs exemples, même récents. Ainsi il y a ...
- Je ne suis pas sûr, repris le Professeur Ago, que vos défenses suffisent contre le rassemblement que nous avons repéré, et contre lequel je suggère une attaque pour éradiquer le plus grand nombre d’oiseaux, et éviter une attaque en masse qui détruirait Nnork.
- Professeur Ago, répliqua un autre homme aux longs cheveux blancs, vous outrepassez vos droits ! Si nous jugeons ce rassemblement de phénix sans importance, c’est qu’il est sans importance. Je vous prierai donc de bien vouloir quitter la salle du Conseil sur le champs. Gardes, raccompagnez cet homme !
Sa voix tonnait aux oreilles d’Ago, une fois de plus ils ne l’avaient pas écouté, pour quelles raisons agissaient-ils comme cela cette fois-ci ?

L’explodball

Lorsqu’il descendit de la navette, Kin’Pi et sa graisse ne cherchèrent pas de comité d’accueil, la Mère Kin’Pi, comme on l’appelait dans son quartier, avait bien trop à faire avec ses huit enfants pour se soucier de son mari. De toute façon celui-ci n’en avait cure. Il sortit des hangars et déboucha sur une place très animée. En se retournant il aperçut la Trinité et en ressentit une immense fierté, bien qu’il n’ait joué aucun rôle dans sa construction qui remontait aux fondements de Nnork. Kin’Pi se trouvait sur une place bien fréquentée : pas de dealers, peu de junkies ou d’alcooliques. Des écrans à plasma étaient suspendus à différents poteaux de par la place, des attroupements se constituaient autour. Kin’Pi y alla.
Il se dirigea vers un écran plus grand que les autres, il diffusait la fin d’un match d’explodball. Il restait une minute et trente secondes à jouer, le score était de cinq points partout. Dix secondes avant la fin l’une des équipes parvint à encastrer la balle explosive en fonte dans le trou adverse. Six à cinq, le buzzer indiqua la fin du match, l’écran montrait les joueurs qui se congratulaient, les supporters en joie ou dépités qui commençaient à se battre, comme après chaque match. Sur la place les supporters de telle ou telle équipe se battaient également, parfois à mort. Kin’Pi ne risquait rien, il ne portait pas l’insigne de l’une des deux équipes qui venaient de s’affronter. Par contre l’équipe qu’il supportait n’allait pas tarder à jouer comme l’indiquait l’écran entre deux publicités, dont une pour le bordel “Erotica 69” qui lui donna furieusement envie, peut être après le match irait-il visiter les « superbes créatures parfaitement siliconées prêtes à exaucer tous les fantasmes. »
Le trajet jusqu’au terrain de son équipe, les Phœnix Warriors, n’était pas long. Kin’Pi s’acheta une barre nutritive arôme chocolat et une cannette de synthébière, qu’il paya avec cinq Reus. La nutribarre fut vite avalée, quant à la cannette elle dura jusqu’à l’entrée du stade couvert, il s’amusa à l’écraser sur le sol avant d’entrer. Une fois payés les vingt Reus pour le ticket il refusa d’acheter une bombe lacrymogène, il fallait économiser s’il voulait aller ensuite à “Erotica 69”. Kin’Pi trouva sa place et s’installa sur le siège défoncé. Les joueurs allaient pénétrer sur le terrain en linoléum renforcé dans quelques minutes, et déjà les spectateurs exultaient, les fumigènes brûlaient et les grenades lacrymogène étaient prêtes à être dégoupillées. Enfin les joueurs arrivèrent, couverts d’une armure en kevlar de la tête aux pieds. Au centre du terrain une trappe s’ouvrit et la balle apparut. Les écrans qui afficheraient le score et montreraient les ralentis des plus belles actions s’allumèrent. Le match pouvait commencer.
Un bruit strident se fit entendre, la balle fut propulsée de son socle. Les joueurs retinrent leur souffle, c’était à qui sauterait le plus haut pour saisir la balle de forme ovoïde. Les Phœnix Warriors avaient une technique au point : un joueur était lancé par deux autres et il saisissait la balle en plein vol pour la lancer à son équipe. Cette manière d’agir fonctionna et un Warrior attrapa la balle qu’il relança juste après. Tous les coups étaient permis grâce aux armures. La balle circulait rapidement de main en main, si un joueur la gardait plus de dix secondes elle lui explosait dans les bras, c’est pourquoi le jeu collectif était privilégié.
Le match battait son plein lorsque l’alarme résonna soudainement dans l’immense hall. Les écrans affichèrent ces mots terribles : Phénix attaquent ! C’étaient encore ces problèmes de surpopulation, mais bon, les forces de la Protection allaient régler tout ça en deux coups de cuillère à pot, comme d’habitude... Tout le monde pensa la même chose et personne ne s’inquiéta outre mesure, le jeu continuait normalement. Pourtant seulement huit secondes après le retentissement de l’alarme le plafond fut crevé par une explosion, des débris tombèrent sur une tribune, la panique gagna la foule. Il y avait de plus en plus d’explosion sur le toit, un joueur qui avait gardé la balle plus de dix secondes explosa avec elle. Un phénix s’engouffra dans l’un des trous du toit et se dirigea vers la tribune de Kin’Pi. Ce dernier eut à peine le temps de crier qu’il devint une bouillie informe et méconnaissable mélangée à celle de ses voisins.

Genèse flambante

Jon était artilleur des forces de Protection, c’était la fin de son quart et il attendait tranquillement la relève, mollement accoudé sur le canon dont il avait la charge. Il jeta un coup d’œil sur la Mer de lave et ce qu’il vit l’horrifia : il lui semblait que des milliers de phénix se ruaient sur lui. Pétrifié, suant à grosses gouttes, il enclencha l’alarme et s’appréta à livrer sa plus grande bataille. En se chargeant, le canon émit un léger sifflement. Il faut faire confiance aux boîtes, se répétait Jon, faire confiance aux boîtes et à la DCA. Son ordinateur lui indiqua que les oiseaux de feu étaient à portée de tir, Jon pressa la détente, les boules d’énergie jaillirent, ne ratant que rarement leur cible. Le sort de Nnork dépendait de Jon, en partie, ainsi que de tous les artilleurs dispersés sur la falaise.
Quand l’alarme retentit dans les rues étroites de la ville, on n’y prêta peu attention, les attaques étaient monnaie courante et jamais les phénix ne passaient la barrière des boîtes-pièges et de la DCA. Pourtant, lorsque l’on en vit voler au-dessus de la ville les Nnorkais furent pris de panique. C’était le sauve-qui-peut général, ceux qui tombaient étaient piétinés, tout le monde cherchait à se réfugier dans un bâtiment pour se protéger des explosions. Jamais on avait vu ça, des milliers de phénix survolaient Nnork, s’explosant sur es immeubles d’habitation, les usines, les gens...
Mhocq affolé se réfugia dans un recoin formé par un mur et un purificateur d’air. Recroquevillé il attendit la fin du cataclysme. Des lames coulèrent sur ses joues alors que la rue n’était qu’un immense champ de désolation. Il entendit une explosion plus forte que les autres, leva les yeux pour voir le terrain couvert des Phœnix Warriors s’effondrer sur lui-même. Il lui revint alors en mémoire les images de sa femme et de ses enfants littéralement pulvérisés par un phénix. En ce jour il avait tout perdu, tout perdu en quelques minutes à peine. Il sut alors à ce moment qu’il voulait mourir, mourir plutôt que d’être tourmenté toute sa vie durant par les souvenirs.
Un pistolet était tombé à côté de lui, Mhocq le prit et se le colla sur la tempe quand soudain un oiseau de feu se dirigea sur lui. Il lui tira dessus. Insensible le phénix se posa face à son agresseur, qui, sachant ces créatures insensibles aux balles, vida néanmoins son chargeur pour se passer les nerfs. Puis il réalisa qu’il était face à face à avec un phénix. Face à face ! Il était là, à un mètre de lui, on pouvait voir son corps translucide dans lequel bouillait de la lave, des flammèches recouvraient ses ailes et ce qui lui servait probablement de tête. Des deux trous faits par les balles avait coulé un peu de lave qui brûlait la terre battue de la rue. Mhocq vit les plaies se cicatriser instantanément .
D’un bond l’oiseau se percha sur le purificateur d’air dans le dos de Mhocq. La machine était très chaude, sans doute cela convenait-il au phénix. Celui-ci s’immobilisa, écarta les ailes et sembla faire un effort énorme. Pour quoi faire ? se demanda Mhocq. Et il comprit. Il vit que de l’arrière du phénix sortait quelque chose, c’était... Non ! c’était impossible ! et pourtant cela ressemblait à... à un petit phénix, qui venait au monde. Le, ou plutôt la phénix était en train d’accoucher. Mhocq était sûrement le premier être humain à assister à un tel événement.
Les coups de feu qu’elle entendit la tirèrent de sa torpeur. D’une main ensanglantée par une pierre elle écarta ses cheveux blonds et observa toute la scène entre l’homme adossé au purificateur d’air et la saloperie de phénix. Quand elle réalisa ce que le phénix faisait avec autant d’efforts, elle se fit violence pour se lever et agripper une barre de fer, malgré une cheville foulée et une main cassée. Tenant la barre à deux mains et criant de rage elle se précipita vers le phénix qui ne bronchait pas.
En entendant le cri Mhocq vit la femme se précipiter vers lui avec la barre de fer. En un éclair il comprit ce qu’elle voulait faire. La barre de fer allait frapper le phénix qui, épuisé par son accouchement maintenant fini, ne bougeait pas. Mhocq cria : « Non ! » Il ne sut jamais si l’explosion avait été provoquée par le coup de la barre ou si le phénix avait explosé pour tuer la femme qui l’agressait. Ou encore, était-ce un hasard ? Toujours est-il que l’explosion souffla la femme qui fut projetée sur le mur de l’autre côté de la rue.
Après cinq minutes, un petit bruit tira Mhocq de sa torpeur. Un couinement minuscule. Un petit skrich faiblard fit lever les yeux de Mhocq, qui vit alors réellement le bébé phénix. Il était tout blanc, plus aucune flammèche ne brûlait sur son corps. « C’est étrange songea Mhocq, on dirait qu’il n’est pas dans son élément . » Il osa enfin s’en saisir ; l’oisillon, qui devait bien peser trois kilos, était tiédasse et gluant. Il le serra contre son corps et commença à se diriger vers le bord de la falaise pour y jeter l’oisillon de feu. Tout au long du kilomètre qu’il avait à parcourir, il ne vit que misère et désolation. Mhocq était probablement la seule personne de tout Nnork à avoir un autre but que la survie immédiate. Il passa devant une maison anéantie, un homme pleurait sa femme enceinte, morte dans le souffle de l’explosion. Les images de sa propre famille revinrent en mémoire à Mhocq, mais il se concentrait sur le phénixon qu’il devait faire tomber dans l’Océan de lave afin de lui rendre des couleurs.
Enfin il arrivait à destination. Au bord de la falaise Mhocq contempla les bulles de lave, les fumerolles, au loin. Derrière lui montaient les clameurs d’une ville après un désastre apocalyptique. Le petit protégé de Mhocq était de plus en plus froid, il décida donc de le lâcher. Le phénix chuta dans la lave. Quelqu’un était derrière Mhocq, mais il n’y prêta pas attention, il préféra baisser les yeux vers le point de chute, ce qu’il fit d’ailleurs juste à temps pour voir sortir majestueusement le petit phénix de la lave, s’envolant et poussant un cri qui avait tout du remerciement.
Mih s’avança et posa la main sur l’épaule de Mhocq, ce dernier reconnut en lui l’homme qui pleurait sa femme enceinte. Leurs regards se croisèrent et tout fut dit, le malheur passé, le désespoir présent et la peur du futur.

Perte chère

Elii était allongée en position fœtale, la tête posée sur la poitrine de Mih elle rêvassait... Elle aimait sa vie. Elle aimait Mih, et cet enfant qu’elle allait bientôt mettre au monde. Dans un certain sens se dit-elle, elle était heureuse. La respiration calme de Mih était forte, il lui passa la main dans les cheveux, elle ferma les yeux pour apprécier pleinement ce contact avec les doigts de Mih. Plus rien d’autre n’existait que lui et elle, protégés par le cocon de leur appartement. Tout pouvait bien s’écrouler tant qu’ils restaient côte à côte, l’un contre l’autre et amoureux. Elii aimait ces moments pendant lesquels ses pensées vagabondaient, elle se sentait légère, flottant à l’extérieur du monde réel.
La bulle fut percée par le son strident de l’alarme, des phénix attaquaient.
- Pas de risques, dit Mih, comme d’habitude ils seront stoppés par la DCA ou les boîtes-piège.
- Tu es sûr ?
- Évidemment.
- N’empèche, je préférerai aller dans l’abri souterrain, ça serait plus prudent. Tu crois pas ?
Elle avait déjà commencé à se rhabiller, Mih fit de même, mollement. Ils entendirent soudain un bruit d’explosion tout proche, leur immeuble en trembla. Sitôt leurs vêtements enfilés ils se précipitèrent vers l’escalier pour le descendre. Un phénix fit alors exploser la chambre, l’explosion souffla Elii qui tomba dans les escaliers en roulant-boulant jusqu’à s’immobiliser contre un mur. Mih put s’accrocher et il vit toute la dégringolade de sa femme qui, si elle avait poussé quelques petits « aïe » au début de sa chute, était restée silencieuse depuis bien longtemps maintenant, bien trop au goût de Mih qui descendait les marches quatre à quatre.
- Elii ! Ça va ? Où est-ce que t’as mal ? Dis-moi ! (il la prit par les épaules et la secoua) Elii putain! Réveille-toi, merde !...
Il la secoua de plus belle mais c’était inutile, lors de sa chute elle s’était retourné le cou, se brisant ainsi la nuque. Des bruits d’explosion s’entendaient au loin, des Nnorkais paniquaient et couraient dans la rue. C’était probablement l’endroit le plus sûr, Mih y sortit en traînant le cadavre de son épouse. Il s’agenouilla auprès d’elle et sanglota. L’attaque semblait s’être calmée, plus aucun bruit d’explosion ne se faisait entendre.
Mih resta à contempler sa défunte épouse qu’il aimait tant, se préparant à un deuil qu’il n’arriverait jamais à faire. Combien de temps était-il resté ainsi, à fixer Elii ? Il ne saurait le dire. Le bruit d’un marcheur tira Mih de sa torpeur. Il portait une masse blanche informe dans les bras, il était impossible de deviner ce que c’était. L’attention de Mih se recentra sur Elii, il repleura tandis que l’inconnu passait avec son mystérieux bagage. Du coin de l’œil Mih vit dans quelle direction allait le marcheur, et après avoir couvert Elii d’un drap il décida de suivre cet homme.
L’inconnu avait un but précis semblait-il : le bord de la falaise. Quand ils y arrivèrent, Mih était resté vingt mètres en retrait. L’inconnu laissa tomber la masse blanche dans la lave. À ce moment il remarqua Mih mais n’y prêta pas attention, préférant regarder la lave en fusion. L’oiseau de feu sortit majestueusement de la lave, s’envolant et poussant un cri qui avait tout du remerciement. Mih s’avança et posa la main sur l’épaule de l’inconnu, celui-ci reconnut en lui l’homme qui pleurait sa femme enceinte. Leurs regards se croisèrent et parlèrent pour eux, leurs malheurs comme leurs espoirs étaient les mêmes, dans le fond de l’œil ils virent ce que chacun avait vécu.

Reconstruction

Et la vie reprit ses droits, il fallait bien. On oublia plus ou moins les morts et on commença à reconstruire. Le travail harassant permettait d’oublier le malheur de la perte d’un ou de plusieurs proches. Tous les Nnorkais valides furent réquisitionnés pour reconstruire, sous la surveillance de la Protection, les maisons de tous ceux qui avaient les plus hauts postes : contremaître en chef, superviseur général, etc. Les maisons et immeubles des « civils » pouvaient bien attendre, et c’est ce qu’ils firent. On colmatait les brèches avec ce qu’on pouvait, quand un corps était trouvé parmi les débris, on le jetait à la lave comme tous les autres, aucune chance ne devait être donnée aux microbes et virus. Des familles entières vivaient donc dans des taules, des planches, des recoins entre le pipe-line et des immeubles.
Les maisons des nantis terminées, les hommes furent autorisés à travailler sur la leur ou à aider pour celles des autres. Tous les bras s’activèrent et il était touchant de voir un bambin de cinq ans vouloir aider en apportant un caillou, une poignée de porte. Finalement la ville renaquit de ses cendres, tout fut reconstruit en quelques mois, pas en mieux, pas forcément à l’identique non plus.
Pendant la reconstruction des beaux quartiers, Mih et Mhocq, parce qu’ils avaient été inscrits au même moment, se retrouvèrent sur le même chantier, au même poste, où ils purent lier connaissance. Ainsi, Mih, jeune homme brun de vingt-deux ans, costaud et n’ayant plus que lui-même pour famille, devint ami inséparable de Mhocq, trente-quatre ans, de taille moyenne et aux cheveux rares et blancs, veuf et père inconsolables. Ils décidèrent de rebâtir l’ancienne immeuble de Mih et d’y vivre tous les deux, en amis, se promettant assistance mutuelle en cas de coup dur. Pour eux aussi le pragmatisme quotidien reprit ses droits. Mih retrouva son poste d’ouvrier au Cul-de-lave, et Mhocq tenait une taverne au rez-de-chaussée de l’immeuble, les alcools qu’il servait, distillés dans les fermes hydroponiques de Nnork, oscillaient entre vingt et quarante-cinq degrés.
Tout doucement la routine regagnait la vie nnorkaise, personne ne se doutait que tout allait basculer du jour au lendemain.

Étincelle

La ville de Nnork était bâtie sur une île rocheuse au milieu d’un océan de lave, d’où elle tirait son énergie. Au centre se dressaient les trois cheminées monstrueuses de la Trinité, fournissant la ville en électricité, en biens et en nourriture. Sur les bords de l’île, à cent cinquante mètres au-dessus de la lave, il y avait les boîtes-piège et l’artillerie anti-phénix de la Protection. Sur ces bords de falaise existaient également des habitations, mais pas de garde-fous. Les mères devaient constamment faire attention à leur progéniture, qui le plus souvent jouait à l’intérieur ou dans des petites cours closes. On ne comptait plus les ivrognes qui étaient tombés dans ce magma de roches en fusion. Malgré les demandes insistantes aucune barrière n’avait jamais été installée, on en bricolait avec des caisses, des pierres... Histoire de.
Cela faisait trois mois maintenant que la vile avait été reconstruite, sept mois que l’attaque avait eu lieu. Dans le quartier de l’extrème ouest de Nnork, à vingt mètres du bord de la falaise, des enfants de quatre à sept ans jouaient à chat. Tous couraient et cherchaient à se toucher. Leurs rires égaillaient la rue de pierre, les murs sales, les visages des adultes qui les entendaient. Au fur et à mesure du jeu ils s’approchaient du bord et des barrières de fortune. Heureusement à chaque fois une mère les rappelait à l’ordre et ils reculaient.
Pourtant à un moment où toutes les mères eurent le dos tourné, les enfants restèrent au bord. Comme souvent le jeu dégénéra en chamaillerie. Pour y échapper un garçon monta sur une des caisses instables qui constituaient le garde-fou ; en pleurs, il fut rejoint par son ami, lui aussi moqué par le reste du groupe. Les cris, les pleurs, attirèrent le groupe d’adultes qui s’effraya de ce qu’il vit : deux garçons sur une caisse prête à chuter dans la lave cent cinquante mètres plus bas. Aussitôt on voulut faire descendre les bambins de la caissette de soixante-dix centimètres, il valait mieux qu’ils le fassent eux-même, tant il serait dangereux qu’un adulte fasse un geste brusque. Une mère s’approchait doucement pour raisonner les deux garçons qui ne voulaient pas venir.
A ce moment passa au pas de gymnastique une patrouille de six hommes de la Protection dans leur uniforme bleu et blanc réglementaire. Ils criaient : « Place ! Place ! Laissez-nous passer ! » Ils longeaient la falaise pour faire la tournée des artilleurs et ils étaient en retard sur l’horaire, il fallait qu’ils se pressent. Ils ne virent pas les deux enfants et bousculèrent la mère qui était à côté d’eux. Celle-ci, à un pas des enfants, mit par réflexe ses bras en avant pour se rattraper. Elle toucha les deux garçons et les fit tomber. Elle-même glissa la tête la première dans le vide. Le groupe entier alla au bord pour les voir tomber. La lave était plus froide à Nnork qu’au Cul-de-lave, c’est pourquoi les corps brûlèrent en la touchant mais mirent un certain temps à s’y enfoncer.
C’était la consternation, même les six hommes de la Protection s’étaient arrêté. Ils étaient désemparés, c’était de leur faute. Un silence pesant s’installa, des regards accusateurs se posèrent sur les Protecteurs alors que la foule grossissait. Le commandant de la patrouille ordonna qu’on les laissât passer, puis à ses hommes de tirer à vue. Les subalternes hésitaient, dégainer signifiait s’exposer à une attaque des civils en face. Pourtant l’un d’eux prit son fusil attaché dans le dos. Cela suffit à provoquer la colère d’un homme des badauds alentours.
Mih se rua sur le membre de la Protection et se saisit de son arme. Ce geste enclencha un mouvement de foule et les six hommes furent dépouillés sans avoir eu le temps de faire quoi que ce soit. Les plus chanceux furent fusillés, d’autres battus à mort tandis que l’un se retrouva dans la lave, son corps s’enfonçant doucement dans le magma en fusion. La foule s’était vengé, pourtant l’excitation ne retombait pas, il fallait continuer. Une lame de fond était partie, rien ne pourrait l’arrêter, elle allait se diriger vers la Trinité, c’est-à-dire les quartiers hébergeant ceux qui les gouvernaient. Ils allaient payer pour tout. Ils avaient déjà trop enduré pour supporter ces trois nouvelles victimes.
Mih comprit cet état de fait, et qu’il fallait quelque chose, ou quelqu’un, pour canaliser toute cette force. Il demanda à deux costauds à côté de lui de le soulever avec leurs épaules. Alors il dit à la foule ce qu’elle voulait entendre :
- Gens de Nnork ! Rappelez-vous ce que vous racontaient vos grand-parents ! Quoiqu’en disent nos dirigeants des Beaux quartiers, aucun progrès n’a été effectué depuis. C’est même presque pire. Nous devons renverser le pouvoir, montrer qui nous sommes, abattre ces chiens qui nous gouvernent!
Mih marqua un temps d’arrêt, laissa les deux cents personnes présentes l’ovationner, puis levant les bras dans un geste d’apaisement il reprit :
- Armons-nous ! attaquons et détruisons ces cheminées de la Trinité, symboles de notre asservissement !
Un seul cri s’éleva de la foule, celui de l’envi d’en finir avec cette vie une bonne fois pour toues ; la lame de fond devenait un raz de marée, un tsunami.
Mih aperçut Mhocq dans les premiers rangs, descendit de son estrade improvisée et alla à sa rencontre.
- Mih, ces gens attendent tes ordres, tu es leur chef maintenant. Qu’est-ce que tu décides ?
- Prends vingt hommes bien armés, fonce vers une batterie de DCA, investis-la et ensuite braque-la sur la cheminée du milieu et pilonne, à pleine puissance. Il faut détruire cette merde, compris ?
- O.K. Et toi ?
- On va attaquer les beaux quartiers par le sol, il faut calmer la foule, des nantis feront l’affaire. Je veillerai à ce que les gosses soient épargnés. Maintenant, commence ton recrutement.
- Bonne chance.
- Toi aussi.
Mhocq disparut dans la masse, cherchant des armes dignes de ce nom. Pendant ce temps, Mih, remonté sur les épaules des deux costauds, répétait ses projets à la foule, une foule prête à les exécuter sans sourciller.

Baptême du feu

Mhocq trouva seize hommes et femmes armés de fusils à énergie, plus onze autres armés de revolvers à balles. Six fusils provenaient de la patrouille, un des revolvers également, il appartenait au commandant de la patrouille. Les dix autres fusils et revolvers provenaient de deux batteries de DCA qui venaient d’être saccagées par des émeutiers, leurs occupants - même ceux qui avaient manifesté le désir de se rendre- avaient été sommairement précipités du haut de la falaise pour aller choir dans la lave. Mhocq apprit ces faits en restant de marbre, la seule chose qui le chagrina fut qu’ils auraient à aller plus loin pour trouver une batterie de DCA en état de marche. Un fois qu’il leur eut communiqué les ordres de Mih, la petite troupe de vingt sept personnes partit au pas de gymnastique, Mhocq à sa tête.
L’atmosphère de révolte était palpable, comme si l’excitation des gens se transformait en électricité et parcourait l’air. Mhocq ne vit dans la rue que des bambins surveillés par des vieillards, tous ceux en âge de se battre suivaient Mih, il devait être à la tête d’au moins mille personnes, voire plus, songea Mhocq.
Des boules d’énergie fendirent l’air. Deux coéquipiers de Mhocq furent fauchés. Le reste de l’équipe parvint à se cacher derrière des décombres ou dans les portes entrebâillées. Les corps des deux victimes gisaient fumant dans la poussière de la rue longeant la falaise. Cinq hommes de la Protection avançaient, se couvrant mutuellement. Les tirs de l’escadre de Mhocq passaient loin des hommes bleus et blancs, personne ne savait réellement viser. De sa cache en première ligne Mhocq ne pouvait rien faire : il n’était pas armé. L’homme et la femme qui l’encadraient en revanche tiraient à tout va, et même s’ils ne touchaient personne ils gênaient la progression des Protecteurs. Mais cela n’empécha pas un soldat de détruire un baril derrière lequel se cachait un homme armé d’un revolver. Se sachant mort il vida son chargeur sur le militaire le plus proche et parvint à le toucher à la cuisse avant de tomber, la tête explosée par des fusils à énergie. Une balle dans la cuisse, l’homme de la Protection tomba à genou, devenu cible facile il mourut sous les feux d’une quinzaine de personnes.
Soudain sortit en courant d’une maison un gamin. Avant même que l’on ait eu le temps de réagir, des tirs des deux côtés le tuèrent. Les deux camps cessèrent le feu, effarés par ce massacre, ce qui avait été un enfant de six ans n’était plus que des morceaux de viande brûlés et criblés de balles. Mhocq profita de cette accalmie pour ramper hors de son refuge et s’emparer du fusil le plus proche. En le saisissant un bras suivit, les doigts accrochés à la gâchette, le moignon à la hauteur du coude cautérisé par la chaleur. Il eut à peine le temps de revenir derrière les caisses protectrices que les tirs reprenaient. Afin de dégager le fusil du bras, Mhocq prit l’arme de son compagnon, posa le canon sur le poignet et tira. Sous le choc les doigts se détendirent et Mhocq put se servir du fusil. Pendant ce temps un deuxième homme de la Protection était tombé. Mhocq en toucha un troisième au haut de la cuisse, ce qui lui coupa la jambe. Dans une gerbe de sang sorti de l’artère fémorale le soldat tomba, Mhocq visa la tête et l’acheva.
Restaient donc deux membres de la Protection à tuer, ils se cachaient dans une ruelle attenante. Une explosion soudaine les en délogea, tels des torches vivantes.
- D’où ça sort ? demanda Mhocq à sa voisine.
Enlevant de sa main de nacre la mèche de cheveux crépus qui tombait sur un de ses yeux bridés, elle répondit qu’elle ne comprenait pas non plus. Un des deux soldats renversa les caisses gardes-fous et chuta dans la lave, l’autre tomba à terre où il se consuma. Trois jeunes femmes déboulèrent de cette ruelle avec des bouteilles desquelles dépassait un chiffon. Elles firent des grands signes en direction de la troupe de Mhocq. Ce dernier remarqua qu’ils n’étaient plus que vingt-et-un, onze cadavres jonchaient le sol, dont celui du minot.
Mhocq demanda aux trois femmes - renfort inattendu - ce qu’elles faisaient là. Elles répondirent qu’elles comptaient rejoindre Mih et que c’était dans ce but qu’elles avaient confectionné une demi-douzaine de cocktails Molotov. En entendant les tirs elles étaient venues et s’étaient aperçu qu’elles pouvaient aider, la suite Mhocq la connaissait. Ce dernier leur conseilla de se dépêcher, avant de désigner deux hommes pour jeter les corps au bas de la falaise. Neuf fusils furent récupérés, ceux qui avaient déjà un revolver coincèrent l’arme de poing entre le pantalon et le ventre, à gauche ou à droite selon la convenance. La petite troupe de dix-neuf personnes reprit sa progression vers la batterie de DCA, elle n’était plus qu’à deux cents mètres.
Rentrer dedans fut aisé : la tourelle était vide car leurs occupants venaient d’être tués dans la bataille juste avant. La petite troupe trouva le canon sous tension. Mhocq désigna deux hommes et deux femmes pour qu’ils restent avec lui, aux autres il ordonna de surveiller l’entrée. Il s’assit sur le siège et s’empara des poignées. Le maniement était intuitif : pour tourner à gauche il suffisait d’appuyer sur une pédale avec le pied gauche, système identique pour aller à droite. Les yeux rivés sur l’écran Mhocq actionna la poignée de droite, une boule d’énergie sortit du canon, passa par la meurtrière et s’en fut au loin. Satisfait il sourit et pressa la pédale de gauche pour faire un tour complet.
- Dégagez le mur s’il vous plaît ! cria-t-il à ses quatre compagnons pour qu’ils s’écartent du mur qui donnait sur la ville. Le tir fit voler le béton en éclat et offrit un panorama sur Nnork avec en fond les cheminées de la Trinité. Mhocq plaça la croix de visée de l’écran sur la cheminée du milieu, il appuya sur ce qui lui semblait être le bouton de confirmation et instantanément des traits verts entourèrent la cheminée, comme du fil de fer, dans un coin de l’écran s’affichèrent la distance de la cible, sa hauteur, etc. Mhocq verrouilla et tira cinq coups successif. Ils firent tous mouche.

La menace tombée du ciel

La cheminée s’effondra sur elle-même, la partie supérieure restant perpendiculaire au sol, écrasant la partie inférieure et l’usine en-dessous. Les gravats et la poussière submergèrent les habitations autours et les révolutionnaires qui envahissaient ce quartier nanti. Les quelques militaires qui protégeaient ce quartier avaient été dépassés par le nombre quand ils n’avaient pas rejoint spontanément la révolte en tuant leurs chefs. Le peuple était en passe de gagner, c’était presque trop facile. Cette pensée effleura Mih, qui s’en inquiéta, mais il la rangea dans un coin de son esprit afin de profiter de l’instant présent, un instant dont il était le principal bâtisseur. Il pensait déjà au futur et à tout ce qu’il faudrait faire une fois au pouvoir : une meilleure hygiène, une meilleure éducation, une possible colonisation d’un lieu plus agréable sur Moltenlava ou plus loin dans l’univers... Les projets ne manquaient pas.
Regardez le ciel !
- Mih ! regarde le ciel ! lui dit-on en lui agrippant le bras.
Crevant juste la couche permanente de nuages gris-noirs, des avions de combats bleus et blancs fondaient sur Nnork. Leur fuselage était plat, deux canons saillaient sur les côtés.
- Mais d’où viennent-ils ? souffla Mih.
D’un lieu dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence...

Raid punitif

Nabi Yar-Vuih était le capitaine de l’escadrille envoyée pour écraser cette rébellion, qui avait pris des proportions auxquelles le Conseil ne s’attendait pas. Et il en était fier, ce grand Aryen en aurait souri si son équipement de vol le lui avait permis. Il pencha son appareil pour voir la totalité de Nnork, ils étaient encore très hauts et l’île se découpait nettement au milieu de la lave. A la gauche de Nabi il y avait Det, Eurasien aux cheveux blonds, vieux camarade de promotion du capitaine.
Le capitaine Yar-Vuih de l’escadrille 7 brancha son ordinateur de combat et lança un ordre de dispersion et de bombardements des lieux de rassemblements suspects, les cinq appareils qui l’entouraient, par contre, devaient le suivre pour détruire la batterie de DCA d’où étaient partis les coups qui avaient détruit un élément de la Trinité. Les véhicules de combat verrouillèrent la tourelle et tirèrent simultanément de leurs canons jumelés. Douze boules d’énergie allèrent exploser le bâtiment qui abritait Mhocq. En passant au-dessus des débris Nabi et ses hommes évitèrent facilement les tirs du groupe resté en faction dans la rue selon les ordres de Mhocq. Les six avions firent demi-tour et lors du deuxième passage ils bombardèrent ce groupe, faisant voler les corps et une ou deux maisons au passage.
Un ordre venu de ses supérieurs s’afficha sur l’écran de Nabi, un ordre qu’il s’empressa de communiquer à tous ses subalternes :
- Messieurs, c’est le capitaine Yar-Vuih qui vous parle. Nous avons ordre de mater cette rébellion dans le sang, quitte à faire autant de dégâts que la dernière attaque de phénix il y a sept mois. C’est-à-dire qu’ils faut disperser les groupes, poursuivre les fuyards et détruire les maisons où ils se réfugient. Terminé.
Nabi venait juste de rejoindre le groupe le plus important autour de la Trinité. Mais d’autres avions couvraient tout Nnork, semant terreur,destruction et mort.

Embuscade

- Mais d’où viennent-ils ? venait de souffler Mih.
La panique gagna les révolutionnaires et la foule commençait à se disperser quand le bombardement commença. Mih comprit que pour survivre il fallait s’organiser, s’organiser si l’on voulait descendre ne serait-ce qu’un de ces engins de guerre. Il prit à part les neuf personnes qui l’entouraient, toutes armées de fusils, et leur expliqua son plan juste après s’être abrités sous des gravats.
- Les avions volent en rase-motte de là à là dit-il, accompagnant ses paroles d’un geste du bras. Ils sont trois ou quatre en file indienne, on peut en descendre un voire plus, et changer de planque juste après. C’est faisable. On va faire payer cher à ces fils de pute.
Mih avait vu juste, l’instant d’après trois appareils rasaient la place où juste avant il échafaudait des plans d’avenir. La dizaine de fusils tira trop tard pour toucher l’avion de tête, celui du milieu par contre vola en miettes sous l’effet des dix armes à énergie, le troisième pila et s’échappa du piège à la verticale. Mih jura, un sur trois, c’était bien maigre. De plus il fallait changer de cache au plus vite avant qu’ils ne soient bombardés et ce au pas de course. Ils virent un corps vêtu d’un équipement de vol bleu et blanc. L’éjection automatique lui avait sans doute fait perdre connaissance mais il était vivant. Il constituait un prisonnier intéressant, c’est pourquoi Mih ordonna qu’on l’emportât.
Chercher une nouvelle planque fut inutile, Nabi venait de recevoir l’ordre de rentrer à la base, là-haut, dans un endroit que les Nnorkais ne connaissaient nullement, loin au-dessus des nuages.
C’est cet instant que la nuit choisit pour tomber.

Veillée funèbre

Les lampadaires des rues s’allumèrent plus ou moins, selon qu’ils avaient ou non été détruits par le raid punitif. Entre deux bâtiments effondrés dans une rue sombre, un carré de lumière se découpait. De l’autre côté de cette fenêtre une salle carrée aux murs décrépis, éclairée par une unique ampoule pendue à son fil électrique. Dans les décombres de la tourelle de DCA les corps de ceux qui l’avaient investie avaient été retrouvés. C’est Mih qui avait insisté pour que l’on déblaie chaque pierre, il savait que Mhocq était en-dessous.
Affaibli par de multiples contusions et une hémorragie interne, Mhocq était allongé sur une couche dans un coin. Seul Mih était accroupi à son chevet, les autres faisaient silence au centre de la pièce. Mhocq voulut parler :
- On l’a eue... on l’a eue... la cheminée... (la voix était faible, râlante, des fois elle n’était qu’un soupir. ) Ils venaient d’où... ces... avions ? ... Ils venaient d’où ?
- Je sais pas. Personne ne sait. Mais on a capturé un pilote qu’on va questionner.
- Tu me diras, hein ? Tu me diras. (Le ton était à la fois affirmatif et suppliant. )
- Bien sûr Mhocq.
Mih vit son ami tourner la tête sur le côté, fermer les yeux et enfin s’arrêter de respirer. Il regarda le groupe dans la pièce et annonça :
- C’est fini.
Il sortit dans la rue, suivit par deux de ses compagnons. Il savait que le corps de Mhocq serait jeté dans la lave très vite, par ceux qui étaient restés. D’un pas rapide il sortit de la rue à moitié rasée et se dirigea vers le lieu où était retenu le pilote.

Réunion au sommet

La salle du Conseil était éclairée uniformément, ce qui faisait qu’il n’existait aucune ombre dans cette pièce aux murs d’un blanc immaculé. De la forme identique à celle de la pièce, la table ovale se terminait à un bout par un siège un peu plus haut que les autres, c’était d’ailleurs la seule place inoccupée. Autour de la table, les membres du Conseil attendaient, silencieux dans leurs toges blanches à liserès jaunes. Quelque fois un chuchotement perçait le silence, et s’arrêtait aussitôt.
Les portes du côté du siège le plus imposant coulissèrent pour laisser passer deux gardes en uniforme bleu et blanc d’apparat, et un vieil homme aux longs cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules. Il passa devant son siège et posa les mains sur la table, les doigts raidis. Un à un les autres membres autours de la table saluèrent cet homme par ces mots : « Conseiller suprême Otch Yan-Zuih, je vous salue. » et ainsi de suite jusqu’à ce que le tour de la table soit fait. Enfin Otch s’assit, examinant du regard chacun des membres du Conseil. Il prit la parole, un micro très fin montait à sa bouche et amplifiait ses paroles, si bien que sa voix venait de partout et de nulle part :
- Messieurs, l’heure est grave. La révolte d’aujourd’hui a fait plus de dégâts que nous ne pouvons en tolérer, et elle nous a coûté très cher, un pilote a été capturé. Heureusement nous pouvons le localiser grâce à son moniteur greffé sous la peau, ce qui nous permettra de capturer dans le même coup les meneurs de cette insignifiante rébellion. Général Alt-Houess, votre avis sur la question ? (Il avait posé la question en tournant son regard vers cet homme chauve et au nez crochu. )
- L’attaque par les airs serait inutile pour reprendre le contrôle de Nnork, je propose une invasion avec un commando de choc, qui arriverait par la téléporte sous la Trinité. Il nous faut deux jours pour préparer cette opération, plus une petite journée pour faire surface à Nnork, c’est-à-dire qu’il faut déblayer les débris de la cheminée. Une fois sur place le commando trouvera le pilote, capturera les leaders, et nous ferons ensuite une invasion de masse pour montrer aux Nnorkais ce dont nous sommes capables. Je crois que nous, les vrais dirigeants de cette ville, sommes un peu trop discrets. Pensez que cela faisait un peu plus de deux cent-cinquante ans que nous n’étions pas intervenus directement en ville. D’autre part...
- Merci pour ces considérations politiques fort pertinentes général Alt-Houess, mais ce n’est pas votre rôle, concentrez-vous sur les problèmes militaires.
L’interruption du Conseiller était polie mais ferme, le général baissa les yeux, penaud. Otch Yan-Zuih reprit la parole :
- Néanmoins, votre plan est intéressant, nous l’adoptons à l’unanimité, comme je peux le voir sur mon écran. Félicitations.
Autour de la table tout le monde acquiesça en silence. Puis le Conseiller Suprême quitta la salle, suivi des deux gardes. Les autres membres du Conseil firent de même, par la porte du côté opposé.

Retour au Cul-de-lave

- Oh Mih ! Magne-toi ! On part !
C’était Trest qui le tirait de sa contemplation de la lave, de ses bulles qui éclataient, des fumerolles et des geysers au loin, où volaient quelques phénix. Le minage du Cul-de-lave était terminé, la plate-forme offshore allait bientôt exploser. Mais avant il valait mieux se trouver dans la navette.
La destruction de cette plate-forme était plus un acte symbolique qu’autre chose, il s’agissait de montrer aux chefs, où qu’ils soient, de quoi les Nnorkais étaient capables, y compris si la défaite de la révolte était imminente. Ça, ils le savaient tous. Mih avait insisté pour accompagner l’équipe de sapeur, il voulait revoir cette Mer de lave qu’il aimait tant.
Un dernier regard avant d’embarquer, sitôt la porte fermée la navette décolla, le trajet était long jusqu’à Nnork. Une fois hors de portée du souffle de l’explosion, ce fut Mih qui eut l’honneur d’appuyer sur le détonateur. Les piliers de la plate-forme s’effondrèrent dans un fracas assourdissant, le reste suivit et disparut dans la lave. Le Cul-de-lave n’était plus. Mih était ému, c’était presque sa deuxième maison qui explosait ainsi.
Le retour de six heures à Nnork fut silencieux, tout le monde savait qu’ils étaient en sursis, la Protection était plus puissante qu’ils ne le croyaient, elle sortait d’un lieu inconnu, au-dessus des nuages, un lieu dont on n’avait pas entendu parler depuis plus de deux siècles à Nnork. La Protection risquait de les cueillir dès leur arrivée, ou pire encore, de les pulvériser en plein vol.
Mais le plus important, c’était l’interrogatoire du pilote, qui n’avait toujours pas desserré les dents depuis deux jours, malgré la torture. Peut-être avait-il parlé entre-temps, ils verraient bien. Ce pilote dirait d’où il venait, ce qu’il y avait au-dessus des nuages.

Interrogatoire

Les craintes de l’équipe d’artificiers du Cul-de-lave ne se réalisèrent pas, ils se posèrent sans problème dans les hangars nnorkais et ensuite Mih se précipita pour retrouver le pilote otage. La nuit tombait. En entrant dans la pièce où il était interrogé, Mih se rendit compte que rien ne s’était déroulé en son absence. N’était l’odeur de chairs grillées, les fils électriques autours des doigts de pieds du pilote, les traces de piqûres et les seringues vides sur une table à côté, rien ne trahissait l’interrogatoire musclé qui venait d’avoir lieu. Enchaîné sur une table, le prisonnier restait silencieux, un peu de sueur sur son front, attendant la prochaine vague de souffrances.
Mih se tourna vers un homme assis sur une chaise à côté de la table.
- Il n’a toujours pas parlé, c’est ça ?
- En effet, il est très fort, il fait même de l’humour cette enflure.
Sur ce il lui cracha au visage, l’enchaîné ne broncha pas. A ce moment deux personnes entrèrent dans la pièce, l’un des deux, un grand Noir aux yeux vifs et ronds, tenait un flacon sur lequel était dessiné un point d’exclamation et des caractères inconnus, vestiges d’un alphabet usité en des temps fort lointains. Le gamin roux qui l’accompagnait prit la parole :
- Ça, ça devrait marcher, c’est le vieux Courlic’h près du pipe-line qui nous l’a confirmé. C’est très vieux qu’il a dit, et très fort aussi. Après il a dit qu’il fallait faire attention avec les doses, parce que on pouvait en mourir.
- C’est très bien petit, lui dit Mih en lui remuant vigoureusement les cheveux, retourne chez tes parents maintenant, c’est pas un endroit pour un gosse.
- Mes parents sont morts M’sieur, ils vous ont suivi et même que mon papa c’est un des deux gars qui vous ont porté pour votre discours.
Mih sursauta, il ne s’y attendait pas, ce gamin devait avoir quatorze ans à peine. « Quel gâchis » pensa-t-il. Pourtant il fallait continuer, il vint en tête à Mih une expression avec une omelette et des œufs, mais il n’arriva pas à la formuler.
Le grand Noir avait pris une seringue et il venait de dévisser le bouchon du flacon si dangereux. Il mit ensuite l’aiguillon de la seringue dans le liquide et commença à en aspirer quelques millimètres cubes.
- C’est quoi ? demanda Mih.
- Un sérum de vérité, répondit le Noir sans cesser de se concentrer sur son travail, Courlic’h nous a certifié que personne ne pouvait y résister. Ça date d’une époque lointaine, civilisée. Lààà, c’est fini, pile deux millimètres cubes. Au-delà c’est la mort assurée nous a-t-il dit. Voyons voir si ça va décoincer le monsieur.
Tout en disant ces mots il avait pratiqué l’injection dans la grosse veine du bras. Le pilote poussa un petit gémissement et faillit tourner de l’œil. L’homme qui était assis à son chevet lui passa une éponge humide sur le front et il reprit ses esprits. Sa respiration s’accélérait, le liquide faisait son effet.
Mih prit l’initiative et posa la première question :
- Alors, qui es-tu ?
D’une voix essoufflée, le pilote répondit :
- Soldat-pilote Wilker Alg-Nache, de l’escadrille 7 sous le commandement du capitaine Nabi Yar-Vuih. Quatre ans d’ancienneté. (La voix était monocorde, il disait son texte comme s’il l’avait appris par cœur. )
- O.K., maintenant, dis-nous d’où tu viens, au-dessus des nuages...
- Orbital, Orbital, c’est de là que je viens.
- Et qu’est-ce que c’est ça, Orbital ? demanda le Noir.
- Un immense dôme en orbite géostationnaire à la verticale de Nnork.
- Quel rapport avec Nnork ? demanda Mih qui commençait à comprendre.
Wilker ricana :
- Le rapport ? Il y a un téléporteur sous la Trinité, c’est par là que s’en va une grande partie de ce que vous fabriquez. Et vous l’ignorez ! Ah ! C’est risible, hi hi... Hôô, pourquoi je leur dis tout ça moi ? Saloperie de sérum, comment ça se fait qu’ils en ont encore ces barbares ? Mais le pire dans tout ça mes bons amis, c’est que nous avons découverts il y a au moins trois cents ans un moyen de se passer de l’énergie de la lave. Depuis trois siècles le mouvement perpétuel est connu et expérimenté, mais on préfère vous voir trimer pour nous sans le savoir. Et de plus, j’ai greffé dans mon corps, je ne sais pas où exactement, une balise grâce à laquelle ils vont me localiser. Je sais depuis cinq petites minutes qu’un commando est en place sous les décombres de la cheminée et qu’ils déblaient pour une invasion de masse. Je ne donne pas chère de la révolution nnorkaise.
Sur ces mots il tomba dans le coma, la dose était un peu trop forte pour son gabarit. On tâta son pouls, il ne cessait de ralentir. L’homme qui était au chevet de Wilker se leva et demanda d’une voix inquiète si l’on pouvait prendre au sérieux ses dernières paroles. Mih le regarda tristement :
- Malheureusement c’est possible...
Le grand Noir s’empara du gamin qui dormait dans un coin, salua ses deux compagnons et sortit, portant l’enfant sur les deux bras. Mih prit une couverture et recouvrit le corps du pilote. Sur la chaise l’homme dormait déjà, avachi. Un matelas traînait, Mih se jeta dessus et s’endormis, anxieux et inquiet du lendemain.

Enlèvement

L’aube pointait, la ville se réveillait doucement. Un chien pelé et boiteux reniflait les décombres de la cheminée du milieu, de temps en temps il jappait, comme s’il avait quelque chose à révéler à qui voulait l’entendre. Il grattait une pierre quand soudain tous les gravats se mirent à trembler. La montagne de débris explosa d’un coup, faisant voler le chien et les tonnes de pierres. Dans le nuage de poussières créé par cette explosion se dessinèrent une vingtaine de silhouettes, toutes armées.
- Papa ! papa ! Réveille-toi !
Le gamin secouait son père qui se réveillait doucement.
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Des monsieurs sont sortis du tas de pierres.
Au moment où l’enfant parlait, le commando de choc passait devant la maison et se dirigeait vers le bip de la balise du pilote, mort maintenant. Arrivé devant la maison où dormaient Mih et son compagnon, le commando défonça la porte et entra en silence. Mais le bruit avait réveillé les deux hommes. Le commando les braqua avec leurs armes pendant que l’un d’eux constata avec un appareil inconnu la mort du pilote Wilker Alg-Nache. Après un signe de tête positif, les hommes qui braquaient Mih et son compagnon appuyèrent sur leur gâchette, puis pour les deux victimes ce fut le trou noir.

Le dôme en orbite

Mih ouvrit difficilement les yeux, son crâne lui faisait mal, ses jambes aussi. Tout son corps était encore engourdi. Il essaya de bouger les bras mais une douleur violente lui tenailla les poignets, il était attaché. En tournant les yeux il découvrit qu’il avait un compagnon de fortune, l’homme qui avait dormi sur la chaise était attaché non loin de lui, il regardait de manière angoissée autour de lui. Mih fit un pssit en sa direction, en serrant les lèvres. L’homme tourna la tête dans la direction de Mih, ce dernier chuchota :
- Je m’appelle Mih, et toi ?
- Herk, et je te connaissais déjà, Mih, bravo pour ton discours. Je te suivrais jusqu’au bout, et c’est ce qui arrive.
Mih réussit à sourire tandis que Herk se tortillait pour trouver une position plus agréable à supporter. Juste à ce moment, trois hommes en uniforme de la Protection entrèrent par la porte coulissante de la cellule, elle grinçait et faisait vibrer les cloisons sales. L’un des soldats appuya sur un interrupteur et instantanément les liens se desserrèrent, Mih et Herk étaient en liberté, néanmoins surveillés par trois fusils.
- Regardez un coup par le hublot, dit l’un des trois soldats.
Mih et Herk se levèrent et se dirigèrent vers le cercle transparent, au travers duquel ils purent contempler l’immensité galactique parsemée d’étoiles, étoiles qu’ils n’avaient jamais pu voir auparavant à cause de la chape de nuages dans le ciel de Moltenlava. Bouche bée ils regardaient l’espace quand apparut dans leur champ de vision un dôme gigantesque, vers lequel ils se dirigeaient.
- Vous vous demandez ce que c’est, n’est-ce pas ? Hé bien il s’agit d’Orbital, ma ville natale, ainsi que celle de vos chefs, les vrais chefs de Nnork. Ne vous inquiétez pas, vous aurez tout le loisir de les rencontrez, allongés sur une table à torture, ou enchaînés dans un cachot.
Mih lança un regard méprisant à l’homme qui parlait, celui-ci ne s’en aperçut pas, il commençait à décrire la vie sur Orbital, infiniment plus douce qu’à Nnork. « Sans blague ! » pensa Mih.

Des hôtes de marques

La navette entra dans un immense trou béant, la porte du hangar principal d’Orbital. L’appontage était brutal, surtout quand on n’était pas confortablement installé, ce qui était le cas de Mih et de Herk. La porte de la navette s’ouvrit dans un chuintement et dans le grincement des gonds, une fois ouverte elle offrit un plan incliné sur lequel les deux prisonniers furent invités par leurs geôliers. Ils descendirent et traversèrent un gigantesque parking de navettes, astronefs et vaisseaux spatiaux en tous genres ; certains étaient monoplaces, d’autres auraient pu contenir aisément la population nnorkaise.
Le groupe arriva devant une porte blanche immaculée qui tranchait avec le mur gris sale autour. Cette porte s’ouvrit et Mih et Herk furent bousculés, poussés, et se retrouvèrent dans un couloir trapézoïdal du même blanc que la porte. Celle-ci se ferma avec un bruit mat. Les deux prisonniers s’aperçurent qu’ils étaient seuls. A l’autre bout du couloir une porte s’ouvrit et ils virent arriver un vieillard noir, avec une barbe blanche cotonneuse courte et des cheveux de la même nature qui ne poussaient que sur les bords de son crâne, il portait la tunique blanche à liserè jaune du Conseil. Levant la main droite en signe de non-agression il s’adressa à Mih et Herk sur un ton calme et posé :
- Soyez les bienvenus. Je suis le Conseiller Ehio Alik-Huine, je suis chargé de vous guider jusqu’à la salle du Conseil afin que vous y soyez entendus, et vous aurez aussi droit à une petite explication. Si vous voulez bien me suivre...
Il avait accompagné sa dernière phrase d’un geste d’invitation, ensuite il tourna le dos au deux prisonniers et se mit à avancer.
Herk profita de cette occasion pour se jeter sur Ehio : d’un bond il mettrait ses mains autours de son cou et l’étranglerait rapidement. Mais alors qu’il se ruait sur le Conseiller, Herk fut propulsé en arrière par une force invisible. Son dos cogna bruyamment le mur, il eut du mal à se relever. Mih n’en croyait pas ses yeux, ils n’étaient que trois dans le couloir, qu’était l’origine de ce qui avait projeté Herk si violemment ? Ehio ricana et leva la main gauche qui tenait un boîtier noir.
- Ceci est un créateur de champ répulsif, rien ne peut traverser une telle chose, je suis invincible. Vous croyiez que je serais sans défenses ? C’est touchant. Mais assez plaisanté, en route.
Durant tout son petit discours, le Conseiller ne leur avait pas accordé un seul regard, préférant leur tourner le dos. Mih aida son ami à se relever et tous deux le suivirent.
Sans avoir vu quiconque ou entendu un autre bruit que celui de leurs pas, Ehio, Herk et Mih arrivèrent devant une porte deux fois plus grandes que les autres, c’était celle de la salle du Conseil. Le Conseiller Alik-Huine se posta face à la porte et attendit quelques secondes que celle-ci s’ouvrit. Il entra alors dans la salle tandis que Mih et Herk entendirent une voix qui leur dit de faire de même.
La salle était pleine, outre la vingtaine de Conseillers il y avait quelques hommes et femmes debout sur les bords de la salle. Otch Yan-Zuih prit la parole :
- Voilà nos deux Nnorkais prisonniers. Mon collègue Ehio a déjà dû vous informer du programme, n’est-ce pas ?
- Pas tout à fait, répondit le Conseiller, je ne leur ai pas parlé de la suite...
- Oui, c’est vrai, vous n’avez pas eu le temps, et puis vous avez été assailli.
Cette remarque fit rire l’assemblée présente, à l’exception d’un homme. Mih et Herk étaient mal à l’aise, toutes ces paires d’yeux qui les dévisageaient ! et de quelle nature était l’omission d’Ehio quant au programme ?
- Messieurs, asseyez-vous sur ces tabourets, nous allons tout vous expliquer, leur ordonna une vieille femme digne.
- Expliquer quoi ? demanda Mih.
- Eh bien ! tout, reprit la vieille femme, les origines de Nnork, d’Orbital, la dernière attaque des phénix, tout.
- Merci Calia, je vais le faire...
- Bien sûr Conseiller suprême Otch Yan-Zuih. (Elle s’effaça pour laisser parler le Conseiller suprême, les lumières de la salle s’éteignirent, sauf un faisceau qui se concentrait sur Otch. )
Il se racla la gorge :
- Bien que sur Orbital nous sachions beaucoup de choses - plus que vous autres Nnorkais -, nous ignorons les origines exactes de la ville et de cette station. Les archives semblent soit avoir brûlé, soit s’être perdu, soit avoir été effacés des fichiers informatiques d’Orbital par un bug incontrôlable. Enfin, toujours est-il que tout est perdu à jamais. La seule chose que nous savons est que Moltenlava n’est pas la planète d’origine de l’Humain. Laquelle est-ce alors ? Pourquoi des Humains seraient-ils venus sur cette planète inhospitalière ? Pourquoi toute trace d’archives a disparu? Nous avons bien émis des théories pendant que les Nnorkais peinaient à survivre, ne connaissant rien de ceux qui les gouvernaient et croyant qu’ils vivaient autour de la Trinité, mais ce serait trop long et de toute façon vous ne comprendriez pas.
Enfin voilà, c’est ainsi que depuis dix-huit siècles - le plus loin que remontent nos archives historiques - Orbital dirige Nnork, sans que ces derniers le sachent. Seuls quelques contremaîtres en chef connaissent l’existence de la téléporte sous la Trinité, téléporte qui nous permet de recevoir tout ce que vous fabriquez.
Au sujet du mouvement perpétuel (il semblait à Mih qu’il lisait dans ses pensées, car il anticipait pour la deuxième fois sa question) effectivement nous le maîtrisons, mais si nous le mettions en pratique, les Nnorkais exigeraient une vie meilleure, comme sur Orbital, et cette station ne peut contenir plus de trois mille personnes. C’est pour cela que notre mouvement perpétuel, c’est vous mes chers Nnorkais, vous êtes aussi réguliers qu’une horloge, y compris pour vos révoltes qui se déroulent à peu près tous les deux-cent cinquante ans, c’est d’ailleurs les seules occasions d’envoyer des troupes autrement mieux formées que celle constituées de Nnorkais de souche.
Pour en revenir au problème de population, nous sommes aujourd’hui deux mille huit-cent quatre-vingts douze, ou treize, cela dépend si Xina a ou non accouché.
Au sujet des phénix, nous n’en savons pas plus que vous. Mais sachez juste que l’attaque d’il y a quelques mois aurait pu être évitée. Mais que voulez-vous ? Nnork risquait d’être surpeuplée, les phénix allaient procéder à une élimination d’une partie de la population. Et nous avions la conscience tranquille, pas de sang sur les mains...
- C’est faux ! vociféra un homme dans l’obscurité, le fait de ne pas être intervenu constitue un crime, comme si vous étiez intervenus avec les avions et que vous aviez bombardé la ville. Je vous avais prévenu de cette attaque, vous auriez dû éradiquer les phénix !
La lumière se ralluma et révéla le professeur Ago, rouge de colère. Le Conseiller suprême prit la parole :
- Professeur Ago, vous outrepassez vos droits ! Veuillez retourner à votre place et vous taire ! Vous n’êtes pas digne d’être présent dans cette salle. Vos idées sont... (il était ulcéré par la colère et avait du mal à trouver ses mots) inadmissibles de la part d’un habitant d’Orbital de votre rang ! (Otch hurla et couvrit les autres sons de la salle) Sortez cet homme, il est déchu de son rang !
Trois gardes empoignèrent le professeur et le tirèrent hors de la salle. Le calme revint au fur et à mesure que les regards se tournaient vers le Conseiller suprême et les deux prisonniers de Nnork. Un Conseiller chauve et imberbe, plutôt grand, se leva de son siège et commença à parler, de manière fort pour couvrir les discussions éparses qui avaient commencé :
- Je me permets de dévoiler la suite du programme pour nos deux invités, si le Conseiller suprême me l’autorise. (Le silence se fit, Otch opina du chef et le Conseiller reprit. ) Eh bien, écoutez-moi messieurs, vous risquez fort bien d’être exécutés sous peu, et le film de votre mort sera diffusé sur tous les écrans de votre misérable ville natale afin de servir d’exemple à la populace grouillante que constituent vos amis. Messieurs, ceci clôt cette rencontre. Gardes, mettez ces hommes dans le couloir de la ligne verte.

Tortures

Mih et Herk étaient dans une cellule aux murs d’un blanc parfait, elle était d’une impersonnalité à faire frémir. Un gros cube au centre de la pièce faisait office de table, deux plus petits servaient de chaises. Les lits étaient des plaques qui semblaient sortir du mur. Il régnait dans la cellule une lumière uniforme sortie de nulle part, elle s’éteignait pendant six heures, les deux Nnorkais en profitaient pour essayer de dormir.
Cinq jours, cinq jours qu’ils attendaient que l’on vienne les chercher pour leur dire qu’ils allaient être exécutés. Cinq jours d’angoisse, cinq réveils en se disant que ce serait le dernier, autant d’assoupissements en pensant se réveiller pour mourir. Et toujours rien. Pas de visite, pas d’appel, le seul contact avec l’extérieur étant les deux fois dans la journée où une trappe s’ouvrait pour y laisser passer deux plats d’une purée fumante. Durant ces cinq jours Mih et Herk avaient peu parlé, craignant d’être écoutés. De toutes façons, un regard suffisait pour qu’ils se comprennent.
Le sixième matin (du moins la sixième fois que la lumière se ralluma) entrèrent deux soldats en bleu et blanc, suivis d’un Conseiller que les prisonniers n’avaient pas remarqué auparavant. Du menton il les invita à le suivre. Mih et Herk furent chacun encadré par six Protecteurs et ils commencèrent à marcher dans le couloir qui les menait, pensaient-ils, à leur mort, tout au bout de cette ligne verte tracée sur le sol.
Soudain ils obliquèrent et arrêtèrent de suivre la ligne verte. Ils prirent un couloir adjacent et s’avancèrent vers une double-porte, la seule du couloir, au fond. Les deux battants s’écartèrent en coulissant, laissant apparaître l’intérieur de la pièce : deux tables hérissées d’instruments étaient entourées par cinq ou six hommes et femmes habillés et cagoulés de noir, d’un noir plus profond que celui de la cellule lors des six heures de nuit artificielle. Mih et Herk doutèrent, ce n’était pas une salle d’exécution, et aucune caméra n’était là pour les filmer, contrairement à ce qu’on leur avait dit. Mais alors... ces tables...?
- Approchez, dit une des personnes en noir, veuillez vous allonger sur ces tables, afin que nous ne fassions pas usage de la force, mais juste de la technique que nous connaissons. Pour tout vous dire vous allez répondre à nos questions.
Les deux prisonniers obtempérèrent et s’allongèrent sur les étranges tables, mettant leur membres dans les emplacements prévus à cet effet. De légers chocs électriques firent tressaillir les deux hommes. Après un court instant, des crochets se fermèrent sur les bras et jambes des Nnorkais. La personne qui portait une toge avec un liserè doré au bout des manches noires leva un bras et commença à parler :
- Nous allons vous expliquer pourquoi nous ne vous avons pas tués, pourquoi nous ne vous tuons pas : il reste des rebelles à Nnork, oh ! pas beaucoup, mais suffisamment pour nous causer souci. Ils sont bien cachés, et les recherches restent infructueuses. Nous pensons donc que vous êtes au courant de cette cache, et que vous pouvez nous dire où elle est. Dès que nous saurons, vous serez exécutés, votre mort mettant ainsi fin à vos éventuelles souffrances. Qu’en dites vous ?
- Nous ne savons rien de cette cachette rebelle, répondit Herk.
- Moui, nous avions prévu cette réaction, c’est d’ailleurs le but des tables sur lesquelles vous êtes attachés : vous faire retrouver la mémoire...

Ennemi salvateur

Herk ne mentait pas, ils ne savaient rien de la cache dont le Conseiller venait de leur parler. Malgré cela, et durant une demi-heure qui en parut dix, les deux Nnorkais reçurent des chocs électriques de plus en plus violents, jusqu’à ce que l’on juge que c’était suffisant pour le moment. Ensuite, extrêmement affaiblis, les deux prisonniers furent jetés au fond d’une cellule, exactement identique à la précédente. Dans leur demi-inconscience, ils réussirent à se traîner jusqu’à leurs lits et à s’y allonger. Ils sombrèrent tous les deux dans un sommeil noir.
Ils furent réveillés par le bruit de l’ouverture de la porte : un léger chuintement. Un homme entra dans la cellule, il avait une barbe blanche courte et était vêtu de la toge lavande des scientifiques d’Orbital. Mih, qui avait refait surface plus vite que son compagnon, reconnut en lui l’homme qui s’était opposé au Conseiller suprême lors de leur passage à la salle du Conseil, il se rappela qu’il avait été déchu.
- Qui... qui êtes-vous ? demanda Herk d’une voix éteinte.
- Je suis le professeur Ago, je viens vous délivrer, ne perdons pas de temps. J’ai avec moi deux hommes de la Protection qui sont prêts à vous aider, ils ont sur eux les plans du mouvement perpétuel. (Il semblait en proie à une agitation extrême.) Dépêchez-vous, nous avons peu de temps.
Encore à moitié endormis, les deux hommes sortirent de la cellule et suivirent le professeur et les deux militaires dans un dédale de couloirs sans fin, où seuls les habitants d’Orbital pouvaient se retrouver grâce aux indications peintes sur les murs. Ils n’avaient encore croisé personne, à croire que la station était vide de vie. Où étaient les Orbitaliens ? Mih allait poser la question à Ago lorsqu’ils passèrent une dernière porte qui donnait sur les hangars. Le professeur savait où il allait, ils se faufilait entre les astronefs et les véhicules de combat vers un but précis. Dans un soupir de soulagement Ago annonça qu’ils étaient arrivés à son vaisseau, c’était une navette blanche avec un liserè lavande, le même que celui de la toge qu’il portait. D’une poche il sortit un boîtier et télécommanda l’ouverture de la porte latérale.
Alors que le battant coulissait, une toge blanche et dorée sortit d’entre deux astronefs et s’adressa au professeur :
- Je savais que vous tenteriez de partir, Ago, c’est pourquoi je vous attendais près de votre véhicule personnel. En revanche je ne pensais pas que vous auriez de la compagnie en la personne de deux Protecteurs et... (Les yeux du Conseiller s’écarquillèrent : il venait d’apercevoir Mih et Herk) Mais ! Mais ce sont !... Vous alliez vous enfuir avec les prisonniers ?! J’ai toujours su que vous étiez un nuisible Ago, et maintenant je vais me faire un plaisir de vous éliminer, comme tous les nuisibles.
Sans perdre de temps le Conseiller sortit une arme de sa poche et la pointa sur le professeur. Celui-ci fut touché en plein cœur mais dans l’instant qui suivit, une détonation sèche se fit entendre, il s’agissait de l’arme de l’un des deux soldats qui avait dégainé et tiré juste après le Conseiller. Ce dernier tomba, brûlé à la face. Sans un mot les quatre hommes montèrent dans la navette du professeur et pendant que les deux Protecteurs s’occupaient du décollage, les deux Nnorkais fermèrent la porte et allèrent se poster aux hublots, observer le hangar et les étoiles qui filaient à toute vitesse.
Il fallait faire vite, l’alerte n’allait pas tarder à être donnée, et ils devaient prévenir la population nnorkaise des représailles qui allaient bientôt pleuvoir sur la ville. Mih pensa à Ago, il était mort pour un combat qui n’était pas le sien. Mih se dit que pour cette raison il fallait tout faire pour remporter la victoire, retrouver la dignité de Nnork, se débarrasser d’Orbital.

Retour à Nnork

Sur la place des écrans c’était jour de marché, mais depuis la révolte les écrans étaient muets, les esprits moroses. L’apparition dans le ciel de la navette aux couleurs d’Orbital créa un mouvement de surprise d’abord, de panique ensuite. Les gens s’écartèrent de la place, laissant ainsi un espace suffisant pour que celle-ci se pose, sous le regard inquiet des Nnorkais qui s’étaient amassés dans les rues et ruelles adjacentes.
- Laissez-moi sortir en premier, ordonna Mih aux deux Protecteurs et à Herk, ils me reconnaîtront, ainsi ils seront en confiance.
La porte tomba, Mih descendit la rampe qu’elle formait et s’arrêta en bas.
- C’est Mih ! Regardez ! Je le reconnais, c’est lui !
Instantanément la foule se précipita vers la navette d’où sortirent les deux militaires et Herk. Dans la cohue général un homme s’approcha de Mih et lui dit de le suivre, il le conduirait à la cachette des rebelles. Mih comprit qu’il devait faire vite, une attaque punitive allait bientôt avoir lieu. Il suivit l’homme accompagné des deux militaires et de Herk.
Les cinq hommes se frayaient difficilement un chemin dans la foule, quand ils en sortirent ils se mirent à courir, le temps était précieux, chaque seconde trop courte. Ils entrèrent dans une maison à l’aspect normal et après avoir poussé un mur, ils empruntèrent un escalier en colimaçon de quelques marches, avant de s’engager dans un couloir suintant, bas et étroit, creusé récemment aux dires de leur guide. Ils débouchèrent dans une salle tapissée par endroit et mal éclairée, malgré cela elle avait un aspect chaleureux. La vingtaine de personnes- hommes et femmes- présentes et assises autours de tables tournèrent les yeux vers les arrivants. Des yeux qui se mirent à luire quand ils reconnurent Mih.
Il faisait chaud, très chaud même, et le vieux ventilateur n’y changeait pas grand chose.
- Bienvenue dans notre cache, dit une femme que Mih avait déjà vue, s’il fait chaud c’est parce que nous sommes enterrés très profondément, pas si loin de la lave, d’ailleurs plus loin au bout de ce couloir, un puits donne dessus, on y tire notre énergie. Vous avez sûrement beaucoup de choses à nous dire, asseyez-vous tous les quatre.
Le groupe s’assit, et ce fut Herk qui prit la parole le premier. Il ne raconta pas ce qui leur était arrivé, mais juste qu’ils s’étaient enfui grâce à un Orbitalien qui avait donné sa vie, et qu’un raid punitif risquait fort bien d’arriver sous peu, il fallait préparer une défense, ou du moins des protections, le plus vite possible voire immédiatement. Et eux, à Nnork, qu’avaient-ils fait pendant tout ce temps ? demanda Herk en conclusion.
- Eh bien, reprit un des hommes, nous avons construit cette cachette, efficace puisque nous y sommes toujours. Ensuite nous avons harcelé les Chefs contremaîtres, volé, fait une sorte de guérilla.
Mih prit la parole :
- Nous avons amené deux hommes qui pourront nous être utiles, ils sont dans notre camp. Et ce soldat, ce Protecteur, a dans sa poche - merci (le soldat venait de sortir les plans de sa poche et de les donner à Mih) - des plans du mouvement perpétuel. Ils ont également une idée pour détruire la ville spatiale d’où nous nous sommes échappés, la ville où vivent ceux qui nous gouvernent : Orbital. C’est un projet dont il m’a parlé dans la navette pendant le retour vers Nnork. Vas-y Fihl, explique leur.
- La cheminée détruite durant la révolte est presque finie, nous avons idée d’y monter une arme capable d’arriver jusqu’à Orbital et de la détruire. Cette arme s’appelle un SAM* , la cheminée servira de rampe de lancement. C’est possible à réaliser, les instructions nous ont été données par le professeur Ago lui-même, qui était un des plus grands scientifiques d’Orbital. Nous savons que l’attaque punitive pour l’évasion de Mih et de Herk n’aura lieu que demain au lever du jour, cela nous laisse la nuit pour monter ce SAM. Avec vos bras et nos plans c’est faisable. D’après le professeur, tout le matériel nécessaire se trouve au chantier, il n’y aura donc rien à transporter.
- Qu’as-tu dans ton sac ? demanda un jeune homme taciturne.
- Ça, c’est la tête du missile, répondit Fihl en sortant de son sac une petite pyramide avec un manche en-dessous, c’est ce qui explose. Ce boîtier c’est l’ordinateur de lancement que je branche au missile pour le faire décoller. D’autres questions ?
Il y en avait pas. La nuit allait tomber dans deux petites heures, chacun se préparait à l’avoir blanche.


Sur le chantier

Le chantier n’était pas gardé, aussi le groupe y pénétra-t-il facilement. Dans la pénombre et les chuchotements, chacun prit place à son poste et commença à s’activer, le plus vite possible. Mih et Herk aidaient aussi, Fihl supervisait, quant au deuxième soldat (Souerte) il aidait à gâcher le ciment. Un vieillard montait la garde.
Durant toute la nuit vingt-six personnes piochèrent, pelletèrent, cimentèrent, soudèrent, plantèrent, posèrent, érigèrent ; unies dans un même élan, ne connaissant plus la fatigue, ni des muscles ni de l’esprit. Peu avant l’aube enfin, le missile était prêt, posé à la verticale contre une poutrelle métallique qui lui servirait de rail. Il ne manquait plus qu’à lui visser la tête, ce sans quoi il serait inutile. Fihl sortit la petite pyramide et la posa sur le missile, dans un crissement il la vissa au corps de l’arme. Un déclic marqua que le missile était opérationnel et armé. Les minutes d’Orbital étaient comptées.
Souerte avait pris l’ordinateur de mise à feu dans ses bras et commençait les branchements. Fihl l’aidait à se dépêtrer de tous les câbles. Mais le jour se levait, et les menaces arrivaient.

Remerciements

Le vieillard dans la rue poussa un cri :
- Les voilà, ils arrivent !
Son doigt pointait le ciel, duquel tombait des vaisseaux de combat, les mêmes qui avait tué Mhocq quelques jours auparavant. Au fur et à mesure tous les Nnorkais s’aperçurent de l’horreur, tous coururent se cacher dans leur cave, quand ils en avaient une, d’autres restaient à fixer le ciel, ébahi par l’escadron de mort qui descendait sur la ville.
L’ordinateur de mise à feu n’était pas prêt, des branchements étaient encore à faire. Souerte et Fihl s’affairaient de leur mieux, ils devaient bricoler un des câbles qui ne correspondait pas à la prise de l’ordinateur, et cela prenait du temps, car il fallait dénuder, supprimer des fils...
Cela prenait trop de temps car les vaisseaux étaient déjà là, sitôt à portée de tir ils firent feu, détruisant maisons, usines. Les pilotes avaient ordre de ne laisser que des morceaux de pierre de Nnork, ainsi ensuite le peuple serait trop occupé à reconstruire et ne penserait plus à se révolter.
Trois appareils passèrent au-dessus de la Trinité en tirant à l’aveuglette, les explosions firent vibrer la cheminée encore un peu instable, des pierres tombèrent sur le groupe, cassant le crâne de plusieurs rebelles, dont Fihl, et surtout un élément de la structure métallique de la cheminée brisa l’ordinateur de mise à feu. A moitié sonné, Mih s’en aperçut, avant de s’évanouir. Herk réussit à sortir des décombres en rampant, et ce qu’il vit faillit le faire mourir, un malheur n’arrive jamais seul pensa-t-il : des phénix arrivaient sur la ville, ils allaient finir le travail commencé par les Orbitaliens.
Cela faisait cinq minutes que Nabi Yar-Vuih avait repéré les hordes de phénix sur son radar, il ne s’en était pas soucié, bien au contraire, ces oiseaux de feu allaient l’aider dans son travail, c’est pourquoi il avait voulu laisser les bâtiments en bordure de l’île en état, afin de satisfaire les tendances suicidaires de ces braves bestioles. Pourtant, les phénix ne se jetèrent pas sur ces bâtiments qui leur étaient réservés, ils préférèrent se diriger vers les vaisseaux de combat, qu’ils pulvérisaient par groupe de deux ou trois. Avant de comprendre ce qui se passait, le capitaine Yar-Vuih explosa avec son appareil. Les fuyards étaient inlassablement traqués par les phénix, qui les rattrapaient inéluctablement.
Pendant la bataille, les personnes valides avaient sorti des décombres de la cheminée ceux qui étaient assommés ou morts. Mih venait de se réveiller, il contemplait les explosions des engins d’Orbital. Tous étaient heureux de la tournure des événements, bien que personne ne comprit réellement les motivations des phénix.
Soudain un phénix se détacha de son groupe et vint voler en rase-motte juste au-dessus de Mih, il remonta ensuite dans le ciel, fit quatre tours de la cheminée-rampe de lancement. D’un seul coup il s’embrasa, il devint immense, éblouissant, avant de pénétrer dans le conduit de la cheminée, laissant derrière lui des volutes de fumée noire, dessinant un visage. Mih n’en croyait pas ses yeux, ce visage, c’était celui de Mhocq... C’était impossible et pourtant, sous ses yeux, un phénix dessinait dans de la fumée le visage de Mhocq.
En arrivant en bas de la cheminée, le phénix entra dans la tête du missile et en déclencha le décollage. Dans le rugissement du réacteur, le missile partit vers Orbital. Tout Nnork le vit.
Sur Orbital c’était la panique. Après s’être aperçu que les phénix s’en prenaient consciemment aux vaisseaux, certains avaient craint le pire. Ce pire était en train d’arriver, en un missile à la puissance décuplé par un oiseau de feu. Personne n’avait eu le temps de se sauver d’Orbital quand l’impact se fit. Dans un silence total l’explosion pulvérisa la station en milliards de petites poussières. Elle fut invisible depuis Nnork, à cause des nuages éternels, mais une pluie d’étoile filante se fit dans le ciel, les minuscules débris d’Orbital brûlaient dans l’atmosphère de Moltenlava, créant des raies de lumière.
Les Nnorkais étaient médusés, c’était tellement magnifique. Tous comprirent que c’en était fini de leurs dirigeants invisibles, une joie indescriptible s’empara des cœurs.
Mih retomba dans les pommes, il était très faible, blessé.


Epilogue

Six ans ont passé depuis le destruction d’Orbital. Mih siége au Conseil du Peuple, constitué de quinze hommes et femmes élus par tous les Nnorkais. Durant ces six ans le mouvement perpétuel a été mis en place et fournit l’énergie de la ville, les habitations ont été reconstruites, on a mis en place de vrais hôpitaux, de vraies écoles. Tout le monde a travaillé, et même si la vie n’est matériellement pas forcément plus facile qu’avant, la sensation de liberté, le fait de savoir que l’on travaille pour soi, rendent les petits désagréments quotidiens beaucoup plus supportables.
Les expéditions envoyées aux quatre coins de Moltenlava n’ont rien donné : cette planète n’est qu’un immense océan de lave, l’île de Nnork étant la seule de la planète, ayant sûrement été créée par les premiers colons qui ont pour cela refroidi de la lave.
Ainsi, puisqu’il n’existe pas de lieu hospitalier sur cette planète, la construction d’un immense astronef, capable de contenir toute la population nnorkaise, a commencé dans les hangars de Nnork. Dans plusieurs années, il décollera à la recherche d’un monde meilleur, la planète d’où sont issus les Humains ? Qui sait ?
De la fenêtre de son bureau où il étudie justement les probables destinations du futur engin, Mih voit un groupe d’enfants qui jouent à chat, c’est la génération qui partira dans l’appareil qui se construit sous Nnork. Lui les regardera partir, car il sera alors trop vieux pour tenter l’aventure, et il n’aura probablement pas envie de quitter sa maison, pour laquelle il s’est battu et a laissé des amis chers.


FIN

Bix
8 octobre 2000

*Sol to Air Missile, missile sol-air. Retour au texte.


Depuis sa mise en ligne vous avez été
511

visiteurs à consulter cette page

Vos commentaires

C'est rigolo de retrouver son texte 4 ans plus tard, sur le web. :)
Adrien
bix at nekeme point net
Le jeudi 30 Avril 2004

Vos commentaires
peuvent sauver
ADRIEN

Cliquez
Commentaire
Nom
Mail
Recopier le code:
Le champs commentaire est obligatoire
Les commentaires apparaissent immédiatement



Pour être informé des Mises à Jour, Abonnez-vous à l'Hebdo du RayonPolar
Indiquez votre Mail

Les réclames du RayonPolar

Pour votre publicité, contactez le site

Pub sur RayonPolar

Sur les 32200 pages du Site
chiffres Google Le jeudi 3 Novembre 2011







En accédant à ce site marchand par l'intermédiaire de ce lien vous soutenez financièrement le RayonPolar






Site dédié au Polar-Film-Série
Si vous entrez directement sur cette page,
Retrouvez ses nouvelles en ligne, ses critiques de polars, de films, de séries TV
Sa liste de revues et sa galerie de couvertures de polars anciens.
Visitez le Rayon Polar
Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques.
- Benjamin Disraeli (1804-1881), homme politique britannique















Pinterest
(C) Les textes n'engagent que leurs signataires
RayonPolar
Certaines illustrations de ce site sont des reprises des couvertures de la collection Néo et sont signées
Jean-Claude Claeys.

Reproduit ici avec son aimable autorisation
Pour visiter son Site
Pour acheter des originaux
Cliquez sur l'image
RayonPolar